Alternatives

Les « zadistes » respectent l’ultimatum et déposent 40 projets agricoles, artisanaux et culturels

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par Nolwenn Weiler

Les occupants de la zad de Notre-dame-des-Landes ont devancé l’ultimatum fixé par le gouvernement en déposant 40 projets d’activités sur les terres disponibles depuis l’abandon du projet d’aéroport. Et ce, malgré les délais extrêmement courts imposés par le Premier ministre : dans une situation « normale », quand un agriculteur souhaite s’installer, il lui faut au moins un an pour monter son projet. Reste à voir si le gouvernement respectera sa parole.

Ce 23 avril, l’ultimatum fixé par le gouvernement aux occupants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes est arrivé à échéance. Cet ultimatum leur impose de déposer des dossiers décrivant les projets agricoles ou artisanaux qu’ils souhaitent développer au sein de la zone humide. Exiger des délais aussi réduits est inédit en France pour des projets agricoles, surtout s’ils sont collectifs.

« Il faut compter au minimum un an si tu fais un parcours classique d’installation agricole, explique Adrien, maraîcher dans l’ouest de la France depuis dix ans [1]. Ce n’est pas lié aux porteurs de projets mais à l’instruction administrative des dossiers. » État, chambres d’agriculture, banques, collectivités territoriales, mutualité sociale agricole (MSA), Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural)... de nombreux organismes accompagnent l’installation agricole « légale ». À chaque fois, le futur agriculteur doit décrire et expliquer son projet, ses objectifs de production, son business plan, et le défendre ardemment. C’est d’autant plus fastidieux quand il s’agit d’une nouvelle installation, avec un projet « atypique », c’est à dire hors agriculture intensive, comme sur la zad où les projets sont souvent collectifs, en bio ou en agroécologie.

Un projet collectif exige de longs moments d’échanges

« Quand je me suis installé, se souvient Adrien, la chambre d’agriculture du département où je résidais ne disposait pas de données technico-économiques sur le maraîchage diversifié. Pour construire mon plan de développement d’entreprise, j’ai donc dû remplir le tableau Excel fourni en remplaçant, par exemple, les veaux par des carottes… Cela a pris un temps fou et ne m’a servi à rien par la suite, tellement c’était déconnecté de la réalité de mon travail. Aujourd’hui, c’est un peu mieux, les choses ont évolué. Mais cela reste compliqué pour les projets atypiques. Pour ceux et celles qui reprennent une ferme familiale, c’est plus simple. »

Pour Marie, maraîchère qui a planté ses premiers fruits et légumes en novembre 2016, les délais aussi ont été longs. « Nous avons monté un projet collectif avec un autre maraîcher, deux paysans boulangers et une productrice de savons, décrit-elle. Nous partageons le bâtiment agricole et mutualisons la commercialisation de nos produits. » Leur ferme, trouvée sur le bon coin en mai 2015, a été achetée par une société collective immobilière (SCI) en janvier 2017. En attendant de trouver l’épargne citoyenne qui permette à la SCI d’acquérir les terres, ils ont bénéficié d’un portage foncier : la Safer leur a réservé des terres disponibles. « C’était bien d’avoir du temps, estime aujourd’hui Marie. Cela nous a permis de partir sur de bonnes bases. Un projet collectif exige de longs moments d’échanges et de discussions. Pendant un an, nous nous sommes vus une fois par semaine, et parfois le week-end. » Entre le moment où elle a trouvé des terres et son installation officielle, un peu plus d’un an a donc été nécessaire.

« Côté administratif, cela a vraiment été épique »

Trouver des collègues, puis une ferme, prend du temps. Pour avoir l’autorisation de s’installer, détenir un diplôme agricole, ou équivalent, est nécessaire. Cela fait d’ailleurs partie des cases à cocher sur le formulaire imposé par la préfecture aux occupants de la zad. Selon l’expérience de chacun, l’installation peut ensuite prendre quelques mois comme plusieurs années. « J’ai obtenu mon diplôme agricole en 2003 », retrace Alex, qui ne vient pas d’une famille d’agriculteurs. « Je me suis installé dans la ferme où je suis actuellement dix ans plus tard. »

Souvent, l’administration a bien du mal à comprendre. Alex, qui élève des chèvres et fabrique du fromage souhaitait s’associer avec un paysan boulanger. « Côté administratif, cela a vraiment été épique, retrace-t-il. Il y a eu plein d’aller retours avec la chambre d’agriculture. Côté chèvres, c’était bon, ils avaient des référentiels, mais en boulange paysanne ils n’avaient rien. Ils ne comprenaient pas nos chiffres. Nous annoncions une valorisation de la tonne de blé à 4000 euros, puisqu’elle était entièrement transformée sous forme de pain. En conventionnel, ils ont l’habitude de vendre la tonne 200 euros. Ils étaient vraiment perdus. On a dû emmener le conseiller de la chambre voir d’autres paysans boulangers, installés depuis des années pour lui expliquer. Évidemment, ça prend un peu de temps... »

« Demander à des gens de présenter des projets en deux mois est hallucinant »

« Pour les banques, c’était pire. En plus de ne pas être fils d’agriculteurs, nous avions décidé de construire des bâtiments sur des terres dont nous n’étions pas propriétaires mais locataires. Les banques ne pouvaient pas hypothéquer nos bâtiments et cela les embêtait énormément. Nous n’avons pourtant emprunté que 35 000 euros chacun. ils ne prenaient aucun risque. » Le Crédit mutuel et la Banque populaire de l’ouest refusent de les financer. Les deux jeunes agriculteurs réussiront finalement à obtenir un prêt du Crédit agricole grâce à l’intervention d’un représentant régional, qu’ils connaissaient. « Et encore, précise Alex, nos deux compagnes ont dû se porter caution ! »

Sans accord des banques, impossible de passer devant la commission départementale d’orientation agricole (CDOA) qui rend un avis favorable, ou non, à un projet d’installation. Cet avis détermine ensuite la décision du préfet. Pour ceux et celles qui choisissent la forme collective et s’installent en Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec), l’avis de la commission ad hoc est également nécessaire. « Tout cela nous a pris 18 mois, soupire Alex. Étant donné ce contexte, demander à des gens de présenter des projets en deux mois sur des modèles atypiques, alors qu’ils sortent d’une lutte de plusieurs années pour défendre les terres sur lesquelles ils travaillent, c’est hallucinant. »

Avec 40 projet déposés, la zad relève le défi

Pourtant, les occupants ont relevé le défi, malgré une semaine d’interventions policières, de destructions d’une trentaine de lieux et de violences depuis le 9 avril. L’assemblée de usages, qui porte les décisions collectives, a planché sur la rédaction de dossiers individuels décrivant les activités menées sur la zone. Les heures passées à discuter, réfléchir, puis écrire ont été intenses. 40 « fiches projets » nominatives ont été déposées en préfecture, ainsi qu’une proposition de convention d’occupation précaire au nom de « l’Association pour un avenir commun dans le bocage ». On y trouve des activités agricoles – élevages, maraîchage, vergers, paysans boulangers, plantes aromatiques ; de l’artisanat – conserverie, fromagerie, boulangerie collective, atelier mécanique agricole ; des projets de distribution – cantine, épicerie solidaire ; et des activités culturelles – bibliothèque, club sportif, association de garde partagée, ferme pédagogique... Un schéma explique les liens entre les diverses activités de la zad - agricoles, artisanales, culturelles. Bref, les « zadistes » ont accompli leur part de travail – en un temps record ! – et montré leur bonne volonté. Au gouvernement de respecter sa parole.

De ce côté, la crainte reste grande que le fichage par projets ne serve finalement qu’à casser la dynamique collective, même si la stratégie des occupants de la zad a consisté à lier les activités entre elles. Il sera ainsi difficile aux autorités de retenir un projet en abandonnant les autres. Pourquoi, par exemple, s’opposer à une cantine associative ou à une épicerie solidaire si celles-ci permettent un débouché commercial à un paysan boulanger ou à un maraîcher ? « Les dernières annonces du Premier ministre à ce sujet - menaçant le 19 avril d’évacuer le reste de la zad « avec une immense détermination tranquille » - sont très préoccupantes », énonce un collectif d’organisations nationales qui soutiennent les habitants de la zad.

Nolwenn Weiler

Photo : © ValK

Notes

[1Certains prénoms ont été modifiés