Politique

Entre opposition pugnace et force de proposition : le bilan du groupe LFI à l’Assemblée nationale

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par Ivan du Roy, Rachel Knaebel

On ne peut pas leur reprocher leur inactivité : le groupe des député.e.s, dont nombre de novices en politique, de La France insoumise a beaucoup questionné et proposé ces cinq dernières années, souvent en vain.

Des « néo-bolcheviques », une alliance « d’extrême gauche », « déshonorante », qui provoquera un « désastre » : la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) semble faire craindre le pire à certains commentateurs habitués des plateaux télés (voir le sympathique condensé réalisé par Blast). C’est que l’alliance réunissant insoumis, écologistes, socialistes et communistes a de bonnes chances de faire élire plus de 150 député.e.s à l’Assemblée après les élections législatives de juin (voir notre carte des circonscriptions que la gauche peut gagner). Lors de la précédente législature, les partis désormais membres de l’union des gauches ne comptaient que 62 députés : aucun pour les Verts, 15 pour le Parti communiste, 28 pour les socialistes, et La France insoumise (LFI), alors nouvelle venue, 17.

La gauche, autour de LFI, pèsera donc a priori bien plus dans la prochaine Assemblée. Et si les nouveaux députés sont aussi actifs que leurs prédécesseurs, ce sera plutôt rassurant pour le débat démocratique et pour faire remonter à l’Assemblée des situations et des revendications souvent ignorées par la majorité présidentielle. Le groupe des député.e.s LFI sortants, quoi qu’on pense de leurs propositions, ont largement participé au travail de fond, porté des débats et des propositions d’intérêt général au sein de l’hémicycle. Voici un panorama de l’action de ces parlementaires « néo-bolcheviques »...

Caroline Fiat, la voix des soignantes

Caroline Fiat a consacré une bonne partie de son mandat à porter la voix des soignant.e.s de l’hôpital public et des Ehpad. Logique : elle est elle-même aide-soignante de profession, en Moselle. Et la seule élue « ouvrière » de la santé à l’Assemblée, aux côtés d’une trentaine de médecins. En 2018, elle rédige avec une députée LREM, Monique Iborra, un rapport sur les Ehpad. Les deux élues proposent de fixer le nombre de soignants (infirmiers et aides-soignants) à 6 équivalents temps plein pour 10 résidents. Soit le double de ce qui est pratiqué actuellement en Ehpad. Ce rapport débouche, en 2021, sur une proposition de loi qui vise à mettre en place une obligation d’encadrement minimal dans les Ehpad. Le projet est soutenu par le reste du groupe LFI.

Elle planche également en 2019 sur un texte pour interdire les dépassements d’honoraires médicaux, afin de garantir un meilleur accès au soins. Puis, en janvier 2021, elle propose d’attribuer la même prime « post covid » aux personnels soignants des établissements médico-sociaux, « oubliés » du Ségur de la santé, qu’à ceux des hôpitaux. Un mois plus tard, le ministre de la Santé d’alors, Olivier Véran, annonce accorder cette prime de 183 euros aux autres professions médico-sociales qui en étaient initialement exclues.

François Ruffin aux côtés des aides-ménagères

François Ruffin
François Ruffin
François Ruffin, député de la Somme.
©Thomas Clerget

François Ruffin, journaliste, fondateur du journal picard indépendant Fakir et député de la Somme, s’est aussi engagé pour les travailleuses et travailleurs du soin, dans deux propositions de loi en 2020. La première tentait de faire « reconnaître les métiers du lien », pour améliorer les conditions de travail et garantir une rémunération minimum aux auxiliaires de vie sociale et aux AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap), en prévoyant par exemple qu’elles puissent être recrutées en CDI.

L’autre proposition ambitionne de mieux encadrer la sous-traitance dans le recours au personnel de ménage, en garantissant l’égalité de salaire et une majoration de 50 % des heures de soir et de nuit. Le député de la Somme a également proposé une loi pour étendre le RSA au jeunes de 18 à 25 ans.

Écologie : transférer l’aérien vers le train, en finir avec l’intoxication au glyphosate

Sur les questions écologiques, François Ruffin s’est attaqué dès 2019 au sacro-saint transport aérien. Il a proposé de remplacer les vols intérieurs par le train « quand c’est possible… », c’est-à-dire quand le trajet équivalent en train ne prend pas plus de deux heures de plus que le trajet en avion. Les vols domestiques (Outre-mer compris) génèrent 20 % des émissions de CO2 du secteur aérien en France. Dans la proposition, les vols Paris-Rennes, Paris-Brest, Paris-Marseille, Brest-Rennes (entre autres) auraient été transférés vers le rail. François Ruffin a aussi proposé d’instaurer un quota carbone individuel pour limiter l’usage de l’avion. Deux ans plus tard, la suppression des vols domestiques, dont le trajet était réalisable en moins de 4 heures de train, sera l’une des mesures phares de la Convention citoyenne pour le climat. Sans succès également.

Autres combats des députés insoumis pour l’environnement : l’interdiction des pesticides à base de glyphosate, la non-prolifération des « fermes-usines » (une proposition déposée par Bénédicte Taurine, enseignante et élue de l’Ariège), et la création d’un délit d’obsolescence programmé et d’une garantie de disponibilité des pièces détachées, a minima sur la durée de garantie légale (par le député de Gironde, Loïc Prud’homme).

Bannir les armes et techniques policières dangereuses

Autre spécificité des insoumis : ils et elles font partie des rares élus à porter au sein de l’hémicycle la lutte contre les violences policières arbitraires ou illégales. La députée de Paris Danièle Obono en 2019, puis l’année suivante François Ruffin, ont ainsi tenter de légiférer pour bannir les techniques dangereuses d’immobilisation : celles dites du plaquage ventral et du pliage – quand un interpellé est entravé, plaqué au sol, la tête immobilisé, contraint parfois de supporter le poids d’un ou plusieurs policiers [1]. Ces techniques d’interpellation ont provoqué des asphyxies respiratoires, et sont notamment mises en cause dans la mort de Cédric Chouviat, livreur de 42 ans, mort en janvier 2020 lors d’un contrôle par des agents de la police nationale.

Alexis Corbières, député de Seine-Saint-Denis, a demandé en 2019, dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes et de sa brutale répression, que les forces de l’ordre ne soient plus équipées de lanceurs de balles de défense et de « grenades lacrymogènes instantanées de type F4 ». Les premiers sont la cause de l’éborgnement d’une trentaine de manifestants pendant le mouvement des Gilets jaunes (sans oublier toutes celles et ceux qui en ont fait les frais, dans les quartiers populaires ou les mouvements sociaux précédents). Les secondes, du fait de la charge de TNT qu’elles contiennent, sont responsables de plusieurs mutilations et pertes de membres (mains arrachées). Ces grenades controversées ne sont, officiellement, plus censées faire partie de l’arsenal du maintien de l’ordre depuis 2021.

Le groupe insoumis est aussi à l’initiative d’une demande de commission d’enquête sur la « composition chimique des grenades utilisées par les forces de sécurité intérieure et ses conséquences sur la santé des personnes exposées » et d’une demande de créer « une commission d’enquête sur la violation des droits humains aux frontières françaises », au regard des traitements réservés aux exilés dans la région de Calais ou le long la frontière franco-italienne. Face à la question des contrôles de police discriminatoires à répétition, Éric Coquerel (député de Seine-Saint-Denis), a déposé une proposition de loi « relative à l’instauration d’un récépissé dans le cadre d’un contrôle d’identité ».

Adrien Quatennens
Adrien Quatennens
Adrien Quatennens, député du Nord.
©Anne Paq

Face aux violences d’extrême droite qui s’intensifient, la députée de l’Hérault Muriel Ressiguier dépose une proposition de résolution en 2018 sur « la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France ». Elle y invite « le gouvernement à dissoudre les groupuscules d’extrême droite qui sévissent sur notre territoire ». Elle a aussi réalisé un rapport sur le sujet.

Victoire sur l’endométriose

C’est une des rares propositions du groupe de La France insoumise qui a finalement été adoptée par la majorité présidentielle. Fin 2021, la députée Clémentine Autain dépose une proposition de résolution visant à reconnaître comme une affection longue durée l’endométriose, une maladie chronique qui touche de nombreuses femmes et peut provoquer des douleurs invalidantes. Cette reconnaissance doit permettre une prise en charge à 100 % par l’Assurance-maladie. La mesure est votée à l’Assemblée début 2022, à la suite d’une annonce de Macron pour une stratégie nationale de prise en charge de diagnostic de la maladie.

Référendums d’initiative citoyenne, contrôle parlementaire des exportations d’armements...

Mathilde Panot
Mathilde Panot
Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne.
CC BY-NC-ND 2.0 Jacques-BILLAUDEL via flickr.

Le groupe LFI n’a pas chômé sur la question de la réforme des institutions politiques françaises. Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbières ont déposé une série de propositions de loi sur le sujet : pour instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif, pour ouvrir la possibilité de référendums d’initiative citoyenne, pour un droit de révocation des élus ; ou encore pour renforcer le contrôle par le Parlement sur les exportations d’armements militaires, un sujet sur lequel le député Sébastien Nadot, dissident précoce du parti présidentiel, a également été très actif. Mais, ce dernier, élu de Haute-Garonne, ne se représentera pas.

Pendant le Covid : pôle public du médicament et nationalisations de secteurs stratégiques

Tout au long de la pandémie, les député.es LFI ont proposé des mesures pour faire face aux conséquences du Covid. En avril 2020, Jean-Luc Mélenchon demande un moratoire sur les loyers pendant l’épidémie, la création d’un pôle public du médicament, la réquisition des entreprises du secteur du textile au profit de la fabrication de masques, et la nationalisation des sociétés Luxfer Gas Cylinders, fabricant d’oxygène médical et Famar, producteur de médicaments, un sujet en théorie partagé par Emmanuel Macron qui assure alors « rendre à la France son indépendance sanitaire ». En mai 2020, Adrien Quatennens, député du Nord, tente de faire reconnaître le Covid-19 comme maladie professionnelle pour les travailleuses et travailleurs, au-delà des soignants, susceptibles d’avoir contracté le virus dans leur activité professionnelle.

Otan : la question qui fâche

C’est l’un des sujets qui divisera probablement les futurs élus de l’alliance de gauche : la question de l’Otan, des alliances militaires et des moyens à consacrer à la défense. Fin 2021, Bastien Lachaud, élu LFI de Seine-Saint-Denis, demande, à l’occasion de la crise diplomatique provoquée par l’annulation de la vente de sous-marins par l’Australie, au gouvernement de retirer la France de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). Les député.e.s insoumis considèrent alors, au vu des interventions passée dans les Balkans (ex-Yougoslavie), en Afghanistan et en Libye, que l’alliance comporte un « caractère belliciste », reste largement dominée par les intérêts des États-Unis et que « la France dispose, en toute autonomie, des moyens de sa défense nationale ».

Nucléaire : sûreté des installations et amélioration du statut des sous-traitants

Sur la question des installations nucléaires françaises, la députée LFI Mathilde Panot (élue du Val-de-Marne) a déposé deux demandes de commission d’enquête en 2021 : sur la fuite de documents confidentiels relatifs à la sécurité du site de l’EPR de Flamanville et sur la sûreté et la sécurité de la centrale nucléaire de Tricastin. Elle essaie aussi de faire avancer la cause des travailleurs sous-traitants du nucléaire, pour qu’ils « disposent d’un suivi médical identique à celui des agents statutaires des exploitants du secteur nucléaire », et que le responsable d’une installation nucléaire soit « responsable pénalement des maladies professionnelles ayant pour origine le niveau d’exposition des travailleurs, tous statuts confondus ». Comme la quasi-totalité des mesures proposées par LFI dans l’opposition, cette demande a été ignorée par la majorité.

La soixantaine de députés de gauche (LFI, PS, PC) de la précédente législature ont par ailleurs souvent bataillé ensemble contre plusieurs projets gouvernementaux, avec parfois quelques succès à la marge. Ils se sont opposés de concert à l’affaiblissement du droit du travail, à la suppression de l’ISF, ou à la loi sécurité globale et son pendant sur les « séparatismes ».

À l’issue des élections législatives, la coalition de gauche nouvellement créée, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), devrait au minimum doubler le nombre de ses députés à l’Assemblée, avec le renfort d’un groupe parlementaire écologiste, et le triplement des élus insoumis. Même sans disposer d’une improbable majorité, les élus de la Nupes, bien plus nombreux, seront en mesure de mettre davantage de propositions de loi à l’ordre du jour, donc d’obliger la majorité macroniste à en débattre, et, qui sait, à les faire adopter.

Ivan du Roy, Rachel Knaebel

CC BY-NC-ND 2.0 Magali
via flickr
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