Sous une vraie gauche, le minimum pour tout le monde ce serait le programme du Conseil national de la résistance (CNR) : l’aspiration à une presse libérée des intérêts financiers, une sécurité sociale gérée par les intéressés eux-mêmes, le droit de pouvoir gérer démocratiquement une entreprise... On ne peut pas aller en-dessous comme cela se fait actuellement. La gauche officielle actuelle pour moi, c’est plutôt la droite officielle. Attaquer le Code du travail, c’est s’attaquer à des valeurs qui se sont exprimées dans les résistances, contre le fascisme. C’est scandaleux ! Ce qui est insupportable, c’est aussi de faire des promesses, puis de faire le contraire : j’entends qu’il puisse y avoir des obstacles mais il s’agit a minima des les expliquer.
Créer un fonds pour aider les ouvriers et travailleurs à reprendre leur entreprise et la gérer eux-mêmes, ce serait une mesure prioritaire à mettre en place. L’idée vient de Bernie Sanders (candidat à l’investiture démocrate aux États-Unis, battu par Hillary Clinton, ndlr). Les coopératives créent proportionnellement plus d’emplois que les autres entreprises, et ce sont des emplois plus stables. La démocratie doit s’exprimer sur les lieux de travail, et l’autogestion est l’un des meilleurs moyens de la pratiquer. C’est aussi une mesure pour lutter contre le chômage car l’un des principaux problèmes, ce sont les sommes pharamineuses versées aux actionnaires.
« La solidarité internationale me semble déterminante »
Être de gauche, c’est lier l’écologie à la justice sociale, et retrouver la volonté de libérer les êtres humains. Ce qui me semble également déterminant, c’est la solidarité internationale : avoir une vision non pas nationale mais européenne et internationaliste. Comment soutenir notamment les Grecs et les Syriens ? Avec mon épouse et quelques poignées de personnes, nous avons été pendant des années des « porteurs de valises » auprès des pays de l’Est. A l’intérieur de nos valises, il y avait des livres et des journaux. On n’a pas attendu que le mur s’écroule pour aider concrètement l’opposition démocratique. Durant des années, des liens et des solidarités se sont établis. L’idée, c’est de toujours faire ce qu’il faut faire, même si ça semble négligeable.
Côté politique, la vraie gauche est un peu dispersée. Il y a Mélenchon, une partie des Verts et certains députés au PS qui se sont opposés à la Loi travail. A vrai dire, le plus grand espoir ce sont toutes les expériences alternatives qui vont plus loin que les organisations politiques : Chamarel (une maison de retraite coopérative, ndlr), les Fralib, les ex-Pilpa à Carcassonne (une coopérative de production de crèmes glacées, ndlr), toutes celles et ceux qui se regroupent pour faire des coopératives de production d’énergie propre, des jardins partagés... Ils agissent avec une vision globale, mais le problème pour l’instant c’est que ces expériences ne sont pas liées entre elles. Elle ne font pas mouvement. Quant aux partis, ils sont très en retard par rapport à ces initiatives, comme s’il y avait deux mondes différents.
Le pire comme le meilleur : « Tout est possible »
Aujourd’hui, je sens que tout est possible. Des forces sont en mouvement. Regardons ce qu’il s’est passé en 2001 en Argentine : ce sont des femmes qui ont été à l’initiative des premières reprises d’entreprises. Ce mouvement-là était insoupçonnable deux ans auparavant et c’est pour cela que j’ai beaucoup d’espoir. Récemment, j’ai participé à la première assemblée générale du Réseau paille (sur les constructions en paille, ndlr) en Rhône-Alpes et j’ai été frappé par la jeunesse et la forte présence de femmes dans des métiers tels que la maçonnerie ou la charpente.
Un dossier de la revue La maison écologique relate comment, dans les réseaux de « construction alternative », les femmes dans les métiers du bâtiment commencent par des chantiers uniquement composés de femmes afin de partager les techniques entre elles et trouver ensemble des solutions. J’ai l’impression que ces mouvements existent ailleurs mais on ne les voit pas. Quand ils s’expriment, il faut établir des solidarités, aller de l’avant, sans quoi, ce sont les autres qui gagnent. Car si l’extrême droite gagne du terrain, il y a une chose qu’elle ne sait pas faire, c’est établir des liaisons.
Jean Sintes, retraité, Vaulx-en-Velin
Propos recueillis par Sophie Chapelle