Grande démission

Étudiantes, salariées, retraitées, sans emplois : Désertons !

Grande démission

par collectif

« Que désertons-nous ? » Des membres du discours d’Agro ParisTech, les collectifs Les Désert’heureuses et Vous N’êtes Pas Seuls éclairent le phénomène de désertion des diplômées. Avec l’espoir de « se redonner une puissance d’agir collective ».

En 2022, beaucoup d’encre a coulé au sujet de la désertion des plus diplômées, souvent dans la confusion et la superficialité. Nous, collectifs accompagnant ce phénomène social qui s’intensifie, voulons clarifier ce que nous mettons derrière ce mot.

Deux ans de crise sanitaire ont mis à nu l’absurdité d’un quotidien passé à travailler au service d’une économie déconnectée du réel. 2022 a été l’année des vagues de démissions, des discours dans les grandes écoles et des odes au refus du travail comme marchandise. Dans ce contexte de mouvement social d’ampleur — violemment réprimé — contre une réforme des retraites qui considère les êtres comme des ressources productivistes, nous voulons préciser pourquoi nous avons choisi de déserter, dans l’idée de donner des perspectives et d’élargir le front de la contestation.

Que désertons-nous ?

L’illusion perdure selon laquelle la fin du monde serait empêchée par les responsables du désastre : le capitalisme, l’industrie, la technologie, l’État. Quelques pistes cyclables, voitures électriques, panneaux solaires, écoquartiers et autres taxes carbone seraient des « solutions ». Or notre régime économique repose sur l’exploitation des classes laborieuses et des milieux vivants. Il a imposé un mode de vie et une hiérarchie sur tous les territoires du globe par la violence, étouffant progressivement toute alternative.

Contraintes de passer par la monnaie pour nous nourrir, nous loger, nous soigner, nous sommes privées de tout contrôle sur nos vies et nos moyens de subsistance. Ce ne sont pas les activités artisanales, agricoles ou artistiques qui remplissent l’estomac, mais plutôt l’individualisme, la compétition et l’héritage. Pour nous, être libre, c’est être capable de prendre en charge directement et collectivement nos besoins primaires. Nous ne voulons plus dépendre de l’industrie pour y subvenir.

Jeunes diplômées, nous étions parties pour des carrières promettant confort et privilèges, en échange de notre loyauté à la classe bourgeoise dominante. Nous avons déserté, car nous refusons ce rôle de complice. Nous désertons les rangs privilégiés d’une guerre menée par le monde marchand contre le vivant. Nous désertons le carriérisme, et les vaines tentatives de verdir le monstre depuis son intérieur. Nous désertons le culte de la technologie, et les fausses solutions promises par l’industrie pour combattre ses propres fléaux.

Déserter pour mieux riposter

Nous souhaitons sortir de l’entre-soi et entrer en résistance, aux côtés de celles et ceux qui se battent pour la terre et la liberté. De la défense des communs à la lutte contre les politiques autoritaires et impérialistes, nous partageons nos connaissances des rouages de la machine avec celles et ceux qui tentent de l’enrayer. Cadres dits « supérieurs », habituées à la ville, aux salles de cours et aux bureaux, nous ne sommes pas les mieux placées pour nous réinventer paysannes et artisanes. Alors nous apprenons auprès de personnes qui vivent humblement et fièrement, sachant faire des choses par elles-mêmes.

Nous n’inventons rien. Des luttes marronnes aux exodes anti-industriels post-68, du refus de parvenir ouvrier du début du 20e siècle aux stratégies zapatistes des années 1980, nos désertions trouvent leur inspiration dans une histoire riche de mouvements qui ont voulu tantôt résister à l’oppression, tantôt transformer leur monde, mais toujours en défaisant le pouvoir plutôt qu’en le conquérant.

Sortir des oppositions stériles

Nous souhaitons en finir avec le faux débat opposant « les privilégiées qui désertent pour élever des chèvres » et « les collabos réformistes qui restent à l’intérieur ». Nous mesurons que la critique radicale de la société que nous portons est partagée par beaucoup, que des alliances sont à construire. Nous pouvons avoir des méthodes différentes : avec ou sans les institutions ; légales ou illégales ; violentes ou non ; locales, régionales ou nationales, voire internationales. Nous acceptons la diversité des tactiques, tant que l’on partage un horizon commun.

Ceci dit, beaucoup d’énergie est mobilisée aujourd’hui pour résister depuis l’intérieur, quand nous sommes encore trop fragiles pour construire de vrais rapports de force depuis l’extérieur. Nous n’enrayerons pas la spéculation sur le foncier agricole en la dénonçant uniquement, mais en allant physiquement reprendre les terres ! Nous ne règlerons pas le problème de la sécheresse avec des petits gestes, mais en reprenant la gestion commune de l’eau, en commençant par mettre un terme aux projets de mégabassines !

Nous ne ferons pas la transition avec des centrales de production industrielle d’énergie, qu’elles soient nucléaires ou « renouvelables », car elles reposent sur un pouvoir centralisé, un régime néocolonial, des infrastructures nuisibles et alimentent la même mégamachine. Pour nous, la transition se fera en démantelant ces technologies autoritaires et l’extractivisme global !

Se redonner une puissance d’agir collective

Chez les révoltées solitaires, l’isolement face à l’ampleur du désastre peut générer un sentiment d’impuissance écrasant. Il paraît souvent inconcevable de tout plaquer pour s’engager, sans solution ou plan à grande échelle. Mais il n’y aura jamais de chemin facile, de bouton « sortir du cauchemar » ou de bulletin de vote magique. Déserter, c’est aussi briser cet isolement pour se redonner une puissance d’agir collective. Notre désertion est joyeuse, elle nous rend conscientes, capables, fieres de nos apprentissages, et solidaires avec celles et ceux qui croisent nos routes.

Étudiantes, salariées, retraitées, sans emplois... Désertons ! Envisageons toutes les formes de désertion comme des options non seulement possibles, mais nécessaires, sérieuses et désirables. Créons des réseaux de subsistance où chacune pourra vivre dignement. Préparons-nous à lutter pour celles et ceux qui nous entourent et en solidarité avec celles et ceux qui sont loin, pour défendre des milieux vivants et pour reprendre aux tout-puissants ce qui appartient à toustes...

Construisons un mouvement large et transversal de démissionnaires solidaires pour renverser le rapport de force !

Des membres du discours d’Agro ParisTech en 2022, les collectifs Les Désert’heureuses et Vous N’êtes Pas Seuls.

Signataires
 Collectifs :

  • Association Nationale pour la Biodiversité
  • Antitech résistance
  • Campagne glyphosate Rhône Loire
  • Connexion paysanne
  • Coopérative européenne Longo Maï
  • Désobéissance écoloo Paris
  • Deux points ouvrez les guillemets
  • Fresque des low-techs
  • Hors d’la Loire
  • Ingénieures engagées
  • Ingénieures engagées Lyon
  • Ingénieures sans frontières INSA Lyon
  • L’archipel du vivant
  • L’équipe du documentaire « Si maintenant on y allait »
  • Les ateliers Icare
  • Les communaux
  • Les Désert’heureuses
  • Mouvement pour des savoirs engagés et reliés
  • Rabajoie (Riposte Autonome pour une Bascule dans l’Amour et la Joie)
  • Terres de Luttes
  • Vous n’êtes pas seuls

 Individues :

  • A. J.François, retraité ingénieur agro, Paysan
  • ADOLPHE Antonin, paysan militant, déserteur de l’École Polytechnique
  • Alban H, ingénieur Systèmes Embarqués
  • ALMAZÁN Adrián, professeur de philosophie
  • ALONSO Héloïse, apprentie
  • ALTMAYER Victor, médecin
  • ANDRE Guillaume, psychanalyste. Ancien directeur d’hôpital, déserteur en 2018
  • ANNA Jean-Christophe, co-fondateur de L’Archipel du Vivant
  • AUDIC Martin, déserteur du génie mécanique et industriel
  • Aurèle, étudiant ingénieur environnement
  • AUTUNNO Mahée, ingénieure en agro-développement international.
  • AVIGNON Marianne, doctorante
  • B. Romain, exploité
  • BADEL Louis, étudiant
  • BAFFOU Nataël, étudiant
  • BERLAN Aurélien, auteur, traducteur, enseignant-chercheur
  • BERNARD Florian, créateur d’entreprise
  • BERNI-ANDRÉ Victoria, journaliste, militante écologie intersectionnelle, déserteuse du génie urbain
  • BODIN Xavier, chercheur CNRS
  • BONNEUIL Christophe, historien
  • BORIUS Rémy, ingénieur
  • BOSSU Norbert, ingénieur transition énergétique
  • BOUCHER Romain, ingénieur déserteur, membre du collectif Vous N’êtes Pas Seuls
  • BOUGOUIN Adeline, paysanne et Docteure en Agriculture
  • BOURDEAUD Nicolas, futur double diplômé ingénieur ISAE-Supaero et Sciences Po Paris
  • BRETON Jérôme, interdépendant
  • BUREAU Julie, assistante caméra
  • CANNILLA Victor, ex-trader et ex-consultant BCG, YouTuber Kraken Debrief
  • CASTAGNA Jérôme, multi-activiste
  • CHAIGNEAU Romane, paysanne en cours d’installation
  • CHARLES Aurélien, étudiant ingénieur
  • CHAUPIN Julia, jardinière
  • CHAUVIN Lise, ingénieure électronique en reconversion
  • CHENEVEZ Sandrine, enseignante agricole
  • CHERBUT Julie, retraitée apicole
  • CHOISNE Clément, ingénieur issu de la classe ouvrière, en périple décroissant
  • CLERGEAU Charlotte, agricultrice
  • COMBREAU Cyril, ex-ingénieur éolien, déserteur
  • CORDIER Morganne, ingénieure en agrodéveloppement
  • COUTURIER Pierre, maître de conférences
  • COZON Stéphane, ingénieur agricole, paysan retraité
  • DAVIET Étienne, ingénieur en énergie et environnement
  • DE GIVRY Anna, étudiante
  • DEANSE Amandin, activiste et salariée saisonniere en arboriculture
  • DEBORDE Quentin, étudiant
  • DECKA Jean-Philippe, doctorant-chercheur
  • DENZLER Antoine, ingénieur en tour de France du woofing avec le Journal d’un agrologue
  • DESINFO.INFO
  • DIANCOFF Grégory, indépendant
  • DIEUDONNÉ Lina, consultante environnement
  • DRAMSI Shaynoor, directrice de recherche
  • DUGUET Rémi, écologue
  • DWORNICZEK Xavier, ex AgroParisTech mobilisé pour préserver l’avenir de Grignon
  • DÉSIR Jérémy, Quant déserteur, activiste écologiste
  • ERADES Quentin, travailleur social
  • EZÉQUEL Maxime, déserteur intermittent
  • FERRARI Catherine, retraitée de l’éducation nationale
  • FOILLERET Christian, maraicher et transformateur
  • GALANT Bastien, étudiant
  • GAUTIER Mélodie, salariée
  • GAYON Benjamin, docteur en aménagement de l’espace, salarié associatif et militant
  • GIACINTI Chloé, militante
  • GINOT Gaël, chercheur post-doctorant, CNRS
  • GIRAULT Félix, maîtrise d’ouvrage pour projets anticapitalistes
  • GOSSELIN Sophie, philosophe, membre de Terrestres
  • GOUDAL Sophie, dentiste
  • GOUEYTHIEU Jean-Pierre, enseignant anticapitaliste
  • GOUYON Pierre-Henri, professeur émérite au Muséum National d’Histoire Naturelle
  • Gui, paysan artisan et ingénieur déserteur
  • GUIGON François, support déter’
  • GUILLOT Pierre-Louis, étudiant
  • GUTIERREZ Marin, collectiviste en apprentissage
  • HERVE-GRUYER Charles, fondateur Ferme du Bec Hellouin
  • HERVE-GRUYER Lila,éditrice
  • HERVE-GRUYER Rose, étudiante
  • HERVÉ Tugdual, paysan
  • HUET Liliane, salariée agricole
  • HUOT Gabriel, néo-boulanger
  • HUPÉ Jean-Michel, chercheur CNRS en écologie politique
  • HÉLIN Julie, facilit’actrice en transition écologique 
  • IZOARD Celia, autrice, journaliste
  • Jean-Paul, docteur en biologie
  • JEAN Yoann, maraîcher en devenir
  • JULIENNE Théophile, étudiant à l’École Normale Supérieure de Lyon
  • JÉGOUX Florence-Marie, formatrice, facilitatrice travail qui relie, pollinisatrice
  • KERARON Lola, une agro qui déserte
  • KERARON Yves, ingénierie digitale
  • KERBIRIOU Nils, étudiant
  • KNORR Cortney, ingénieur déserteur
  • KRIEGER Emmanuel, doctorant
  • KUNTZ Mathieu, étudiant, élu communal, cofondateur de L’Archipel du Vivant
  • LABAT Tibo, membre du collectif Défendre-Habiter
  • LA LENTEUR Éditions
  • LANTIERI Esteline, militante écolo
  • LAPLACE Sandrine, chercheuse au CNRS
  • LAURENT Anthony, journaliste
  • LAURENT Antonin, juriste déserteur-euse dans une ferme collective
  • LAURENT Clément, zadiste
  • LAVEAU Manon, autoentrepreneure
  • LAZARE Léna, activiste écologiste
  • LE GOAS Walter, salarié
  • LE MEN Gaëlle, déserteuse et décroissante
  • LEGENTILHOMME Nathalie, infirmière
  • LEGRAND Arnaud, directeur de recherche CNRS
  • LEMERY Marion, ex-doctorante en optimisation, déserteuse
  • LEMOIGNE Christelle, future élève en orthoptie
  • LEWIS Amanda, designer et artiste
  • LIEVENS Laurent, enseignant-chercheur et lanceur d’alerte
  • LOUER Anne, sophrologue et permacultrice
  • LUCAS Jonathan, technicien du son
  • MAHÉ Valérie, ouvrière
  • MAILLET Mathilde, étudiante
  • MALEK Gabriel, président d’Alter Kapitae
  • MANDIL Guillaume, enseignant-Chercheur
  • MANGEOT Mathieu, enseignant-chercheur en sciences de la soutenabilité
  • MARENDAZ Mathilde, étudiante en géographie, militante, députée du canton de Vaud en Suisse
  • MATEUS Quentin, animateur de projet associatif
  • MAY Tony, libraire
  • MERCIER Manuel, chercheur - Membre de l’AtÉcoPol d’Aix-Marseille
  • MEYER Yohan, écrivaingénieur
  • MINET Faustine, étudiante
  • MODICA Critiana, agricultrice
  • MONNIER Anne, ingénieure transition énergétique
  • MOREL DARLEUX Corinne, autrice
  • MORICE Philippe, paysan bio
  • MORICE Yoann, paysan bio
  • NAPOLI Baptiste, chargé de mission
  • OBERLÉ Philippe, rédacteur sur Greenwashingeconomy.com
  • OHIER Nadine, paysanne bio
  • Oncle H, éditeur de desinfo.info
  • ORLIAC Charlotte, ingénieure, coach, artisane du changement
  • ORY Joseph, étudiant-apprenti en agronomie
  • PAROUBEK Stéphane, ingénieur démissionnaire
  • PEDEMONTE Nicolas, membre de Time for the planet
  • PERRON Marie-Alexandra, ex-architecte d’intérieur, enseignante-militante, en voie d’autonomie collective
  • PEUGEOT Juliette, salariée agricole bio
  • PEYRACHE Jean-Philippe, enseignant dans le supérieur
  • PEYRUS Florent, con-citoyen engagé
  • PIELY Edouard V., Journaliste indépendant, membre de la rédaction de Sciences Critiques
  • PINSARD Maxime, apprenti-écologue, ex-ingénieur-chercheur
  • PLATZER Paul, chercheur en mathématiques appliquées
  • PLETERI Nolwenn, animatrice santé
  • PORTALEZ Régis, diplômé de l’école Polytechnique
  • PROST Maëlle, étudiante
  • PRUVOST Geneviève, directeur de recherche au CNRS
  • RAFANELL I ORRA Josep, psychologue et écrivain
  • RAGUET Hugo, maître de conférences en informatique
  • REPRISES DE SAVOIRS
  • REVUE Z / LES ÉDITIONS DE LA DERNIÈRE LETTRE
  • ROBERT Kévin, ingénieur de recherche
  • ROMETTE Valentin, ingénieur éco-construction 
  • RONEY Cécile, en désertion
  • RONSIN Gaëlle, sociologue
  • ROSO Claire, animatrice dans un Tiers lieu paysan, ex AgroParisTech
  • SAADA Paul, étudiant
  • SANSON Lise, étudiante ingénieure agro
  • SAUXPICART Stéphane, salarié
  • SCHMID Vincent, ingénieur
  • SCHRUIJER Floris, déserteur réalisateur
  • SCHULER Guillaume, fonctionnaire chargé de mission
  • SCOTET Gwennhaëlle, compostrice
  • SERVIGNE Pablo, ingénieur agronome et auteur
  • SILVANT Manon, activiste environnementale
  • SOUBRA Baptiste, ingénieur déformé, doctorant Cnam et Activiste
  • Stephen, déserteur apatride
  • SÉCHAUD Tristan, étudiant
  • TACONNÉ Marie, en reconversion
  • TANGUY Isabelle, coach
  • TERESO Manon, étudiante
  • TERRIER Jérôme, dit Skippy, ingénieur déserteur, dessinateur
  • THIÉBAUT Élise, féministe, autrice, et journaliste française.
  • TOURVIEILLE Samuel, étudiant ingénieur
  • TRIQUENEAUX Sébastien, membre de Scientifiques en Rébellion
  • TRÉHUÉDIC Kevin, enseignant-Chercheur
  • URTIZBEREA Tristan, ex-ingénieur, auteur et formateur
  • VANDAME Emmanuel, paysan
  • VERRON Loris, doctorant
  • VEYER Stéphane, mouvement coopératif
  • VIDALOU Jean-Baptiste, bâtisseur en pierre sèche
  • VIGIER Marie-Paule, infirmière retraitée
  • VINDARD Thomas, en tour de France des initiatives écologistes
  • VIVANT Thomas, paysan
  • VULLIET Jean, activiste, paysan retraité
  • WATEAU Mathilde, onusienne déserteuse
  • WIRTH Antonin, déserteur en 2015, actuellement paysan
  • YOLI Lou , technicienne dans les énergies renouvelables
  • YOUNG Aïdanne, étudiante

Photo de une : immeubles de bureaux en Allemagne / Dietmar Rabich - [1]https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/

Notes

[1CC BY-SA 4.0