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Fantasme de l’invasion, « zéro débarquement » : en Italie, la victoire des partis anti-migrants

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par Rachel Knaebel

Après une campagne marquée par des actes racistes et des discours très durs, les partis anti-migrants ont remporté trois des quatre premières places aux élections législatives du 4 mars. Quelles sont les positions du Mouvement cinq étoiles, du parti d’extrême-droite la Ligue, ou de Forza italia vis-à-vis des étrangers ? Quels seront les effets de ces résultats électoraux sur la question de l’accueil ?

En 2017, près de 120 000 exilés ont débarqué sur les côtes italiennes depuis l’autre rive de la Méditerranée, contre 180 000 l’année précédente. 2873 ont péri dans la traversée, ou sont portés disparus. 4500 personnes avaient déjà subi ce sort en 2016. Depuis le début de l’année, plus de 5000 migrants sont encore arrivés par la mer [1]. L’Italie est ainsi devenu le premier pays d’arrivée en Europe par la Méditerranée, devançant la Grèce [2].

Beaucoup de ces nouveaux arrivants y déposent directement une demande d’asile. En 2016, l’Italie en a enregistré plus de 120 000, sensiblement plus que la France [3]. Les autorités françaises, elles, renvoient systématiquement les migrants arrêtés à la frontière italienne – y compris les enfants non-accompagnés et les femmes enceintes [4] –, ce qui les pousse à tenter le passage par des voies de plus en plus dangereuses (voir notre article). Quel sera le sort de ces nouveaux arrivants venus de pays en proie à la guerre et à l’instabilité, essentiellement du Moyen-orient et d’Afrique, après les élections italiennes du 4 mars qui ont vu des partis portant des discours anti-migrants arriver en tête des résultats ?

63% cumulés pour les partis anti-migrants

Le 3 février, un mois avant les élections italiennes, un militant du parti d’extrême droite la Ligue (ex-Ligue du nord) a ouvert le feu sur des migrants à Macerata, une petite ville dans la région des Marches, blessant six personnes. Dans cette localité, ce parti ouvertement raciste a récolté 20 % des voix le 4 mars [5]. Au niveau national, la formation obtient plus de 17 % des votes, devant son allié Forza Italia, le parti de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi, à 14 %. Au total, avec petit parti Fratelli d’Italia, cette coalition de droite extrême totalise 37% des suffrages. Le Mouvement Cinq étoiles (M5S), fondé en 2009 par l’humoriste Beppe Grillo, obtient à lui seul 32 %, ce qui en fait le premier parti. À Naples, il a même récolté plus de 50 % des suffrages exprimés.

Le Parti démocrate (PD) de centre-gauche, qui était au pouvoir depuis 2013, arrive en deuxième position mais ne récolte que 18 % des voix. Le parti de gauche dissident du PD, « Libres et égaux », obtient un peu plus de 3 % des voix, soit juste assez pour avoir des élus au Parlement. Le parti de gauche citoyenne « Pouvoir au peuple », réalise un score de seulement 1 % [6]. Aucune coalition ne se dessine pour l’instant dans l’optique de former un gouvernement. Arrivé premier, le Mouvement cinq étoiles peut en réclamer la tête, mais reste devancé par la coalition de droite nationaliste.

La Ligue et le fantasme de l’« invasion »

Le Parti démocrate n’était déjà pas caractérisé par sa politique d’ouverture aux migrants ces dernières années. C’est lui qui a signé – avec le soutien de l’Union européenne – des accords avec la Libye pour empêcher les arrivées d’embarcations dans les eaux italiennes (voir notre article). Mais les discours tenus par les leaders des partis ou coalition de partis arrivés en tête sur la question migratoire laissent craindre encore bien pire.

Sur l’île de Lampedusa. Photo : Corrado Matteoni (licence CC).

« Il est évident qu’en matière migratoire, l’objectif des partis qui ont fait les plus gros scores, Cinq étoiles et la Ligue du Nord, n’est pas l’intégration. Pendant cette campagne, tout le monde a fait des déclarations anti-migrants », regrette Filippo Furri, sociologue italien et membre de l’association Migreurop.

Le programme commun de l’alliance de droite entre la Ligue du Nord et de Forza Italia revendique le « blocage des bateaux de migrants » et leur « refoulement », ainsi que le « rapatriement de tous les immigrés illégaux. » La Ligue du Nord n’hésite pas à utiliser le terme d’« invasion ». Silvio Berlunsconi lui-même a déclaré pendant la campagne qu’il voulait renvoyer 600 000 migrants « clandestins ». « C’est assez nouveau pour Berlusconi. Avant pour lui, l’ennemi c’était plutôt les pauvres. Il a rarement parlé, à titre d’exemple, de "priorité aux Italiens" », analyse encore Filippo Furri.

Pour le M5S, « objectif zéro débarquement »

Que prône le Mouvement cinq étoiles, ce nouveau parti apparu il y a moins de dix ans et qui se revendique « anti-système » ? Dans son programme, le M5S parle de « gérer les flux migratoires à court, moyen et long terme », et dit « vouloir s’engager pour des voies légales et sures d’accès à l’Europe ». Mais la rhétorique de campagne du mouvement a largement dérapé de ces propositions a priori modérées. Le leader de la campagne de Cinq étoiles, Luigi Di Maio, a ainsi dit vouloir en finir avec les ONG qui sauvent les vies de migrants en Méditerranée, qualifiées de « taxis des mers. » Un des visuels de campagne du M5S annonçait même un tout autre objectif que celui de créer des « voies sures » : Cinq étoiles y fait campagne sur le slogan « Immigration : objectif zéro débarquement », avec un bateau de migrants à l’arrière plan.

« La communication de Cinq étoiles est souvent très informelle. Tandis que dans leur programme, tout est flou. Ils ne sont clairs sur rien. Du coup, il est difficile d’anticiper ce qu’ils feraient s’ils étaient à la tête d’un gouvernement, souligne Filippo Furri. On peut surtout s’attendre à des actions déstructurées. »

« Quand le mouvement Cinq étoiles a émergé, leur position sur la question migratoire n’était pas claire, dit aussi Caterina Mazzilli, doctorante italienne sur les migrations à l’université britannique de Sussex. Cela a changé depuis, ils vont vers des positions de la droite. Mais je doute que cela aura un impact massif sur les programmes d’accueil des demandeurs d’asile en Italie, en tous cas par à court terme. »

« Je crains une augmentation des agressions racistes »

Au 31 décembre 2017, il y avait 180 000 places d’accueil de demandeurs d’asile et réfugiés en Italie, dont 150 000 places dans les dispositifs d’urgence. Environ 10 000 demandeurs d’asile et réfugiés survivent par ailleurs dans des squats et à la rue, selon Médecins sans frontières, sans aucun accès aux programmes d’accueil. « Il y a deux types de centres d’accueil, poursuit Caterina Mazzilli. Une partie, environ un quart en 2016, est gérée par les mairies. Normalement, les élections n’auront pas de conséquences sur ces centres, qui sont meilleurs d’un point de vue qualitatif. En revanche, le reste des centres, la grande majorité, est sous contrôle des préfectures. Ici, l’impact pourrait être important. Mais ils sont gérés par l’intermédiaire de contrats avec des sociétés privées. Un nouveau gouvernement ne pourra donc pas fermer du jour au lendemain des centaines de centres d’accueil. »

C’est davantage sur le climat général que la chercheuse a des inquiétudes : « Ce que je crains, c’est que ces élections entraînent une augmentation des agressions racistes en Italie, précise-t-elle. Car les partis arrivés en tête légitiment, par leurs déclarations anti-migrants, ces attaques. » Le 5 mars, au lendemain des élections, l’entrée d’une mosquée a été incendiée à Padoue. À Florence, un homme qui disait vouloir se suicider avant de se raviser, a finalement tiré sur un Sénégalais en pleine rue. Ce dernier en est décédé.

Rachel Knaebel

Photo de couverture : Ggia - licence CC BY-SA 4.0.

Notes

[1Chiffres du Haut commissariat aux réfugiés des Nations-unies (UNHCR).

[2En 2015, la Grèce l’avait largement dépassé avec plus de 850 000 arrivées par la mer sur son territoire.

[385 000 demandes en France. Voir ici et ici.

[4Voir ce rapport de Médecins sans frontière.

[5Voir ici.

[6Voir ici.