Le film Femmes rurales en mouvement peut être librement visionné à cette adresse
Tout au long du film, plusieurs femmes de plusieurs territoires ruraux du Nordeste brésilien prennent la parole. Leur point commun : elles font partie d’un mouvement de femmes, le Mouvement de la femme travailleuse rurale nord-est (MMTR), qui défend des pratiques agroécologiques respectueuses de l’environnement. Leur discours est unanime : elles ont une responsabilité individuelle et collective à explorer des modes de production alternatifs pour protéger les ressources de la planète. Ce discours, qui pourrait sembler familier dans un contexte français, est à replacer dans celui du Brésil. L’agro-capitalisme y est « une alliance économique, politique et agricole », décrit Héloïse Prévost. « Le projet agroécologique vient donc s’inscrire dans une dénonciation de ce système hégémonique et de ses effets nocifs. C’est une alternative émancipatrice à cet ordre social et politique. »
Le MMTR, né il y a une trentaine d’années, s’inscrit en continuité de luttes qui sont propres à l’histoire brésilienne, impactée par la colonisation. Le militantisme de ses membres va au-delà de la question écologique, qu’elles considèrent comme intrinsèquement liée à d’autres oppressions, comme le sexisme et le racisme. Ces thématiques sont évoquées unes à unes grâce à la méthode des « mots générateurs » du pédagogue Paolo Freire, choisie pour dessiner le scénario. Les femmes expriment tour à tour ce que signifient pour elles l’agroécologie, le féminisme, l’identité noire, l’oppression… La réflexion sur les systèmes de domination était présente dès la conception du film : l’idée n’était surtout pas que « moi, occidentale, blanche, universitaire, qui ne connais rien à leur réalité, j’arrive et filme de mon côté », explique Héloïse Prévost.
Récits d’une intimité politique
Femmes rurales en mouvement montre différents espaces de mobilisation collective. On assiste à des réunions locales ou encore à la marche des Margaridas – un temps collectif fort regroupant une soixantaine d’organisations et mouvements sociaux ruraux brésiliens – qui a impulsé l’acquisition de droits sociaux et de nouvelles politiques. Cependant, la finalité du projet de film s’apparente surtout à un travail de réappropriation de la parole. Héloïse Prévost explique : « l’idée était de travailler sur soi et pour soi, de ne pas reproduire un schéma classique de prise de parole politique qui “parle à la place de”. Il s’agissait à la place de construire la façon dont on voulait prendre la parole pour le film ». Au-delà de la lutte collective, le MMTR favorise l’émancipation individuelle. De cette dimension personnelle découle le choix de bâtir le documentaire sur des discussions et témoignages de militantes.
Les femmes se filment dans leur environnement quotidien, sur leurs terres, dans leur maison. Leurs activités sont nombreuses : agriculture, artisanat, entretien domestique… Ainsi, nous comprenons les transformations que le MMTR opère sur leur manière de travailler la terre, de penser la répartition des tâches domestiques avec leur conjoint ou de concevoir l’éducation de leurs enfants. L’impact du mouvement va jusqu’à toucher les sphères les plus intimes, comme le confie une des femmes à propos de sa sexualité « Je ne dis pas que c’est le mouvement qui a fait que je vive avec une femme, mais qui m’a aidé à découvrir ma vie sexuelle, l’homosexualité. »
« C’est nous qui sommes derrière la caméra, c’est nous qui sommes devant la caméra »
Ni les femmes du MMTR ni Héloïse Prévost n’ont de formation en audiovisuel ou en création documentaire. Pour réaliser le film, elles se sont prêtées à l’exercice de l’autoformation, que ce soit derrière ou devant la caméra. Héloïse Prévost ajoute « A chaque fois c’est elles qui se filment, c’est leur regard sur elles-mêmes, ce n’est pas mon regard à moi sur leur réalité. » Le documentaire assume joyeusement son caractère autodidacte. Le montage a conservé les hésitations, les questionnements sur la technique ou encore les moments de trac. Des éléments qui rappellent qu’être expert ou experte n’est pas indispensable pour exprimer un discours sincère.
Le film permet aussi de légitimer leur activisme. La co-réalisatrice explique que « le film avait aussi pour but de montrer vraiment ce qu’elles font et de rompre avec les idées stéréotypées d’un mouvement de femmes rurales ». Le processus collectif est allé jusqu’au montage, grâce à des échanges via internet. De même, la diffusion fait partie intégrante de ce projet d’empowerment et a été pensée comme un acte militant. « Il fallait continuer à s’auto-représenter et à pénétrer dans des espaces qui sont traditionnellement fermés aux femmes rurales noires brésiliennes, par exemple les espaces de recherche, les colloques ou encore les espaces de cinéma », témoigne Héloïse Prévost. Femmes rurales en mouvement rappelle donc qu’au-delà du fait de sensibiliser des spectateurs à un enjeu de société, le cinéma documentaire peut être pensé comme un outil d’émancipation si les personnes se l’approprient pour parler de leur propre réalité.
Femmes rurales en mouvement - 2016, 46 minutes
Réalisation : MMTR-NE, Héloïse Prévost
Production et diffusion : MMTR-NE, Héloïse Prévost
Le film peut être librement visionné à cette adresse.
Les Lucioles du Doc
Ces chroniques mensuelles publiées par Basta! sont réalisées par le collectif des Lucioles du Doc, une association qui travaille autour du cinéma documentaire, à travers sa diffusion et l’organisation d’ateliers de réalisation auprès d’un large public, afin de mettre en place des espaces d’éducation populaire politique. Voir le site internet de l’association.