Climat

Fiasco du marché du carbone : qu’attend la France pour agir ?

Climat

par Jean-Michel Naulot

Le marché du carbone devait permettre selon ses promoteurs d’accélérer la transition énergétique. Après dix ans de fonctionnement, il a montré toutes ses limites. Il est temps de remettre ce sujet sur la table des négociations climatiques, défend Jean-Michel Naulot, ancien banquier et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Et d’envisager une véritable taxe, pour sortir de l’inaction face au réchauffement climatique.

Comme régulateur de marchés et comme citoyen, j’ai trop souvent été le témoin ces dernières années du double discours de l’autorité politique pour ne pas douter aujourd’hui de la ferme volonté des chefs d’Etat d’agir face au réchauffement climatique.

Pour le moment, tous les experts admettent que les contributions remises ne permettent pas de respecter l’objectif d’un maintien du réchauffement inférieur à 2 degrés. La Chine qui représente 26% des émissions mondiales de dioxyde de carbone n’envisage d’inverser la courbe qu’en 2030. Les Etats-Unis qui représentent 15% des émissions se fixent enfin un objectif mais restent très évasifs sur les moyens. L’Australie, le Canada (avant l’alternance), la Russie, l’Inde déçoivent fortement. Les pays du Moyen Orient se tiennent à l’écart.

Quant à l’Europe qui se flatte d’avoir réduit de 19% ses émissions depuis 1990 et qui se propose d’atteindre 40% d’ici 2030, elle omet d’apporter quelques précisions qui relativisent ses efforts : les pays de l’Est, qui reviennent de très loin en matière d’émissions, ont été intégrés dans le périmètre d’origine de l’UE pour calculer la réduction des émissions, les grands groupes énergétiques européens ont délocalisé massivement ces dernières années, la zone euro est en croissance zéro depuis 2008.

Le tour de passe-passe de l’aide publique au développement

Certes, avec 77 milliards de dollars, les fonds mobilisés par les pays du Nord pour aider ceux du Sud ne sont plus très éloignés de l’objectif de 100 milliards fixé à Copenhague. Mais, là aussi, la communication est habile.

Le Fonds vert pour le climat, seule partie soumise à une vraie gouvernance Nord-Sud, ne représente que 10 milliards de dollars. Le reste est une agrégation de fonds d’origines multiples : aides publiques multilatérales et bilatérales, crédits privés, financements des banques de développement internationales et même crédits export…

La France elle-même n’est pas exempte de critiques : depuis cinq ans, l’aide publique au développement n’a cessé de diminuer, de 0,50% du PIB en 2010 à 0,36% en 2014, et probablement moins en 2015 et 2016 puisque de nouvelles baisses ont été décidées. L’époque où la France se donnait pour ardente obligation de consacrer entre 0,70% et 1% de son PIB à l’aide au développement est bien lointaine. L’augmentation de 4 milliards d’euros de l’aide publique promise pour… 2020 relève presque du tour de passe-passe après autant de diminutions récentes !

Marché du carbone européen : une contribution comprise entre 0 et 10%

A Bruxelles, personne ne semble douter que le marché du carbone permettra d’accélérer la transition énergétique. Ce marché, imaginé dans les années quatre-vingt-dix par quelques économistes et quelques financiers et proposé par Bill Clinton qui s’en est ensuite sagement tenu à l’écart, devait permettre de limiter les émissions en affichant un prix du carbone dissuasif pour les industriels qui polluent le plus.

Après dix ans de fonctionnement, le bilan est sans ambigüité : d’après l’Institut de l’économie pour le climat, sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique est comprise entre 0 et 10%. Alors qu’il faudrait que le prix du carbone dépasse 30 euros la tonne pour que le marché commence à être efficace, il se situe entre 3 et 8 euros depuis quatre ans. L’Allemagne a ainsi réactivé ses centrales à charbon. Par ailleurs, la faiblesse du prix du carbone et la distribution massive de quotas gratuits, soit-disant pour éviter les délocalisations (40% des quotas jusqu’en 2030), font que les enchères de quotas ne rapportent que 3 à 5 milliards d’euros par an.

Appliquer dès maintenant un prix-plancher du carbone

Face à ce fiasco, les Anglais qui veulent arrêter l’exploitation de leurs centrales à charbon ont décidé d’ajouter une taxe au prix européen du marché du carbone. Le prix du carbone est ainsi de 32 euros pour les producteurs d’électricité britanniques (au lieu de 8 euros).

Cette initiative anglaise vient de retenir l’attention de Ségolène Royal. Au cours du colloque de l’Union Française de l’Électricité, le 8 octobre dernier, elle s’est demandé si la France ne devrait pas « faire cause commune avec le Royaume Uni ». Elle a ajouté qu’un élargissement pourrait être envisagé à l’Espagne, à l’Italie, à la Belgique et à l’Allemagne.

Au même moment, lors de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, Christine Lagarde faisait un plaidoyer en faveur de la taxation du carbone, « une bien meilleure solution » que le marché du carbone.

En cas d’échec persistant, aller vers une taxe carbone européenne

Au minimum, la France pourrait proposer à ses partenaires européens d’annuler les surplus de quotas au lieu de les reporter, de supprimer l’allocation de quotas gratuits, déstabilisante et totalement inefficace, et surtout de prendre dès maintenant l’engagement de basculer du marché du carbone vers une taxe carbone en 2020 si d’ici là le prix du carbone ne se redresse pas au-dessus de 30 euros. Cette taxe serait applicable aux frontières de l’Union pour éviter les concurrences déloyales. La France doit aussi revenir sur l’exonération de la Contribution climat énergie pour les sites industriels couverts par le marché du carbone européen. Cette mesure ne dépend que d’elle.

C’est maintenant, au moment où le réchauffement climatique est au centre de toutes les discussions, où l’attente des citoyens est extrêmement forte, qu’il faut mettre ces sujets sur la table des négociations européennes.

On nous objectera peut-être que la présidence de la Conférence est un exercice suffisamment difficile pour ne pas ajouter des débats aux débats. Mais c’est en affichant une forte volonté politique que l’on aura une chance d’assurer le succès de la Conférence.

Jean-Michel Naulot, ancien banquier, membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de 2003 à 2013, auteur de Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien (Seuil, 2013).

Photo : CC Julien Barrier