Depuis 2019, la Fondation pour l’école (FPE), reconnue d’utilité publique, est au cœur d’une enquête de la brigade financière pour des chefs notamment de faux, fraude fiscale, abus de confiance, escroquerie et blanchiment. C’est l’Inspection générale de l’administration (IGA) qui a saisi le procureur, après avoir produit un rapport que le ministère de l’Intérieur a, pour le moment, gardé confidentiel.
Comme pour toute fondation reconnue d’utilité publique, l’État a un droit de regard sur la gestion de la FPE. Rémi Bourdu, commissaire du gouvernement responsable du bureau des associations et des fondations au ministère de l’Intérieur, chargé de ce dossier, a refusé de répondre à nos sollicitations. La FPE, née d’une rencontre au cœur des courants d’extrême droite, continue de faire profiter son réseau de sa reconnaissance d’utilité publique. Tour d’horizon des principaux impliqués.
Jean-Marie Schmitz, le mentor
S’il fallait qualifier le rôle de Jean-Marie Schmitz dans ce réseau, ce serait celui de mentor intellectuel. Arrivé à la FPE dès le début de l’aventure, Schmitz fait partie du conseil d’administration au titre des personnalités qualifiées et en est membre du bureau. Né en 1943, il a commencé sa carrière au cabinet de François Ceyrac, président du CNPF (Conseil national du patronat français), ancêtre du Medef, avant d’intégrer en 1978 le groupe Lafarge en tant que DRH puis comme directeur général de Lafarge Maroc.
Mais Jean-Marie Schmitz est surtout l’un des fondateurs, en 1981, d’Ichtus (Institut culturel et technique d’utilité sociale), héritier direct de la Cité catholique, « un mouvement d’extrême droite “contre-révolutionnaire” qui connut une certaine influence dans les années 1950 et 1960 », écrit Le Monde [1]. Un réseau fondé par Jean Ousset, militant maurrassien adepte d’un catholicisme nationaliste, engagé dans la pétainiste Jeune Légion pendant l’Occupation. Deux journalistes du Point écrivent à son sujet : « L’organisation d’Ousset se fonde sur le noyautage des élites, seules capables de mener la reconquête d’une société en perdition [2]. »
Dans la lignée d’Ousset, Ichtus est très actif : on le retrouve derrière le Printemps français, mouvement à la pointe du combat contre le mariage pour tous. D’après nos informations, Ichtus est le lieu de rencontre initial des premiers administrateurs de la FPE. Anne Coffinier l’a longtemps fréquenté, Lionel Devic aussi, et Éric Mestrallet a même profité des formations proposées par cet institut présidé par Jean-Marie Schmitz depuis 1997. C’est presque naturellement que l’équipe se monte.
Du sillage de l’OAS au combat anti-IVG
La coloration idéologique de la fondation paraît ainsi inscrite dans ses gènes. D’autant que Jean-Marie Schmitz préside aussi l’association Secours de France, créée dans le sillage de l’OAS, qui défend « les valeurs chrétiennes de la France » et agit pour « l’œuvre civilisatrice de la France ». Jean-Marie Le Pen y a milité. En parallèle, il est administrateur et trésorier de l’association Famille et Liberté, qui défend une vision très traditionnelle de la famille, et préside le conseil d’administration de l’Institut Jérôme-Lejeune, lié à la fondation du même nom, investie dans la recherche sur les maladies génétiques mais aussi dans le combat anti-IVG et anti-euthanasie, en première ligne pour le maintien en vie de Vincent Lambert. Cette fondation participe d’ailleurs à l’ouverture d’une classe destinée à l’accueil des enfants en situation de handicap au sein de l’école Saint-Dominique, présidée par Éric Doutrebente (voir plus loin).
À la Fondation pour l’école, Jean-Marie Schmitz diffuse son aura, ses réseaux et implique même sa famille. Marie de Roussel de Préville, née Schmitz, siège au CA de la fondation avec son père, tout en étant directrice salariée de l’Institut de formation libre pour les maîtres (IFLM), créé par la Fondation pour l’école pour former les enseignants des écoles privées hors contrat…
Éric Doutrebente, le gestionnaire de fortunes
Classé en 2007 parmi les 300 plus grandes fortunes de France, Éric Doutrebente nous est décrit par plusieurs personnes qui le connaissent comme un homme secret. Ce sexagénaire bien connu des milieux financiers parisiens est un ancien de Tocqueville Finance, entreprise de gestion de patrimoine, qu’il quitte en 2007 avec 30 % de la clientèle pour monter sa propre structure : Tiepolo Financière, en charge d’un portefeuille d’un milliard d’euros, et qui apparaît en 2018 dans la liste des entreprises « soutenant » la Fondation pour l’école.
Sur le site de son entreprise, Éric Doutrebente se présente lui-même comme un « héros national ». Ce père de sept enfants est très investi dans le développement de son école privée hors contrat : le groupe scolaire Saint-Dominique, au Pecq (Yvelines), qu’il a créé en 1992. Aujourd’hui, c’est l’une des plus grosses écoles privées hors contrat de France, avec 37 classes accueillant 839 élèves du primaire au lycée. Saint-Dominique est financièrement soutenue par la Fondation pour l’école.
En 2019, Éric Doutrebente, très proche du président de la FPE Lionel Devic – par ailleurs avocat de son école Saint-Dominique –, intègre même le conseil d’administration de la FPE, créant ainsi une situation étonnante : la présence, au CA de la fondation, d’un président d’établissement financé par ladite fondation… Éclatant conflit d’intérêts. Mais, si l’homme jouit d’une si grande influence à la FPE, c’est qu’il en est l’un des plus importants pourvoyeurs de donateurs particuliers. Ces donateurs sont regroupés dans une liste estampillée « EDO » (pour Éric Doutrebente). Nous avons pu en consulter un exemplaire. Y figurent dix-huit donateurs, principalement des chefs d’entreprise, qui ont versé un total d’environ 735 000 euros entre 2015 et 2019 – chaque don est supérieur à 5 000 euros. Parmi eux, Doutrebente lui-même : il a versé 65 667 euros en 2015 et 66 667 euros en 2017, des montants ajustés à l’euro près au plafond annuel défiscalisable de l’IFI, qui est de 50 000 euros (66 667 x 0,75 = 50 000,25).
Pour ces riches donateurs, l’intérêt paraît clair : bénéficier des 75 % d’abattement fiscal sur l’IFI que permettent les dons à une fondation si elle est reconnue d’utilité publique. Éric Doutrebente se serait même vanté d’avoir mis en place un système de restitution des 25 % restants aux donateurs de sa liste, ce qui leur permettrait de faire une opération blanche tout en finançant, aux frais du contribuable, la Fondation pour l’école et, par ricochet… l’école d’Éric Doutrebente. En 2017, Saint-Dominique reçoit 240 000 euros, l’un des plus gros pactoles distribués par la FPE.
Selon plusieurs témoignages concordants, une partie de ces dons seraient touchés « au nom » de l’école Saint-Dominique. Éric Doutrebente appuierait de tout son poids pour faire reverser ces sommes à son école ou à d’autres de son choix. La FPE ne servirait alors que de blanchisseuse pour bénéficier de la défiscalisation, puisque l’argent en sort estampillé « d’utilité publique ». Or le code des impôts est clair : « Les dons consentis aux fondations reconnues d’utilité publique pour le compte d’autres organismes d’intérêt général n’ouvrent pas droit, pour les donateurs, à la réduction de l’IFI. »
Une des donatrices de la liste « EDO » dit ne pas connaître l’école Saint-Dominique, mais affirme avoir, avec son époux, « donné à Espérance banlieues et Espérance ruralités », et confirme que, pour pouvoir bénéficier de la défiscalisation sur l’IFI, « c’est passé par la Fondation pour l’école » : les fondations abritées, telle Espérance banlieues, ont le droit de bénéficier de la défiscalisation de leur structure abritante. Cela dit, motus sur ses liens avec Éric Doutrebente. Cette donatrice ajoute : « Compte tenu d’un certain contexte, je ne ferai pas état de mes relations avec qui que ce soit au téléphone. On ne sait pas qui nous écoute. »
Amitiés chez Radio Courtoisie, édito chez Valeurs Actuelles
Un autre donateur, l’un des plus importants de la liste, se présente comme un « ami de vingt ans d’Éric Doutrebente ». En plusieurs versements, il a déboursé un peu plus de 120 000 euros parce que, nous a-t-il déclaré, « le fisc français ne [le] ménage pas » et qu’il a une dent contre « cette vieille pute qu’est la République ». L’ancien chef d’entreprise confirme : « Il s’agissait de passer par l’école Saint-Dominique. » Comprendre : Éric Doutrebente l’a sollicité pour financer l’école, mais son ami était surtout intéressé par la défiscalisation. Cependant, dès que nous faisons allusion à l’enquête de la brigade financière ou aux accusations de reversement des 25%, l’homme se fâche : « Les autorités en veulent à Éric Doutrebente parce qu’il ne fait pas partie de l’idéologie régnante en France », une cabale qui, selon lui, vise « à installer l’islam en France »(sic).
Éric Doutrebente navigue en effet dans les milieux d’extrême droite. Il est proche de Radio Courtoisie, où l’on retrouve, en tant qu’animatrice, Valérie d’Aubigny, membre du conseil d’administration de la FPE en plus d’être animatrice de formations chez Ichtus. Radio Courtoisie est même « aux ordres », d’après Le Canard enchaîné [3] : « Sa présidente a adressé à son personnel une “note informative” l’invitant à faire le silence sur les “graves perturbations” vécues » à la FPE. Éric Doutrebente rédige régulièrement un édito dans les pages de Valeurs actuelles, et est un invité fréquent de TV Libertés, une chaîne Youtube fondée par des anciens du Front national.
Éric Mestrallet, le serial entrepreneur
Cofondateur de la Fondation pour l’école, Éric Mestrallet est à l’origine, en 2012, des controversées écoles Espérance banlieues, financées par des grandes entreprises et abritées par la FPE jusqu’en 2019. Après des études d’ingénieur et de gestion des organisations, il a suivi des formations à la Cité catholique, devenue Ichtus. Baignant dans le milieu catho-tradi contre-révolutionnaire, il démarre sa vie professionnelle en tant qu’attaché parlementaire de Bernard Seillier, sénateur du Mouvement pour la France, alors présidé par Philippe de Villiers. Naturellement, il s’engage dans la campagne présidentielle du Vendéen, où il rencontre Xavier Lemoine, devenu un ami fidèle. C’est à ses côtés qu’il démarre l’aventure Espérance banlieues : la première école ouvre ses portes en 2012 à Montfermeil, ville de l’est de la Seine-Saint-Denis, dont Xavier Lemoine, membre du parti de Christine Boutin, est maire depuis 2002 [4]. L’établissement a fermé ses portes cette année, officiellement en raison de difficultés financières liées à la crise sanitaire.
Éric Mestrallet fait prospérer son projet au sein de la FPE, qui semble être pour lui un outil bien pratique. D’abord, il scolarise plusieurs de ses enfants dans des écoles financées par la fondation, dont Saint-Dominique, présidée par Éric Doutrebente. Il touche aussi une bourse Pro Liberis – fondation abritée et soutenue financièrement par la FPE –, dont l’objectif est d’aider les personnes en difficulté à financer la scolarité de leurs enfants. Mais, plus encore, Mestrallet a reçu, pendant plus de dix-huit mois, 5000 euros mensuels d’émoluments pour son rôle de président de la fondation Espérance banlieues : une rétribution pourtant proscrite par la convention passée entre les deux structures. En fin d’année 2019, l’information fuite dans Le Canard enchaîné, ce qui entraîne l’exclusion d’Espérance banlieues du giron officiel de la FPE.
Mais Éric Mestrallet est toujours associé à Lionel Devic, actuel président de la FPE, au sein d’une entreprise de conseil, Maecenas [5], impliquée dans le deuxième scandale qui finit de convaincre l’administration de l’existence d’un problème à la FPE : Maecenas facture des prestations de services à des fondations abritées et à des écoles financées par la FPE. Et il reproduit ce procédé avec deux autres de ses sociétés de « conseil » : SPES – holding personnelle – et Arthur Straight. Au total : 88 000 euros de prestations sont facturées sur trois ans. Autant de conflits d’intérêts potentiels.
Maecenas fait aussi parler d’elle au sein de l’association SOS Éducation, proche de la FPE et durement épinglée par la Cour des comptes (lire l’encadré). D’après le témoignage de l’ancienne comptable de SOS, que nous nous sommes procuré, celle qui est partie « écœurée par les magouilles financières » a elle-même établi plusieurs virements « de 6000 à 8000 euros », entre novembre 2016 et décembre 2017, sur le compte de Maecenas, correspondant à une facture totale de 30 000 euros, pour une prestation d’audit dont elle assure n’avoir « jamais vu de compte rendu ».
Les affaires de factures le poursuivent jusqu’au sein du groupe de conseils Arthur Straight, dont il est président, et qui à son heure de gloire embauchait Guillaume de Villiers, fils de Philippe. Cette aventure entrepreneuriale s’est terminée de manière rocambolesque. Lors d’une réunion de crise à l’été 2015 avec le comité stratégique du groupe, où siège Éric Doutrebente, la gestion d’Éric Mestrallet est mise en doute, sur fond de soupçons de double facturation de certains clients au profit de sa holding SPES, concurrente directe d’Arthur Straight. Mais les projets d’expansion du groupe poussent l’équipe à étouffer l’affaire et à trouver un arrangement : Éric Mestrallet est prié de quitter le navire début 2016 avec quelques miettes. Il récupère certaines filiales du groupe, finalement liquidées en 2019.
Noyauter, aspirer, exproprier
Éric Mestrallet exploite à fond le réseau d’affaires d’Arthur Straight. À l’occasion de prestations vendues à la SNCF, il rencontre Fabien Flauw, haut cadre puis directeur général de Sferis – filiale de la SNCF aux 119 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ensemble, ils créent une myriade de sociétés concurrentes de Sferis, alors que Fabien Flauw en est encore le DG. Éric Mestrallet est chargé d’en débaucher des hauts cadres : il se fait même infiltrer dans une réunion de direction par le DG en poste. Le 25 juin 2020, Fabien Flauw et les sociétés concernées sont condamnés par la cour d’appel de Paris à verser 260 000 euros à Sferis pour concurrence déloyale. L’une des sociétés condamnées, les Sentinelles du rail, figure parmi les soutiens de la FPE en 2018… Un engagement « philosophique », assure Flauw, en soutien à « l’engagement remarquable de Mme Coffinier ».
Le processus qui vaudra à Anne Coffinier, qui est à l’origine de la FPE, l’exclusion de son propre projet ressemble étrangement aux méthodes utilisées par Éric Mestrallet dans le monde de l’entreprise, que plusieurs témoins résument en trois mots : noyauter, aspirer, exproprier. En 2017, une plainte a été déposée contre lui à Bordeaux pour abus de confiance et concurrence déloyale. Dans le procès-verbal que nous nous sommes procuré, la victime dit s’être fait aspirer et exproprier de son projet entrepreneurial par celui qui promettait de lui amener des financeurs, tout en se payant 60 000 euros par an… Anne Coffinier a été exclue de la FPE dès lors qu’elle s’est mise à dénoncer les dérives financières. Le conflit qui se solde par son renvoi l’oppose à Éric Mestrallet et Lionel Devic.
Avec un tel parcours, on pourrait penser Éric Mestrallet grillé des circuits. Que nenni ! Depuis mai 2016, il est chargé de mission auprès du maire de Montfermeil, son ami Xavier Lemoine. D’après les services de la mairie de la commune où il a monté sa première école Espérance banlieues, son poste à tiers-temps est relatif à la transition énergétique. Problème : l’ancienne directrice du service en question, en poste entre 2015 et 2017, ne connaît pas Éric Mestrallet, avec lequel elle dit « n’avoir jamais travaillé ». Contacté, Xavier Lemoine affirme : « Éric Mestrallet est directement rattaché à moi. » S’il déclare que la mission de son ami est liée depuis tout ce temps à la transition énergétique, celle-ci devient plus claire en 2019 quand elle se transforme en portage de projets d’économie circulaire pour le Grand Paris auprès des entreprises du bâtiment. De quoi élargir de nouveau son carnet d’adresses entrepreneurial…
Lionel Devic, l’avocat fiscaliste
Depuis 1999, Lionel Devic est avocat associé au cabinet Delsol. D’abord dans la succursale de Lyon, puis à Paris depuis 2011. L’entreprise Maecenas, dont il détient 65 % des parts aux côtés d’Éric Mestrallet, est d’ailleurs domiciliée à l’adresse du cabinet Delsol, à Lyon. Un cabinet connu pour ses positions radicales sur l’impôt : « Ce qui est amoral, c’est qu’une moitié de la population fasse vivre l’autre dans notre pays », clamait Jean-Philippe Delsol, associé, dans une interview en 2012 [6].
Au sein de ce cabinet, qui défend notamment les intérêts de SOS Éducation, Lionel Devic est spécialiste du droit des associations et des fondations, notamment en matière de fiscalité. Il se félicite d’ailleurs des avantages fiscaux accordés par l’État aux fondations, tout en dénonçant certaines restrictions, notamment celle qui définit le « cercle restreint de personnes ». « L’administration tend de plus en plus souvent à considérer qu’une association ne s’adressant qu’à ses membres agit au profit d’un cercle restreint de personnes. L’émergence de cette tendance de fond est tout à fait critiquable, lance-t-il en 2011, lors d’un colloque organisé par la Fondation de France [7]. Si l’organisme est considéré comme ne relevant pas de l’intérêt général, les dons qu’il a reçus ne sont plus déductibles pour ses mécènes. » Or cette défiscalisation est une clé financière importante pour la FPE, qu’il préside. D’autant que certaines pratiques de Lionel Devic pourraient relever du « cercle restreint de personnes » à qui la fondation profite, en plus de contribuer au développement d’une activité lucrative via cette structure. En effet, Lionel Devic, président de la FPE, est aussi l’avocat et le fondateur du Fonds Saint-Dominique, qui chapeaute les écoles du même nom, financées par la FPE et dirigées par Éric Doutrebente, dont il partage aussi les idées.
D’après nos informations, le président de la FPE serait derrière le compte Twitter LeoDeClinvi – anagramme de Lionel Devic –, qui affiche clairement son opposition au mariage pour tous et à l’IVG, ainsi qu’un soutien indéfectible au cardinal Barbarin lorsque celui-ci a été accusé de ne pas avoir dénoncé des faits de pédophilie [8]. Ce même cardinal qui a d’ailleurs donné, en 2013, sa bénédiction au collège Fatima de Lyon créé puis dirigé par Lionel Devic pendant quatre ans et… soutenu financièrement par la FPE.
L’avocat est aussi membre du conseil de surveillance du fonds Proclero, dans lequel sont investies des liquidités de la FPE à hauteur de 300 000 euros en 2019. Le choix s’est porté précisément sur le fonds « D » de l’offre Proclero, le plus avantageux pour la communauté religieuse Saint-Martin : 75 % de la quote-part du gestionnaire lui sont reversés. Sans compter que Me Devic a été conseiller juridique de ladite communauté en 2018…
Ce mélange des genres se répète au cœur de la FPE, qui constitue pour l’avocat un vivier non négligeable de potentiels clients. Outre les facturations faites au nom de sa société Maecenas, il propose ses services d’avocat à de futurs créateurs d’école. D’autres avocats du cabinet Delsol ont aussi vendu quelques prestations à la fondation Espérance banlieues, présidée par Éric Mestrallet, quand celle-ci était abritée… par la FPE.
Nous avons envoyé une série de questions par email à la Fondation pour l’école, à son président Lionel Devic, à Éric Doutrebente, à Éric Mestrallet, à Jean-Marie Schmitz et à Jean-Paul Mongin, ancien délégué général de SOS Éducation. Nous n’avons reçu aucune réponse. Au téléphone, Lionel Devic nous a fait savoir le 16 novembre que lui et la Fondation pour l’école ne répondraient pas. [Mise à jour le 26 novembre] Suite à la publication de cet article, Éric Mestrallet nous a adressé ses précisions, à lire ci-dessous.
Nadia Sweeny
Dessins : © Julien M/www.jul-m.tumblr.com
SOS Éducation : opacité, gros sous et la sympathie de Jean-Michel Blanquer
Créée en 2001 pour « obtenir une amélioration du système éducatif français », l’association SOS Éducation est proche de la Manif pour tous et a la sympathie de Jean-Michel Blanquer : le jour de sa nomination au ministère de l’Éducation nationale, celui-ci a donné une « interview exclusive » à SOS Éducation, où il proposait de « passer par une dépolarisation puis par une repolitisation », et prônait « une offre scolaire autonome » [9]. L’association est également liée à la Fondation pour l’école. Dans un rapport publié le 29 octobre 2020, la Cour des comptes met en exergue les liens entre les deux structures, notamment par le biais de deux fondations abritées par la FPE, dont Aristote, créée en 2015 sous l’impulsion de SOS Éducation, et dont l’objet est de favoriser le « renouvellement des supports pédagogiques » [10].
Pour être abritée par la FPE, Aristote doit apporter une dotation de 50 000 euros. En contrepartie, la FPE assume à sa place la gestion comptable, financière et juridique, en plus de faire bénéficier ses donateurs des avantages fiscaux d’une fondation reconnue d’utilité publique. Or, dans le cas d’Aristote, c’est SOS Éducation qui fournit l’argent par le biais d’une « bourse (de 90 000 euros), en principe destinée à l’édition d’un manuel scolaire de géographie ». Un financement « en violation des statuts de SOS Éducation », note la Cour des comptes. « À l’inverse, en 2017, SOS Éducation s’est purement et simplement approprié un don de 20 000 euros destiné au financement du manuel de géographie de la fondation abritée ». La cour conclut à une « confusion des deux entités », à un « risque de conflits d’intérêts » ainsi qu’à une utilisation des dons à des fins éloignées de ses missions sociales : l’association a dépensé 90 000 euros pour la campagne présidentielle de François Fillon…
L’article intitulé « contre bonne fortune, sacré cœur » contient de nombreuses inexactitudes qui témoignent d’un biais qui affecte la crédibilité de l’ensemble. Au-delà des étiquettes et des amalgames, il me paraît utile de préciser les éléments factuels suivants.
Scolariser ses enfants dans l’enseignement libre n’a rien d’un « profit » et, dans mon cas, tout d’une cohérence. Je n’imaginais pas que l’on puisse juger utile d’évoquer la scolarité de mes enfants mineurs. Même si cela n’est en rien une indignité, je n’ai jamais touché de bourse Pro Liberis en faveur des familles en difficulté.
Si l’on veut bien convenir que tout travail mérite salaire et que l’animation d’une fondation abritée qui compte plus de quinze écoles est un travail, il n’était pas anormal que je perçoive une rétribution à ce titre. Les conditions légales d’une telle rétribution étant établies et le bureau et le Conseil d’Administration de la Fondation pour l’Ecole ayant pris valablement la décision de l’autoriser, il restait à mettre à jour la convention entre la Fondation pour l’Ecole et sa fondation abritée la Fondation Espérance banlieues. Que cette mise à jour n’ait pas été enregistrée par la Directrice Générale de l’époque ne change rien au fait qu’elle a été régulièrement décidée. Ce sujet n’a nullement conduit à une « exclusion » de la Fondation Espérance banlieues par la Fondation pour l’Ecole. Je vous renvoie aux communiqués de presse de l’époque pour y retrouver les raisons véritables.
L’article affirme également que j’aurais facturé 88 k€ à des fondations abritées par la Fondation pour l’Ecole ou des écoles soutenues par elle. C’est inexact. Si j’ai facturé un montant de cet ordre à des associations pour des prestations de services, aucune d’entre elles n’est liée de plus de près ou de loin à Espérance banlieues. Au demeurant, cette somme correspond à trois années de facturation à travers trois sociétés distinctes, ce qui en relativise nettement le montant. Encore faut-il ajouter que sur cette facturation, près de 60% correspond à des refacturations de prestations de sous-traitants...
Je n’ai pas davantage facturé la somme qu’évoque l’article à l’association SOS Education. Une prestation d’un montant significativement inférieur a correspondu à la réalisation effective d’une étude destinée exclusivement à la Direction de l’association. Il n’est donc pas surprenant que la comptable n’ait pas eu connaissance du livrable correspondant.
L’article affirme également que mon départ du groupe Arthur Straight aurait eu lieu « sur fond de soupçon de double facturation ». C’est encore inexact. Il n’y a jamais eu ni double facturation ni même soupçon d’une telle pratique. Les clients du groupe Arthur Straight ont été facturés par ce groupe et les clients de la Holding SPES par cette holding. Il s’est toujours agi de clients distincts.
L’article évoque encore la concurrence déloyale qu’une filiale de la SNCF reproche à l’un de ses anciens dirigeants. N’ayant pas moi-même appartenu à cette société, je n’ai pu évidemment être déloyal à son égard et ne suis donc pas concerné par cette assertion.
Enfin, l’article fait état d’une plainte qui aurait été déposée à Bordeaux en 2017. Jusqu’à ce jour, je n’ai pas eu connaissance d’une telle procédure. A imaginer qu’elle ait existé, force est de constater que trois ans plus tard elle a visiblement été classée sans suite sans même qu’il ait été nécessaire de m’entendre.
Éric Mestrallet
La réponse de Politis et Basta! :
Avant publication de notre article, nous avons fait parvenir à M. Mestrallet de nombreuses questions, auxquelles il a choisi de ne pas répondre. Ces questions portaient sur la plupart des points qu’il aborde ici. Notre article fait état de prestations facturées auprès d’organismes liées à la Fondation pour l’école, pas d’Espérance banlieues. C’est ce que montre l’audit du mois d’avril 2019. Audit qui affirme aussi que « la rémunération de M. Mestrallet s’opposait au cadre statutaire et conventionnel régissant la vie de la Fondation ».
Concernant la bourse Pro Liberis, M. Mestrallet contredit ici une information figurant dans un document qu’il a lui-même écrit et dont nous possédons une copie. En outre, nous n’avons pas affirmé que M. Mestrallet avait appartenu à Sferis, filiale de la SNCF, mais qu’il avait participé, comme indiqué dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris, à une pratique qualifiée de « concurrence déloyale » par la cour et imputée à M. Flauw et à des sociétés dans lesquelles M. Mestrallet a eu un rôle important.
N.S.
Cet article est publié en partenariat avec l’hebdomadaire Politis.