Alternative

Forêt comestible, tourisme solidaire et école alternative : une oasis d’utopies concrètes ouverte sur le monde

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par Jessica Bonvoisin, Samuel Bonvoisin

Et si on arrêtait d’être « contre », pour proposer des solutions concrètes ? Pour transformer l’agriculture et inventer d’autres manières d’apprendre. Et changer notre regard sur nous-même et sur le monde. C’est à ces défis que Jessica et Samuel ont voulu répondre. Ces deux trentenaires, installés dans la Drôme, se lancent dans la création d’un « Oasis en tout lieu » – un concept initié par l’agriculteur et écrivain Pierre Rabhi – qui allie ferme en permaculture, espace d’apprentissage basé sur des pédagogies alternatives et lieu d’accueil pour tourisme solidaire. Objectif : créer leur emploi et construire leur projet de vie, en lien avec un territoire et ses habitants, tout en réinventant les modes de production et d’échange. Témoignage d’un cheminement vers la construction d’une utopie concrète.

Trentenaires engagés, parents de trois jeunes enfants, nous avons quitté il y a 18 mois la ville de Lille avec cette question en tête : et si on arrêtait d’être « contre » ? Nous sentions le besoin de tourner le dos à « l’ère des problèmes » et le désir de poser notre pierre dans « le champ des solutions ». C’est ainsi qu’est né le projet de l’Oasis de Serendip.

Nous sommes ingénieurs agronomes, avec deux parcours très différents : Jessica est le rat des villes et Samuel celui des champs. Pendant sept ans, Jessica a travaillé au sein d’une association régionale de producteurs biologiques. Elle y a notamment mené un projet visant à rendre les produits bio plus accessibles à tous, et notamment aux familles à petit budget. Samuel a vécu des expériences riches dans des mouvements d’éducation populaire, il a contribué à la création de l’association Terre de Liens dans le Nord-Pas de Calais (association qui vise à faciliter l’accès au foncier agricole pour de nouvelles installations paysannes). Ces dernières années, c’est à RECit, le Réseau des Écoles de Citoyens, qu’il a pu expérimenter divers outils d’intelligence collective et découvrir des expériences liées aux pédagogies alternatives.

Inventer le modèle agricole de demain

Jusqu’à récemment, nous avons beaucoup été « contre » : la guerre en Irak, les OGM, la réforme des retraites,… C’est en lisant et en rencontrant des personnalités comme Marc Dufumier, Pierre Rabhi, Antonella Verdiani, Caroline Soost, Isabelle Peloux que nous avons réalisé qu’il est possible d’utiliser notre énergie autrement, en nous mettant au service du respect de l’humain, de la terre, et d’un partage plus équitable des ressources. Qu’il est possible de produire efficacement et en quantité sur de petites surfaces agricoles. Que chaque école devrait avoir accès à un carré de terre et à des outils d’artisanat pour permettre aux enfants d’expérimenter le jardinage, l’agriculture, la création. Que la communication non-violente et la bienveillance sont indispensables pour que l’enfant se construise sur des bases solides. Que tous peuvent apprendre dans la joie, si chacun avance à son rythme et avec les outils qui lui conviennent. Qu’il est précieux – et sans doute plus encore dans les années qui viennent – de connaître les fruits et légumes de saison et les plantes comestibles, de savoir les cultiver, et les cuisiner. Que chacun peut faire sa part pour construire un monde plus juste, sans attendre que le changement vienne d’en haut.

La création d’une ferme nous a semblé le projet le plus urgent et le plus judicieux. Mais quel modèle agricole choisir ? Les systèmes agricoles alternatifs donnent parfois peu envie : temps de travail très conséquent, faible revenu, difficulté à faire reconnaître la profession… Nous en sommes arrivés à cette conclusion : le modèle agricole de demain n’existe pas ! A l’image de ce que réalisent Charles et Perrine à la ferme du Bec Hellouin (lire le reportage de Basta!), nous croyons que c’est par la redécouverte des savoir-faire anciens – comme l’utilisation de l’arbre dans les systèmes agricoles – et en les combinant avec des techniques plus récentes, comme la forêt comestible, que nous contribuerons à inventer l’agriculture de demain.

L’éducation : une présence bienveillante pour que chacun puisse découvrir et libérer ses potentialités

Nous avons également eu la chance de visiter plusieurs classes animées avec des pédagogies dites alternatives, et avons vu les résultats sur les élèves. Nous ne parlons pas (seulement) de résultats scolaires, mais plutôt d’élèves bien dans leurs baskets, respectueux des autres et de la planète sur laquelle ils vivent. Dans une classe où chaque enfant se sent accueilli tel qu’il est, a le droit à la parole et peut s’impliquer dans ses apprentissages, les résultats académiques suivent ! Des instituteurs, des profs – comme Céline Alvarez, Caroline Sost, Isabelle Peloux – en font la démonstration dans leurs classes.

« Nous venons au monde avec le meilleur, le plus adapté et le plus incroyable des dispositifs d’apprentissage jamais inventés : le jeu. Et avec une qualité invincible : l’enthousiasme, analyse André Stern, musicien, auteur et journaliste, qui n’est jamais allé à l’école. Beaucoup croient, de nos jours encore, qu’il existe des gens bêtes et des gens intelligents et que cela est génétique, atavique et/ou fixé à la naissance. Cette croyance obsolète est bien pratique, car elle permet de répartir les uns et les autres en catégories définitives. Or, la neurobiologie moderne a démontré que le processus est aussi simple que limpide : l’enthousiasme agit comme un engrais. Là où nous nous enthousiasmons, notre cerveau se développe de manière rapide et spontanée. (…) En état d’enthousiasme, plus rien n’est inaccessible, et apprendre se "fait tout seul". »

Nos chemins mènent à l’Oasis

A partir de ces découvertes, de ces rencontres, nous avons souhaité utiliser nos compétences et connaissances pour construire un projet qui nous ressemble. Cette étape a été complexe, car il nous semblait impossible de construire un projet agricole sans y inclure un volet éducatif. Et comment envisager de transmettre des savoirs et savoir-faire sans utiliser des supports vivants ? Créer une ferme qui soit la plus autonome possible, oui, mais comment l’intégrer au territoire, et comment impliquer les habitants des environs ? Ce décloisonnement indispensable des activités et le souhait de vivre et travailler avec des individus de tous âges, nous ont vite amenés à répondre avec enthousiasme à l’appel de Pierre Rabhi pour la création d’Oasis en tous lieux. Ce manifeste, diffusé en 1997, incitait les citoyens à lutter contre la désertification économique, culturelle et sociale et des campagnes. De petits groupes locaux ont ainsi créé leur Oasis, et y expérimentent des techniques respectueuses de l’homme et de l’environnement dans des domaines aussi variés que l’habitat, l’énergie, l’alimentation, la culture…

Savez-vous qu’il existe un nom correspondant au fait de « trouver autre chose que ce qu’on cherchait » ? C’est la « sérendipité ». Un concept qui fait écho au conte des trois princes de Serendip (un ancien nom du Sri Lanka), dans lequel trois princes partis découvrir le monde se retrouvent en mauvaise posture. Leur curiosité et leur ouverture au monde qui les entoure les sauvent d’un mauvais pas. Comme dans le conte des trois princes de Serendip, nous mettons à profit la multitude de nos expériences personnelles et professionnelles pour créer l’Oasis de Serendip. Implanté selon les principes de la permaculture, c’est un lieu où l’on pourra venir apprendre à tout âge, observer, partager. Où les familles pourront venir vivre des moments de partage autour d’activités de découverte de la nature.

Lier agriculture, éducation et accueil touristique

Cet Oasis aura trois pôles d’activité interdépendants : agricole, éducatif, touristique. Une production agricole d’abord, avec la plantation d’une forêt comestible, et l’application des principes de la permaculture pour utiliser au mieux les ressources. Le concept de forêt comestible ou forêt jardin est encore peu connu en France, mais il s’agit de cultiver sur un espace restreint le plus possible d’espèces générales comestibles ou utiles à l’homme, en favorisant les synergies. On veille ainsi à mêler des grands arbres (comme des châtaigniers), des arbres fruitiers classiques des vergers (cerisiers, abricotiers), des arbustes (la plupart des petits fruits rouges), des rhizomes (carottes, betteraves), des herbacées (chou, artichaut), des plantes rampantes (fraisiers), grimpantes (vigne, haricots), et des champignons. Ce système devient stable au bout d’une quinzaine d’années. Il est autonome – pas d’intrants extérieurs, pas d’arrosage – et résilient.

Deuxième volet, nous prévoyons l’installation d’hébergements touristiques accessibles à toutes les bourses – camping autogéré, chambres d’hôtes, gîtes. Et enfin, d’une
« école » de 7 à 117 ans, pour permettre à chacun d’apprendre à son rythme et à sa manière. Les pédagogies alternatives (Montessori, Steiner, Freinet) auront leur place dans cette école, et des stages permettront d’approfondir ses connaissances en permaculture, en cuisine des produits de saison, en jardinage – pour les enfants et les adultes, pendant les vacances, et plus tard sur le temps scolaire.

Cultiver les « effets de lisière »

Nous voulons favoriser les interactions entre les différents publics – habitants, travailleurs, vacanciers, enfants, adolescents, adultes… Nous croyons que chacun peut contribuer avec ses compétences et son enthousiasme, et s’enrichir des autres. Afin de maintenir la complexité du système et cultiver cette richesse, nous misons sur ce qu’en permaculture on appelle les « effets de lisière » : des phénomènes qui ne se produisent qu’à l’interface de deux milieux différents.

Ainsi, on sait qu’une végétation spécifique se développe en zone côtière, à l’interface entre la terre et la mer. Dans l’Oasis, les élèves de l’école pourront utiliser la forêt comme un formidable terrain de jeu et d’apprentissage, plus ou moins guidé. Les vacanciers pourront contribuer à l’entretien du lieu, en apprendre plus sur la permaculture, et aller récolter les ingrédients de leur déjeuner dans la forêt. Deux exemples parmi tous les possibles que permettrait un tel lieu. Nous sommes convaincus qu’une fois l’Oasis implantée, une grande variété de nouvelles interactions se révèleront.

L’Oasis de Serendip, un « cocon » pour privilégiés ?

Nous souhaitons construire cette oasis en lien avec le territoire sur lequel nous vivons, celui de la vallée de la Drôme, la si jolie Biovallée. Nous voulons associer les habitants de cette vallée à la plantation et à l’entretien de la forêt comestible, pour qu’ils se l’approprient, et en récoltent les fruits le moment venu. Notre objectif est que chaque arbre planté ait un parrain ou une marraine, du village d’à côté ou d’un peu plus loin, pour que cette forêt comestible soit une aventure collective.

Cette ouverture de l’Oasis au monde est capitale. Nous ne voulons pas créer un lieu de vie et d’expérimentation qui resterait un cocon pour privilégiés, « protégé » du reste du monde. Toutes les bonnes volontés y seront bienvenues pour aménager le lieu, planter la forêt comestible, construire des bâtiments d’accueil… Mais aussi pour mesurer, étudier, calculer tout ce qui peut l’être, pour ensuite pouvoir partager nos résultats agricoles, énergétiques, éducatifs.

L’utopie au service du réel

Notre projet peut évidemment paraître naïf. Et de ce fait, difficilement réalisable. Mais nous croyons en la capacité collective à construire plutôt que de détruire. Les réactions chaleureuses et les propositions d’aide au montage du projet, de coups de main, de chantiers collectifs, et même d’aide au financement nous arrivent de plusieurs coins de France. Notre communication, tantôt sérieuse, tantôt humoristique – comme la campagne #adopteunarbre – nous permet de toucher des personnes plus ou moins sensibilisées à la permaculture, ou à l’écologie.

Nous avons identifié des lieux qui peuvent accueillir notre Oasis et espérons pouvoir nous y installer dans les mois à venir. Une campagne de récolte de fonds (sur KissKissBankBank) est en cours pour quelques jours encore. Quelle que soit son issue, l’aventure de l’Oasis ne fait que démarrer.

Jessica et Samuel Bonvoisin

 Pour en savoir plus et pour rester informés de la construction du projet (via une newsletter), le site de l’Oasis de Serendip : www.oasisdeserendip.net