Après les chômeurs, après les allocataires du RSA, les personnes en situation de handicap sont-elles la nouvelle catégorie de pauvres que le gouvernement va soumettre à des contrôles « renforcés » ? C’est ce que donne à penser un rapport de la Cour des comptes publié le 25 novembre. Celui-ci se penche sur l’allocation adulte handicapé (AAH). Il fustige « l’absence de mécanismes de détection des demandes frauduleuses » de l’AAH et conclut à l’existence d’un « angle mort » en termes « de lutte contre le recours frauduleux à l’AAH ». Les allocataires de l’AAH seraient des fraudeurs potentiels, écrit donc en substance la Cour des comptes, sans fournir aucune donnée sur ces supposées fraudes.
L’AAH est une allocation que peuvent recevoir les adultes qui sont en situation de handicap et dont le taux d’incapacité a été évalué à plus de 50 %. Il existe deux formes d’allocation, explique la Cour des comptes : celle pour les personnes au taux d’incapacité de plus de 80 %, et celle pour les personnes dont le taux d’incapacité est estimé entre 50 et 80 % et qui ne sont pas en situation de pouvoir travailler.
L’AAH est donc là pour assurer un minium de ressources à des personnes qui ne peuvent pas travailler. Elle peut être attribuée pour un an, deux ans, cinq ans, voire plus longtemps pour les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement, et, en de très rare cas sans limitation de durée. En plus, l’AAH dépend de la situation familiale de la personne : quelqu’un qui aurait droit à l’AAH mais qui est en couple avec une personne qui a des revenus au-dessus des plafonds ne touchera aucune aide liée à son handicap.
La Cour veut « instaurer un entretien d’évaluation de l’employabilité » des demandeurs
Le niveau de l’AAH, à 900 euros pour une personne seule depuis le 1er novembre (860 euros auparavant), est en dessous du seuil de pauvreté. Mais à en croire la Cour des comptes, cela coûte trop cher à l’État qui finance l’AAH : « Entre 2007 et 2017, son coût a ainsi connu une augmentation régulière d’environ 400 millions d’euros en moyenne par an, soit + 70 % en dix ans. » Avec plus d’un million d’allocataires, l’AAH est « le deuxième minimum social en France ». Surtout, le nombre d’allocataires aurait trop augmenté, selon la Cour, en particulier ceux dont le taux d’incapacité se situe entre 50 et 80 %.
Cette augmentation est en partie le résultat d’une meilleure prise en compte du handicap depuis la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Ce sont cependant ces personnes que la Cour des comptes soupçonne d’être des fraudeurs masqués. Elle vise aussi leurs médecins, qui pourraient, écrit le rapport, accorder des « certificats de complaisance » aux demandeurs. La Cour préconise donc d’obliger à l’avenir une contre-visite médicale obligatoire avant toute première attribution de l’AAH.
Nulle part dans son rapport, l’institution ne fait mention des délais souvent extrêmement longs auxquels doivent faire face les demandeurs de l’AAH. Comme plusieurs allocataires le racontaient à Basta! dans un précédent article, et comme l’attestent aussi les chiffres officiels, il faut souvent attendre plus de six mois, voir plus d’un an pour obtenir une réponse à sa demande. Dans certains départements, les délais s’étirent jusqu’à 16 mois ! La loi dit pourtant que les demandes d’AAH doivent être traitées en quatre mois. Mais cela, la Cour des comptes se garde bien de l’écrire. Elle préconise plutôt d’« instaurer un entretien d’évaluation de l’employabilité préalablement à l’attribution de l’AAH » pour les personnes au taux d’incapacité entre 50 et 80%.
Des recommandations qui « jettent la suspicion sur les bénéficiaires de l’AAH »
Même une association institutionnelle comme APF France (anciennement "association des paralysés de France") a jugé dans un communiqué ces recommandations « inquiétantes car elles jettent la suspicion sur les bénéficiaires de l’AAH, remettent en cause l’accès effectif aux droits et se situent dans une seule perspective de soutenabilité financière de la dépense pour l’État ». L’APF critique la « présomption de fraude potentielle à l’AAH » qui tient d’une « représentation erronée des démarches des bénéficiaires de minima sociaux alors que plusieurs études ont démontré que la fraude sociale était résiduelle et qu’il s’agissait bien souvent d’erreurs des allocataires et non d’une volonté délibérée de frauder ».
Ce rapport de la cour des comptes entre dans la droite ligne d’une politique qui place par principe les allocataires sociaux sur le banc des accusés. Depuis début 2019, les chômeurs font face à un nouveau régime de sanctions (lire notre article). Depuis début novembre, la réforme du chômage réduit les droits des plus précaires (lire notre article).
Au Royaume-Uni aussi, il y a une dizaine d’années, le gouvernement avait mis en œuvre des sanctions contre les personnes handicapées et en longue maladie, considérant que beaucoup n’étaient pas vraiment en incapacité de travailler. Puis ces sanctions avaient été étendues à l’ensemble des demandeurs d’emplois et des travailleurs pauvres qui perçoivent une allocation. Puis, toutes les allocations sociales (handicap, RSA, aide au logement…) ont été fusionnées dans un système dit de « crédit universel ». Macron a le même projet avec son « revenu social universel ». Une fois toutes les allocations fusionnées, tous les allocataires seront-ils de même soupçonnés de frauder ?
Rachel Knaebel
Photo : Lors d’une manifestation d’Handi-social / © Handi-social.