Arnaque

GDF Suez construit des centrales hydroélectriques... avec du plastique

Arnaque

par Agnès Rousseaux

Une turbine s’est effondrée dans la centrale hydraulique Dos Mares au Panama, appartenant au groupe GDF-Suez. La multinationale avait pourtant bénéficié d’un prêt de 220 millions de dollars de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour son projet qui visiblement n’est pas fiable. On se demande à quoi l’argent a servi...

Une turbine de la centrale hydraulique Dos Mares au Panama vient de s’effondrer, après de fortes pluies. Cette centrale appartient au groupe GDF Suez, par l’intermédiaire de deux filiales, Alertnegy SA et Bontex SA. Le projet était déjà très controversé avant cet accident : les canaux d’écoulement ont été terminés non avec du ciment mais avec du plastique, qui flottait dans l’eau de la rivière avant même que la centrale ne soit opérationnelle. En août 2010, un village voisin a été inondé après l’ouverture d’une écluse par le constructeur, révèle un rapport de l’ONG Counter Balance, basée à Bruxelles.

Cette étude, menée en mai 2011, montre que le coût de production d’électricité du site, qui comprend trois centrales hydrauliques « au fil de l’eau », est trois fois supérieur au coût moyen au niveau international [1]. Et le nombre d’hectares de terre qui ont fait l’objet d’une expropriation pour le projet – plus de 35 hectares par mégawatt à la centrale de Guacala – est également nettement supérieur aux besoins habituels, attisant les soupçons d’accaparement de terres par l’entreprise, en vue d’une revente ultérieure. Des membres du service de sécurité de l’entreprise Odebrecht, qui gère la partie construction civile du projet, ont par ailleurs été condamnés en 2007 pour le meurtre d’un responsable du syndicat Suntracs. Cette entreprise est également connue pour les mauvaises conditions de travail de ses salariés, selon Counter Balance.

Un projet financé par l’Europe

Ce mégaprojet, encore en construction, et dont Alstom et Areva sont aussi partenaires, a été soutenu par la Banque européenne d’investissement (BEI). Celle-ci a accordé à GDF Suez un prêt de 220 millions de dollars (pour un coût total du projet de 498 millions de dollars). Le Panama est le troisième bénéficiaire de la BEI dans la région Asie-Amérique latine, après le Brésil et la Chine. Un tout petit pays, où les prêts d’investissement accordés sont plus importants qu’en Indonésie, en Inde ou en Argentine... Sans doute ce paradis fiscal sait-il se rendre attractif ! La BEI y a investi, sous forme de prêts, 709 millions d’euros.

Pourquoi GDF Suez s’est-elle lancée dans le projet ? « Plusieurs indicateurs ont révélé le Panama en tant que pays privilégié pour la réalisation de la centrale Dos Mares comme la nécessité d’investissements à court terme dans un pays disposant d’une stabilité politique et d’une régulation transparente » (sic) [2]. En 2009, GDF Suez évoquait la construction de la centrale en ces termes : « Gualaca, Lorena, Prudencia, río Chiriquí, Cochea et Papayal, autant de noms qui laissent rêveur et qui font allusion à des contrées exotiques ou à des souvenirs de vacances ensoleillées... » Dos Mares est le 17e barrage dans le secteur. Une surcharge qui provoque des dommages environnementaux, critique Counter Balance. Loin des images bucoliques que tente de véhiculer GDF Suez, qui contrôle 20 % du marché de l’énergie hydraulique au Panama.

Counter Balance demande un audit de la part de la BEI, qui « n’est clairement pas capable d’assurer le suivi de ses projets ». Le chantier de Dos Mares est, selon l’ONG, la « chronique d’un échec annoncé ». La BEI, plus importante institution financière publique du monde en ce qui concerne le volume de prêts, dont l’État français est actionnaire, est spécialiste des décisions opaques. Et manque visiblement de garanties quant à la sécurité et à la fiabilité des projets qu’elle finance, comme ce tunnel de 26 km au cœur d’un projet hydraulique en Éthiopie, qui s’est effondré dix jours après l’inauguration. L’exemple de Dos Mares, avec ses bâches en plastique éventrées et sa turbine écroulée, vient une nouvelle fois le confirmer.

Agnès Rousseaux

Sur l’effondrement de la turbine :