Palestine

Gaza : « Chaque fois que les yeux se ferment avec la fatigue, les cauchemars arrivent, pour les enfants et pour moi »

Palestine

par Rédaction

Ali* enseigne le français à Gaza. Le 17 mai, un immeuble voisin du sien a été bombardé. Avec sa famille, il s’est réfugié chez des proches. Aujourd’hui, il répare ce qui a été démoli, ne peut pas dormir, et pense à partir. Témoignage.

Après le cessez-le-feu instauré le vendredi 21 mai entre Israël et le Hamas, les habitants de Gaza manquent de tout. Les bombardements israéliens ont duré plus de dix jours et ont fait près de 250 morts parmi les Palestiniens, 12 côté israélien. Ali [1], Gazaoui, enseignant de français dans la ville de Gaza, a dû quitter son logement le lundi 17 mai quand un immeuble voisin du sien a été bombardé. Depuis, il tente de réparer les dégâts. Basta! a recueilli son témoignage.

« Beaucoup de gens m’appellent depuis la semaine dernière pour savoir si nous sommes toujours vivants et comment on vit. Personne ne peut imaginer notre situation. Ce qu’on a vécu à Gaza auparavant, ce n’était rien par rapport à l’expérience de cette agression. J’habite dans le quartier Al-Rimal, où il y a eu beaucoup de morts et de gens blessés dans les bombardements. Mon bâtiment aussi a été endommagé, des fenêtres, des portes, des vitres ont été cassées. J’ai été blessé légèrement par les éclats de verre.

« Nous avions préparé nos deux petites valises avec nos passeports, certificats, diplômes et de l’argent, pour être prêts à quitter le quartier en cas de bombardement »

J’habite dans le quartier le plus riche, le plus moderne de Gaza, où il y a beaucoup de boutiques, deux hôpitaux, beaucoup d’écoles. Lundi 17 mai, en fin d’après-midi, un bâtiment qui se situe à une vingtaine de mètres de mon immeuble a été bombardé. Parmi les voisins, un homme et une fillette sont morts dans ce bombardement. Ils ne se trouvaient pas dans l’immeuble mais ils ont été touchés par des pierres du bâtiment. Ce jour-là, mon épouse et ma fille dormaient dans le salon, dans un coin de la pièce éloigné des fenêtres. J’étais juste à côté dans une chambre, je parlais au téléphone avec un ami de Bethléem qui voulait savoir si on était toujours vivants et si la situation s’arrangeait.

Quand ils ont bombardé, je suis tombé, je n’ai pas pu tenir debout. Les fenêtres ont été brisées. À peine je suis arrivé dans la salon que j’ai tiré mon épouse et ma fille vers une pièce au fond du logement. Elles n’avaient pas la force de se lever seules. Nous avions préparé nos deux petites valises avec nos passeports, nos documents, certificats, diplômes, et de l’argent, pour être prêts à quitter le quartier dans le cas d’un bombardement. C’est la première fois depuis 1948 qu’ils bombardent ce quartier. J’ai appelé une ambulance pour l’immeuble voisin. Mais ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas venir tout de suite car quand il y a des bombardements, personne ne bouge. Mon beau-frère m’a envoyé deux de ses enfants pour nous chercher, il habite dans la même rue, à 15 ou 20 minutes de chez moi. Mais nous avons été obligé de faire un détour à cause des bombardements. Cela m’a pris une heure et demi pour faire un kilomètre.

« Le problème maintenant, c’est qu’il n’y a plus que trois ou quatre heures d’électricité par jour. Et sans électricité, plus d’eau courante »

Quand nous sommes arrivés chez mon beau-frère, je n’arrivais pas à tendre mes mains ni mes jambes, je n’arrivais pas à tenir un verre d’eau. On ne pouvait pas dormir, et chaque fois que les yeux se ferment avec la fatigue, ce sont des cauchemars qui viennent, pour les enfants, et pour moi aussi.

Depuis le cessez-le-feu, on nettoie. J’ai changé les vitres de l’appartement, les étagères… je n’ai pas encore terminé. Dans la cuisine aussi, la vaisselle est cassée. Mais ce n’est rien par rapport aux personnes blessées, à celles qui ont perdu des proches. On a le moral très bas. Psychologiquement, nous avons besoin de médecins, de psychologues. Je suis toujours fatigué. Et on oublie les choses, on ne peut pas se concentrer depuis les bombardements. Le problème maintenant, c’est aussi qu’on a plus qu’entre trois et quatre heures d’électricité par jour. Sans électricité, nous n’avons pas non plus l’eau courante. C’est possible d’acheter de l’eau minérale, mais cela coûte très cher. Nous remplissons donc des marmites, des assiettes, des verres quand il y a de l’eau pour en avoir pour notre toilette. La vie est très difficile.

« À l’époque, la vie était magnifique. On pouvait sortir de Gaza tranquillement, aller en Israël, gagner notre vie. Aujourd’hui, on ne peut plus sortir d’ici »

Hier, la décision a été prise de terminer dès maintenant l’année scolaire, sauf pour les classes qui passent le bac. Nous pensons à quitter Gaza, pour les enfants. Ici, le chômage pour les jeunes, c’est presque 80 %, il n’y a pas d’espoir. On verra si cela change dans les mois ou les années qui viennent. J’ai fait des études en France et quand je les ai terminées, je suis rentré travailler à Gaza. À l’époque, en 1990, la vie était magnifique ici. On pouvait sortir de Gaza tranquillement, aller en Israël, gagner notre vie. Aujourd’hui, on ne peut plus sortir d’ici. »

Recueilli par Rachel Knaebel

Photo : Hosny Salah via Pixabay

Notes

[1Son prénom a été changé à sa demande.