6000. C’est le nombre de dossiers en retard empilés sur les bureaux de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Vaucluse, avant l’été. Toutes ces dossiers sont pourtant potentiellement urgents : des demandes d’accompagnements d’élèves en situation de handicap pour la rentrée, d’allocation adulte handicapé, d’aide pour la vie quotidienne pour des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, s’habiller ou se laver seules. Chaque jour ajoute de nouveaux dossiers, aux piles de ceux déjà en souffrance.
« Les agents n’en peuvent plus, ils font tout pour aller au plus vite », témoigne une représentante de la Fédération syndicale unitaire (FSU). Le 4 juillet, les employées – en très grande majorité des femmes – de la MDPH du Vaucluse se mettent en grève. Elles revendiquent auprès du département un budget adapté et plus de personnels. Finalement, la MDPH embauche huit contractuelles pour tenter de résorber le retard. « Elles ont été formées une demi-journée », signale Annabelle Pascal, déléguée CGT. « Et seules six se sont présentées, en fin de compte. » Les agents demandent l’embauche durable de douze personnes supplémentaires.
« La MDPH est un service public, et ses usagers sont les plus fragiles »
« On dit aux agents de traiter vingt dossiers par matinée au lieu de quinze, retrace la représentante FSU. Mais derrière les dossiers, ces sont des humains. Pour certains, il faut plus de temps, c’est en fonction des cas. La MDPH est un service public, et ses usagers, ce sont les plus fragiles. Ce qui s’y passe n’est pas digne d’un service public. Ce qui fait tenir les agents, c’est la conscience professionnelle. » Selon la déléguée syndicale, de 6000 dossiers en retard en juin, le chiffre a seulement baissé à 5200 en octobre.
Dans nombre de MDPH, les situations sont explosives. Les délais de traitement des dossiers dépassent souvent les six mois, jusqu’à 16 mois pour les adultes [1]. La loi précise pourtant que les demandes doivent être traitées en quatre mois (lire notre article : Les personnes handicapées confrontées à des délais scandaleusement longs pour bénéficier d’une aide).
« Le problème, c’est qui va payer ? »
Les MDPH ont été créées en 2005 par la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », afin de centraliser les demandes d’aides, pour les enfants comme pour les adultes. Depuis, le nombre de demandes n’a cessé d’augmenter. Le nombre d’enfants bénéficiaires de l’allocation d’éducation d’un enfant handicapé (AEEH, qui peut-être attribuée jusqu’à l’âge de vingt ans) a plus que doublé depuis 2002 [2].
Sur les demandes de prestation de compensation du handicap, pour financer une aide humaine pour les gestes de la vie quotidienne ou par exemple pour aménager un véhicule pour pouvoir conduire quand on est en fauteuil roulant, le nombre de demandes a été multiplié par quatre entre 2006 et 2017 [3]. C’est le reflet d’une meilleure prise en compte du handicap, dans ses différentes formes, et d’un meilleur recours des personnes concernées à leurs droits. En soi, cette augmentation n’est donc pas négative. Mais les moyens n’ont pas suivi, comme le reconnaît elle-même la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), au sujet des très longs délais de traitement : « L’augmentation des demandes face à des moyens stables explique cette situation » [4].
« Le problème est très simple : qui va payer ? L’État ne finance pas assez », résume Yves Mallet, de l’association Coordination handicap autonomie. Les MDPH installées dans chaque département français sont financées à plus d’un tiers par l’État, à 30 % par les conseils départementaux et à 27 % par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA, dont le financement provient de l’Assurance-maladie et d’une partie de la CSG) [5]. Les différentes aides liées au handicap sont également financées par plusieurs sources. L’allocation adulte handicapé (AAH) et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) sont payées par la Caisse d’allocations familiales (Caf) ou la Mutuelle sociale agricole.
Les prestations de compensation du handicap (PCH), elles, proviennent en grande partie des caisses des départements. Or, les dépenses de PCH ont été multipliées par sept ces douze dernières années : de 277 millions d’euros en 2007 à 2,1 milliards en 2019. Dans le même temps, la somme versée aux département, pour ces aides, par la CNSA augmente à peine : de 530 millions en 2007 à 623 millions en 2019 [6].
(Cliquer sur l’image pour agrandir) – Ce sont de plus en plus les départements qui financent les aides de prestation de compensation du handicap (aides humaines pour la vie quotidienne, aménagement de véhicules…) ©CNSA.
« J’ai été accusée d’être trop gentille avec les personnes handicapées »
Pire, les subventions versées aux MDPH pour fonctionner ne sont pas forcément revalorisées en fonction du nombre de dossiers qu’elles ont à examiner. Ainsi, dans le Nord : « Le montant des subventions versées n’a jamais été indexé à l’activité dont la courbe ne cesse de croître », pointe la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie [7]. Les départements peuvent se retrouver face à des choix budgétaires compliqués.
Un système qui génère des inégalités de traitement des usagers selon les territoires : « Les MDPH sont tributaires des politiques départementales, confirme un directeur de centre médico-social pour enfants lourdement handicapés, qui siège à ce titre dans une commission de ces maisons départementales. Elles auront plus ou moins de personnels selon les priorités politiques des différents départements. »
Les médecins peuvent également être mis sous pression par l’administration et ses contraintes budgétaires : « J’ai pour ma part été accusée d’être trop gentille avec les personnes handicapées, témoigne une médecin salariée d’une MDPH. Certains administratifs émettent des jugements de valeurs sur les pathologies. Si les gens sont considérés comme des "cas sociaux", ça les pénalise – les alcooliques, les toxicomanes, les séropositifs subissent ces préjugés, par exemple. Les personnes qui ont des pathologies que les administratifs ne comprennent pas toujours, comme les pathologies psychiatriques ou neurologiques, sont elles-aussi pénalisées. »
« Dès qu’on s’adresse à la MDPH, on sait que ça va être un combat »
Les MDPH emploient des personnels très divers : des agents chargés des taches administratives, des médecins, des personnels détachés de l’Éducation nationale, des personnes spécialisées dans le droit de la compensation du handicap… Un enseignant chargé de suivre les demandes des parents, pour des heures d’accompagnement à l’école, pour un transport accessible ou des places en établissement spécialisé, explique suivre 200 dossiers : « C’est en inflation constante. Mais je suis une simple courroie de transmission, je ne décide rien. »
« Je vois bien que les personnels des MDPH ne sont pas assez nombreux, témoigne également le directeur de centre médico-social. Ils font ce qu’ils peuvent ». Il rapporte le cas d’une femme venue en commission départementale. Son époux est atteint d’une maladie dégénérative qui peut évoluer rapidement. Face à la commission, elle raconte comment, entre le moment où elle a déposé le dossier et celui où elle vient s’exprimer, l’état de son mari s’est encore aggravé. « Voir cette femme qui parle de son époux qui dépérit… », se souvient le directeur de centre. « Le temps de traitement des dossiers est évidemment trop long. »
« Les parcours des gens sont parfois très difficiles », souligne aussi l’enseignant référent, pour les enfants handicapés, pour leurs parents, comme pour les adultes qui ont affaires à l’administration. Lény Marques, porte-parole du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (Clhee), résume : « Dès qu’on s’adresse à la MDPH, on sait que cela va être un combat. » Il s’agit pourtant d’un droit prévu par la loi.
Rachel Knaebel
– Photo : Lors d’une manifestation d’Handi-social / © Handi-social.