4,7 milliards d’euros. C’est la somme que l’État français a dépensée en 2020 pour son arsenal nucléaire militaire. Pour l’ensemble des neufs États possédant des armes nucléaires (États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France, Inde, Israël, Pakistan, Corée du Nord), les dépenses effectuées en 2020 pour les entretenir se chiffrent à plus de 60 milliards d’euros (72 milliards de dollars) selon les dernières données rassemblées par la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), une coalition d’ONG qui a reçu en 2017 le prix Nobel de la paix.
« Pendant que les lits d’hôpitaux se remplissaient de patients, que les médecins et les infirmières infirmières faisaient des heures supplémentaires et que les fournitures médicales de base manquaient, neuf pays ont découvert qu’ils disposaient de plus de 72 milliards de dollars pour leurs armes de destruction massive, soit 1,4 milliard de dollars de plus que l’année dernière », écrit l’ICAN dans un rapport [1] publié début juin.
En France, chaque minute, 8969 euros d’argent public sont dépensés pour l’arsenal nucléaire, alors que la pandémie de Covid frappe le pays. « C’est autant d’argent qui n’a pas été consacré à la santé ou à l’éducation de ses citoyens », pointe la branche française de l’ICAN dans un communiqué. L’argent mobilisé pour l’arsenal nucléaire va en revanche aux grandes entreprises d’armement, Airbus, BAE systèmes, Safran… qui participent à la production et l’équipement des missiles nucléaires.
Un traité international sur l’interdiction des armes nucléaires entrée en vigueur cette année
La somme de 4,7 milliards d’euros alloués à la dissuasion nucléaire française l’année dernière comprend les coûts annuels des têtes nucléaires, de la modernisation et du renouvellement des missiles de croisière – avec le nouveau M51 conçu par une filiale d’Airbus et de Safran – et de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (cinq navires et bientôt six en service, cinq plus modernes en projet). En 2020, « la France a consacré environ 11 % de son budget militaire total aux armes nucléaires en 2020 », précise l’ICAN. Selon la dernière loi de programmation militaire, votée en 2018, la France se fendra d’une somme supplémentaire de 27,85 milliards d’euros pour la dissuasion nucléaire entre 2021 et 2025 .
« Théoriquement, il était prévu un débat parlementaire sur la révision de la loi de programmation militaire, mais le ministère de la Défense a décidé de faire sans. Ce débat aurait pourtant peut-être permis une discussion parlementaire sur la pérennité de l’arme nucléaire », regrette Patrice Bouveret, membre de l’ICAN avec l’organisation française Observatoire des armements. Pour lui, un tel débat est d’autant plus nécessaire depuis l’entrée en vigueur du Traité international sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), le 22 janvier 2021.
Ce traité a été adopté par 122 États en 2017. Fin 2020, il a atteint le quota de ratification par 50 États, le seuil nécessaire à son entrée en vigueur. En Europe, le Liechtenstein a signé le traité, l’Autriche, l’Irlande, Malte, le Saint-Siège et Saint-Marin l’ont ratifié. La France ne l’a ni signé ni ratifié [2].
« Si le RN arrive au pouvoir, comment cela va se passer pour l’arme nucléaire ? »
Le gouvernement français défend son refus d’adhérer au traité par trois raisons : il juge le TIAN « "inadapté" au contexte sécuritaire international marqué par la résurgence des menaces d’emploi de la force » ; ce traité ne servira pas, selon le gouvernement français « la cause du désarmement, puisqu’aucun État disposant de l’arme nucléaire ne le signera » ; et il fragiliserait une « approche réaliste d’un désarmement s’effectuant étape par étape." » [3]. Les États-Unis dépensent sept fois plus que la France pour leur programme nucléaire, la Chine deux fois plus. Israël et le Pakistan y consacreraient environ un milliard de dollars, la Corée du Nord 670 millions, selon le rapport. Autre pays européen à disposer de la puissance nucléaire, le Royaume-Uni dépense l’équivalent du budget français.
Le problème, juge Patrice Bouveret, c’est que l’État français ne permet pas non plus de débat sur ces positions : « À partir du moment où 122 pays s’engagent sur une interdiction des armes nucléaires, la dissuasion nucléaire ne peut plus jouer le même rôle à l’encontre de ces pays-là. Cela mérite d’en discuter. Or la France refuse de participer à ce débat-là, même au niveau international. Nous estimons que ce refus est anormal. »
L’ICAN appelle aussi l’ensemble des pays membres de l’OTAN qu se réunissent en sommet ce 14 juin à adhérer au TIAN. « Car l’arme nucléaire est un facteur de tension », dit Patrice Bouveret. Il soulève aussi la question des élections présidentielles françaises : « Si le RN arrive au pouvoir, comment cela va se passer pour l’arme nucléaire ? Aujourd’hui, c’est le président qui détient le pouvoir de déclencher l’arme nucléaire. »
Rachel Knaebel
Photo : CC BY-NC 2.0 Kelly Michals via flickr.