Pressé par l’intensité du mouvement #Metooinceste, le gouvernement a annoncé le 9 février par la voix de son ministre de la justice Eric Dupont-Moretti qu’il allait changer la loi afin de mieux punir les violences sexuelles sur les mineurs [1]. Tiendra-t-il ses promesses ? En novembre 2017, fraîchement élu président de la République, Emmanuel Macron s’était engagé à instaurer un « seuil d’âge » à 15 ans, en deçà duquel le consentement d’un mineur à des actes sexuels ne pourrait être invoqué. Suite à un avis du conseil d’État affirmant que l’instauration de ce seuil d’âge portait atteinte au principe de la présomption d’innocence, Emmanuel Macron était revenu sur ses promesses.
Dans le code pénal français, c’est le mode opératoire de l’agresseur qui définit les contours du viol, non ce qu’en dit la victime. Le viol désigne « tout acte de pénétration sexuelle (…) commis par violence, contrainte, menace ou surprise ». Charge à la victime de démontrer qu’elle n’était pas consentante. Y compris si elle est mineure. Y compris en cas d’inceste, qui représente l’écrasante majorité des viols et agressions sexuelles commis sur les mineur.es. Les magistrats peuvent bien sûr considérer que l’autorité, la dépendance matérielle et affective ou la différence d’âge sont des moyens de contraindre un enfant – et de fait beaucoup d’entre eux le font. Mais ils peuvent aussi en douter, même si les victimes sont âgées de 6 ou 7 ans [2].
Compte tenu de cette difficulté à prouver la contrainte, beaucoup des pénétrations commises sur les enfants se retrouvent déqualifiées en délit d’atteinte sexuelle, pour lequel on n’a pas besoin de démontrer l’absence de consentement, et qui entraîne des peines plus légères [3]. Une grande partie des viols sur mineurs se retrouvent jugés en tribunal correctionnel, et non aux assises où l’on s’occupe pourtant des crimes les plus graves.
Des viols jugés comme des délits
La loi du 3 août 2018 dite « loi Schiappa », a tâché de remédier à ce problème en précisant la définition de la contrainte, qui peut désormais découler « d’une différence significative d’âge » ou encore « de l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». « C’est un premier pas, pense Michelle Dayan, avocate, et membre de Lawyers for women [4]. Mais ce n’est pas suffisant. L’absence de discernement n’est pas caractérisée par le seul âge de la victime. Cela reste à l’appréciation des juges. » Il arrive donc encore régulièrement que des faits de viols soient jugés au tribunal correctionnel, comme le démontre la récente affaire « Julie », qui accuse 22 pompiers de l’avoir violée entre ses 13 et 15 ans, et dont trois seulement sont poursuivis pour atteinte sexuelle [5].
Pour les mineurs, comme pour les majeurs, la correctionnalisation est un outil de gestion, qui permet de pallier les trop faibles moyens de la justice française. Moins long, un procès en correctionnel coûte moins cher. Cela explique pourquoi les pouvoirs publics n’y sont pas vraiment défavorables, au contraire. « Au moment où la loi du 3 août 2018 a été votée, le code de procédure pénale était modifié avec une incitation très claire à correctionnaliser les viols sur mineurs en délit d’atteinte sexuelle, remarque Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à l’université de Nanterre. Cela interroge, et ne correspond pas à une stratégie de lutte contre la correctionnalisation. »
Poser un interdit clair
Ceux et celles qui défendent les victimes d’inceste pensent que la marge d’appréciation laissée aux juges en matière de consentement des enfants, et donc à l’ensemble de la société, doit être supprimée. « Il faut une définition qui exclut toute discussion sur le consentement en deçà de 15 ans, avec une spécificité sur l’inceste, qui se situerait alors en deçà de 18 ans », explique Marie-Pierre Colombel, présidente de l’association Enfance et partage [6]. « L’interdit légal doit être très clair, ajoute Catherine Le Magueresse, juriste et docteure en droit [7]. Un adulte ne peut jamais avoir de relation sexuelle avec un mineur. Point. Il faut que la loi protège vraiment les enfants de la prédation des adultes. »
Certains pays, comme la Belgique, l’Angleterre, le Canada ou encore la Tunisie, ont d’ores et déjà fait ce choix. Si cette option était retenue par la France, des précisions pourraient être apportées pour protéger la sexualité des mineurs, sachant que le risque de voir de vraies idylles poursuivies par les tribunaux est minime. Alors que l’impunité des violeurs d’enfants est massive. « La loi a des vertus pédagogiques, souligne Michelle Dayan. S’il y a un seuil d’âge, ceux qui essaient de se convaincre qu’une enfant de 11 ou 13 ans est consentante se raconteront peut-être moins d’histoires… »
« Un acte de pénétration sexuelle, accomplie par un adulte sur un mineur de moins de 15 ans, sera un viol », a affirmé le ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti, ajoutant qu’il faudra également que « l’on puisse démontrer que l’auteur connaissait l’âge de la victime ». Pour Catherine le Magueresse, cette nuance est problématique, même si, en cas d’inceste, il sera difficile pour l’agresseur de dire qu’il ne connaissait pas l’âge de sa victime. « Cela laisse quand même une échappatoire dangereuse. Si l’initiateur peut prouver qu’il s’est trompé sur l’âge, cela ne va pas. C’est une défense trop facile, et c’est terrible pour les victimes. » La juriste cite à nouveau l’affaire « Julie », dont 19 des agresseurs ne comparaissent pas précisément parce qu’ils affirment avoir ignoré l’âge de la victime.
Allonger encore la prescription ?
Autre changement proposé par le ministre de la justice le 9 février : l’instauration d’une prescription glissante, évoquée par la députée LREM Alexandra Louis, dans son rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018. « Un même auteur commet cinq faits. Quatre de ces faits sont prescrits, mais il y a cinq victimes, dont quatre qui seront considérées comme témoin. Je souhaite qu’elles aient un statut de victime. Donc, plus de prescription pour ces quatre faits, à l’origine prescrits », a détaillé Eric Dupont-Moretti. Le délai de prescription, de trente ans aujourd’hui, ne commencerait qu’à partir des faits commis sur la dernière victime.
« C’est très intéressant, pense Catherine Le Magueresse, car on sait que les agresseurs sexuels sont des réitérants qui sont, dans le meilleur des cas, arrêtés par un dépôt de plainte. On le sait car quand les policiers font correctement leur travail d’enquête, ils retrouvent toujours d’autres victimes. Et les affaires qui aboutissent concernent souvent plusieurs victimes car, alors, on les croit. » Pour le moment, le délai de prescription est de 30 ans pour toutes les infractions sexuelles sur les mineur.es. Avant la loi du 3 août 2018, il était de 10 ans pour les atteintes sexuelles et 20 ans pour les viols et agressions sexuelles. Les victimes peuvent donc porter plainte jusqu’à leurs 48 ans. « Pour les viols, on a gagné 10 ans, ce n’est pas rien, pense Emmanuelle Piet. Mais ce n’est pas suffisant. »
Michelle Dayan partage ce point de vue : « Ce que je constate avec les femmes que j’accompagne, c’est qu’il faut souvent attendre d’avoir 50 ans pour réaliser ce qui est arrivé, le temps d’avoir construit une vie après le psychotrauma. » Pour l’avocate, 40 ans serait plus pertinent. Plusieurs associations de victimes réclament l’imprescriptibilité de l’inceste, mais celle-ci « est réservée aux crimes contre l’humanité », répond le législateur. « Alors, ils n’ont qu’à nous mettre 60 ans de prescription », conclut Emmanuelle Piet.
Nolwenn Weiler
Dessin : Cécile Guillard
Cet article fait partie d’un dossier consacré à l’inceste, réalisé en partenariat avec l’hebdomadaire Politis publié en kiosque le jeudi 11 février 2021.
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