Sarkoland

Je veux être déchu de ma nationalité !

Sarkoland

par Stéphane Fernandez

Et si je tuais un policier… par un jour de folie ou par un jour de misère, par un jour de colère ou de manifestation qui dégénère… si d’un coup de pavé mal lancé, mal assuré, je laissais pour mort un représentant de la force publique, un gardien de la paix ou un de ces gendarmes républicains qui savent à peine ce qu’ils doivent réellement à la République… qu’adviendrait-il de moi ?

Me déchoirait-on de ma nationalité française, moi, le petit-fils d’anarchistes espagnols ? Je suis une troisième génération comme on chante dans les manifs de soutien aux sans-papiers, et, en cet été de sarkozye dégénérative, cela prend tout son sens.

Bien sûr, tout ce raffut savamment orchestré par une droite aux abois, en quête de projets, de sens, de valeurs, d’électeurs, a pour but principal de détourner l’attention, de jouer la partie médiatique à domicile, sur son terrain favori de la peur, de la sécurité, de l’immigration… autant de thèmes que la gauche a délaissés depuis des années et ne sait aborder qu’en étant fatalement à la remorque d’une droite qui impose son tempo et la règle du jeu et qui se veut décomplexée. Mais décomplexée de quoi ? De dire haut et fort ce que la majorité pense tout bas, comme on dit, et comme tendraient à le prouver les sondages opportunément sortis par le quotidien de l’ami du président ? Décomplexée de revenir à ses racines d’avant-guerre quand la droite antisémite et xénophobe jouait de la peur et du rejet de l’Italien, du Polonais, et bien sûr du sale rouge espagnol ?

Au pays de la populo-xénophobie

Balayée par l’euphorie de la victoire et la sainte alliance sociale entre gaullistes et communistes au lendemain de la guerre, discrète et inaudible pendant les Trente glorieuses – où les entreprises nationales allaient chercher la main-d’œuvre utile à la croissance de la mère patrie dans des colonies de plus en plus rebelles, cette droite-là a refait son nid petit à petit, a occupé le terrain des facs, a fait le coup de poing dans les années 70 et a resurgi en pleine lumière grâce aux jeux électoraux orchestrés par un Mitterrand aux abois et soucieux de sa permanence au pouvoir. 30 ans plus tard, elle a envahi l’espace politique, « bougé les lignes » comme il est à la mode de dire.

Les enfants de la marche des Beurs ou de SOS Racisme peuvent regarder le film de ces années écoulées avec amertume. Ils ont – nous avons – perdu le combat de la conscientisation de masse, combat perdu d’avance face aux bulldozers médiatiques qui ont participé à cette droitisation des esprits, des concepts et des cadres d’analyse. Car, depuis trente ans, pendant que cette droite revenait progressivement à ces tendances populo-xénophobes en jouant de la démagogie et en flattant l’orgueil national, la gauche ne savait plus trop sur quel pied danser, habituée qu’elle avait été de combattre une droite sociale et paternaliste d’abord, puis néo-libérale.

Les sauvageons des coupes budgétaires

Aujourd’hui, alors que Sarkozy joue avec les allumettes des haines et de la peur, le feu est déjà dans la cage d’escalier et le terrain abandonné non pas aux bandes sauvages, non pas aux racailles égorgeurs de nos fils et de nos compagnes, même pas aux islamistes qui rêveraient de voiler toute la France ni au crime organisé que notre président se plait à voir partout… Non, le terrain social et politique est un champ de ruines où l’on oublie que parler de sécurité pourrait aussi revenir à parler de sécurité sociale, cette sécurité sociale que cette même droite qui se pousse du col dès qu’il s’agit d’envoyer des barbouzes mettre au pas une cité grenobloise est prompte à jeter aux orties…

Encore une fois, et pardon de rabâcher ce que les sociologues et les associations disent mieux que moi depuis des années : si l’insécurité augmente, peut-être est-ce dû à cette insécurité sociale qui laisse plus de la moitié de la population de certains quartiers à l’abandon, au chômage, au RMI, exclue de tout système d’aide ou de promotion sociale… Le fameux ascenseur social qui a permis, en son temps, de voir des apprentis garagistes devenir premiers ministres, n’est pas arrêté ou bloqué. Il descend. Il dégringole même. À grands coups de coupes sauvages dans les budgets des différentes politiques sociales.

Orthodoxie présidentielle

Mais l’orthodoxie présidentielle qui rabâche que « lorsqu’on se met à expliquer l’inexplicable on est prêt à excuser l’inexcusable » et ses fidèles serviteurs ne veulent pas comprendre que, pour la majorité des enfants (ou plutôt des petits-enfants désormais) d’immigrés, l’inexplicable c’est de ne pas trouver un boulot ou de se faire refuser l’entrée dans une boîte de nuit ou un camping parce qu’on s’appelle Rachid ou Mohamed ou qu’on a le teint un peu trop mat. L’inexplicable, c’est de mettre trois heures à rejoindre un quartier d’une triste banlieue qui se trouve à peine à 10 kilomètres du périphérique parisien. L’inexplicable c’est de voir les cadeaux fiscaux faits aux plus riches, aux amis… et l’inexcusable, c’est de se servir d’eux comme repoussoirs, comme boucs émissaires faciles, comme arguments électoraux.

L’inexcusable c’est de jeter dans les esprits l’idée d’une République a minima, d’une République à deux vitesses. Ces enfants (ou petits-enfants) que notre président-démagogue se propose de déchoir de leur nationalité dans certains cas précis font pourtant partie intégrante de notre République. Et puisqu’il s’agit ici de droit, il est bon de rappeler que le premier article du préambule de notre Constitution dit que les hommes naissent et vivent libres et égaux en droit. Bien sûr, cette liberté et cette égalité seront ensuite altérées, dans les faits, selon que l’on doive vivre à la cité des 4000 ou à Neuilly-sur-Seine, et ce malgré la pauvre ritournelle de l’égalité des chances. Mais, constitutionnellement donc, et depuis 1789, ceux-ci ne peuvent avoir un droit moindre que ceux-là.

1789 est mort, vive Vichy !

Or, en la matière, il s’agirait bien de créer deux catégories de citoyens différentes. Ceux qui risqueraient de se voir déchus de la nationalité s’ils attentent à la vie d’un fonctionnaire de police et les autres… Il n’est guère besoin de pousser le raisonnement plus loin et de jouer plus longtemps au professeur de droit constitutionnel pour démontrer l’inanité de cette proposition. Ni même de rappeler que le précédent régime à proposer et à appliquer de telles mesures était celui de Vichy.

Mais il est important de dénoncer et d’identifier les ressorts du retour en force de cette droite ultra-nationaliste et xénophobe. On savait, dès l’élection de Nicolas Sarkozy, que cette partie de la droite avait fait sa révolution culturelle en proposant de liquider les acquis de Mai 68 (sur les bons conseils, sans doute, des anciens membres des groupes d’extrême droite de l’époque, si proches du président…), en reprenant à son compte les idées et les concepts que l’on croyait confinés aux banquets nauséabonds de Jean-Marie Le Pen, en proposant de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Tout ceci était dans le programme du candidat Sarkozy, dans son code génétique serait-on tenté de dire. Une majorité de Français a voté pour lui et l’on aurait tort de s’étonner aujourd’hui de la politique promise hier.

Au moins en cela, les mesures du président sont en adéquation avec les promesses du candidat, de la stigmatisation des populations étrangères aux quotas de rafles et d’expulsions, en passant par les dérives sécuritaires qui poussent à voir en des jeunes qui ne vivent pas selon les standards consuméristes édictés par les publicitaires et lisent (voire écrivent, le saura-t-on jamais ?) des livres appelant à la révolution, de dangereux terroristes d’extrême gauche.

La République assassinée ?

Et puisque, c’est bien connu, ce sont dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures, le candidat Sarkozy déjà en campagne pour 2012 ressort les mêmes recettes. Si, au passage, cela a permis durant un été trop long de desserrer la pression sur un ministre chargé d’expédier aux oubliettes les acquis sociaux, l’opération aura plus que réussi. Pour ce qui est des valeurs et de l’image d’une République déjà bien écornées, on pourra repasser et attendre des jours meilleurs.

Cet idéal républicain dont il semble devenu si ringard de se réclamer est pourtant porteur d’une idée simple. Toute personne appartenant à la Nation, au sens révolutionnaire du terme, est soumise aux lois de la République et bénéficie de sa protection. Si, depuis quelques années, cette appartenance a sans cesse été remise en cause par cette droite xénophobe, notamment via son fumeux débat sur l’identité nationale, il n’en reste pas moins que les immigrés naturalisés, les enfants d’immigrés, leurs petits-enfants sont français. Et cette nationalité, n’en déplaise à certains (et parfois même n’en déplaise à ces enfants eux-mêmes trop dégoûtés du sort qui leur est réservé…), cette nationalité donc ne peut pas se donner et se prendre comme on donnerait des bons points. Sinon, c’est l’idée même de la République que l’on assassine.

Si tel était le cas, pour ma part, je ne ferais plus partie de cette entité-là, qui n’aurait plus rien de républicaine, et je demanderais à être déchu de ma nationalité ! D’ailleurs, il faudrait que je refasse faire ma carte d’identité nationale qui est périmée depuis un certain temps. Je vais attendre un peu…

Stéphane Fernandez, journaliste