Jeunesse présumée délinquante : les contre-vérités d’Attal et de Bardella

par Elsa Gambin

La jeunesse serait plus violente qu’avant et la délinquance des mineurs augmenterait. Autant de contre-vérités assénées par Bardella (RN) comme par Attal (Renaissance) qui font craindre un avenir de coercition pour la jeunesse du pays.

Le premier ministre Gabriel Attal utilisait déjà des mots extrêmement durs à l’encontre de la jeunesse, qu’il accusait, il y a deux mois, d’être à l’origine d’un « déchaînement de violence » et face à laquelle il fallait « contre-attaquer ». Autrement dit acter une « sanction immédiate », détricoter l’excuse de minorité (un enfant ou un adolescent n’est pas jugé de la même manière qu’un adulte), envisager une mesure de composition pénale (sans juge donc) pour les mineurs dès 13 ans, penser la comparution immédiate pour les jeunes à partir de 16 ans, créer des mesures d’intérêt éducatif (l’équivalent de travaux d’intérêt général, mais pour des mineurs) [1], envoyer certains « pour 15 jours » dans des foyers de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Une logorrhée qui fleure bon la fameuse autorité, mantra de la majorité actuelle, que ce soit pour l’école ou pour la jeunesse présumée délinquante. Ce discours faisait suite à une semaine particulièrement difficile de rixes entre adolescents, et dans lequel Gabriel Attal faisait tout reposer sur les épaules d’une jeunesse soi-disant de plus en plus violente, faisant fi au passage de réalités sociales complexes, des chiffres de ses propres ministères, des retours des professionnels de la justice, ainsi que de la recherche universitaire.

« Cette habitude qui consiste à prendre des faits divers dramatiques pour en faire des phénomènes de société date de l’époque de Nicolas Sarkozy, explique Christian Mouhanna, sociologue et chercheur au CNRS, spécialiste de la justice pénale. Or là on est carrément sur de la fake news car on relève plutôt une baisse des jeunes mis en cause par la police ou poursuivis par les instances judiciaires. Gabriel Attal n’a même pas regardé le site du ministère de la Justice ou de l’Intérieur ! »

La délinquance des mineurs en baisse

Un constat également fait par le Syndicat de la magistrature, qui dénonce une consultation de façade et s’est fendu d’un courrier explicatif et détaillé à la suite des mesures énumérées par le Premier ministre. Les magistrats y rappellent effectivement que la délinquance des mineurs est en baisse depuis une dizaine d’années, mais que les différentes réformes du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) a en revanche conduit à une augmentation significative du nombre de mineurs envoyés en prison (+19 % entre les 1er janvier 2023 et 2024, soit 732 mineurs placés en détention), résultat d’une justice punitive plutôt qu’éducative.

« La délinquance augmente, dit-il, mais c’est faux ! il y a les chiffres du ministère de la Justice qui nous disent qu’il y a -20 % de mineurs impliqués entre 2019 et 2022 », détaille Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature. En 2019, 218 100 mineurs avaient été mis en cause dans des affaires de délinquance, 168 900 en 2022, soit moins de 3 % de la population âgée de 10 à 17 ans. Les vols et recels simples ou aggravés sont les deux catégories de contentieux les plus fréquentes chez les personnes mineures. Viennent ensuite les coups et violences volontaires puis les dégradations.

« Les mesures du gouvernement visent à montrer un visage de fermeté, mais l’objectif ne semble en aucun cas être la lutte contre la délinquance et la récidive, car si on s’intéresse aux pratiques judiciaires, on sait que tout ce qui est proposé par Gabriel Attal ne marche pas. Une justice plus rapide n’est en rien plus efficace. Ce qu’on sait en revanche c’est que la comparution immédiate amène à la prison. Ces annonces se fondent donc sur des contre-vérités ! », poursuit Kim Reuflet.

Illustration de l’inanité de cette pente uniquement répressive, le taux de re-condamnation dans les cinq ans qui suivent une sortie de détention est encore plus importante pour les jeunes que pour les adultes : de l’ordre de 70 % selon une ancienne étude de 2012. À nature, type d’infraction et peine prononcée donnés, les jeunes délinquants récidivent davantage et plus vite que les condamnés plus âgés. Qu’importe que cette politique qui ne se donne plus les moyens de mesures éducatives, d’insertion et d’alternatives à la détention soit un cuisant échec, RN et macronistes poursuivent la fuite en avant.

Pour ce qui est de l’excuse de minorité, il est déjà légalement possible de l’écarter pour les 16-18 ans en fonction du profil de l’adolescent, rappelle la juriste, qui ajoute que les magistrats ne réclament aucune de ces mesures. Quant à la composition pénale sans juge, si elle existe déjà pour les majeurs, elle semble compliquée à mettre en œuvre pour les mineurs par son principe même de faire disparaître le juge (la peine est prononcée par un procureur). « Cela pourrait poser un problème constitutionnel car la Convention Internationale des Droits de l’Enfant prévoit des acteurs spécialisés pour rendre la justice à l’encontre des mineurs », explique la magistrate.

Justice laxiste ?

Dans ce fatras de propositions contre-productives, la question de la délinquance des mineurs est par ailleurs complètement décorrélée des enjeux environnementaux et sociétaux. Il n’y est pas question de prévention, ni de mesures éducatives, ni de réinsertion, ni de moyens supplémentaires pour les juges des enfants, la pédopsychiatrie, le travail social ou le milieu scolaire, ni d’aides éducatives.

Or, comme le rappelle Mathieu Moreau, membre du bureau du SNPES-PJJ-FSU, syndicat majoritaire de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), « un jeune qui commet une infraction est le signal que quelque chose ne va pas. Il n’y a pas d’un côté des jeunes fragiles et de l’autre des délinquants fauteurs de troubles, non, il n’y a qu’une seule jeunesse en difficulté. C’est la manière d’exprimer cette difficulté qui diffère ».

L’état catastrophique de la protection de l’enfance en France accentue cette tendance à poser une réponse pénale rapide, faute de suivis solides établis en amont. Le syndicaliste rappelle lui aussi qu’il n’y a rien, à ce jour, qui démontre une explosion de la délinquance. Au contraire. « On essaye de nous faire croire que la justice des mineurs est laxiste, alors qu’au niveau de la PJJ nous on voit bien qu’il y a un durcissement de la réponse pénale. On est très loin d’une justice des enfants émancipatrice ! »

Dans ce contexte répressif qui envoie de plus en plus de mineurs derrière les barreaux, que penser alors des propositions du président du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui souhaite mettre fin à l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs (communément appelée « excuse de minorité »), abaisser la majorité pénale à 16 ans et supprimer les allocations familiales des parents de mineurs délinquants ?

« Il y a dans cette vision autoritaire et sécuritaire une forme de continuum avec les mesures proposées par Gabriel Attal, constate Kim Reuflet. Mais il n’y a quand même pas d’amalgame possible tant les questions de justice et de sécurité sont les matrices du RN... en pire. » Si la magistrate s’inquiétait déjà d’une atteinte conséquente aux fondements de la justice pénale des mineurs, la possible arrivée au pouvoir du parti d’extrême droite lui fait craindre qu’un certain nombre de mesures « ne soient encore durcies ».

Une jeunesse plus violente qu’avant ?

D’autant que si l’actuel gouvernement ciblait déjà une certaine jeunesse, celle des quartiers populaires, il est évident que le discours (et peut-être les actes) du RN accentueront cette tendance à l’individualisation, en déroulant ad nauseam les poncifs d’une jeunesse plus violente qu’avant. Un discours erroné vieux comme le monde qui semble pourtant fonctionner auprès d’un électorat conservateur, ce qu’Emmanuel Macron a très bien compris, « lui qui a donné, sous l’influence de Gérald Darmanin, un tournant de plus en plus sécuritaire à son deuxième mandat », analyse Christian Mouhanna.

Et pour cause, ces dernières années, le gouvernement a élargi l’arsenal législatif, donnant la possibilité à l’extrême droite de - peut-être - s’en servir à sa guise. « Le RN pourrait mettre de l’huile sur le feu, notamment dans la police. Que va t-il alors advenir du "jeune", a fortiori du jeune racisé de quartier populaire ? », s’inquiète le sociologue, au vu de ce qu’il nomme un discours « néo-colonial, déjà en vogue à l’époque de Manuel Valls ». Car la jeunesse délinquante n’est, aux yeux de ces politiques, pas n’importe quelle jeunesse.

D’après le sociologue Ugo Palheta, maitre de conférence à l’université de Lille et spécialiste des extrêmes droites, la catégorie des « jeunes » a été largement déterminée par les révoltes successives des quartiers populaires – lesdits jeunes sont, implicitement, ceux qui posent problème. « Ce discours public sur la jeunesse est saturé de stéréotypes racistes depuis les années 80. Il est clair que cela pèse sur les cerveaux aujourd’hui. »

Lorsqu’il s’adresse à la jeunesse non délinquante et hors mesures répressives, le parti d’extrême droite n’en cible qu’une seule, celle qui vote en partie pour lui, à savoir la jeunesse rurale ou semi-rurale, principalement blanche. « Cette dernière est une zone de force pour le RN, même si son discours très libéral en matière économique s’adresse aussi à cette jeunesse, sur le mode "il faut travailler dur". C’est un discours anti-assistanat, qui dresse, sans réellement le dire, une opposition binaire entre la jeunesse post-coloniale des quartiers et la jeunesse des campagnes. C’est une forme d’urbaphobie. »

Alors que les politiques sécuritaires ont prouvé leur inefficacité depuis le début des années 2000, il est à parier que la jeunesse des quartiers populaires sera très probablement la plus violemment réprimée simplement parce qu’elle est cette jeunesse racisée.

Pour Mathieu Moreau, du SNPES-PJJ-FSU, la question de la constitutionnalité de l’excuse de minorité soulevée par Gabriel Attal, a en soi déjà ouvert grand les portes de « la négation de l’enfant ». « Nier la problématique spécifique de l’enfance et de l’adolescence va à l’encontre de toutes les sciences de l’éducation. Si la digue de la constitution tombe, je ne donne pas cher de la PJJ. » « On est dans une forme de criminalisation de la jeunesse, conclut Christian Mouhanna. Bientôt le fait même d’être jeune va être criminalisé. »

Elsa Gambin

En photo : Lors du débat sur la chaîne TF1 entre Gabriel Attal (Renaissance), Jordan Bardella (RN) et Manuel Bompard (Nouveau Front populaire), le 30 juin. © Adrien Fillon (Hans Lucas).

Notes

[1Sur ce point, une circulaire pour leur mise en place est parue en mai 2024.