Grève citoyenne

Journée sans immigrés : « Le 1er mars, ce sera 24h sans nous »

Grève citoyenne

par Agnès Rousseaux

Cesser toute activité économique le 1er mars : c’est le mot d’ordre lancé par un collectif qui veut défendre « l’apport essentiel de l’immigration » en France. Face aux dérives identitaires et xénophobes, ils sont déjà plusieurs dizaines de milliers à soutenir cette action, inspirée du mouvement social nord-américain. « Par notre absence, nous voulons marquer la nécessité de notre présence », déclare leur manifeste. Entretien avec Nadia Lamarkbi, initiatrice de la Journée sans immigrés.

Photo : © Michelle Pichon - flash-mob « 24h sans nous » du 07/02/10 au Panthéon

Pourquoi une journée sans immigrés ?

Nous sommes fatigués de cette ambiance générale, où tout le monde se lâche dans la presse. Nous en avons marre de la multiplication de propos irrespectueux sur telle ou telle catégorie de population. Les propos de Brice Hortefeux sur les Arabes en septembre 2009 a été une goutte de plus. Et, surtout, la façon dont il a essayé de se rattraper en affirmant qu’il parlait des auvergnats et qu’on n’avait rien compris. Il nous a vraiment pris pour des cons. Ce que j’ai trouvé terrible, c’est le peu d’indignations. Trop peu de gens sont montés au créneau. Dans n’importe quel pays, on aurait trouvé inadmissible qu’un ministre tienne de tels propos. Il s’est permis de le faire et ça passe comme une lettre à la Poste. Pourquoi y a-t-il de moins en moins d’indignation ?

Vous invitez les personnes mobilisées à une grève de toute activité économique : travail, achats, transports… Pourquoi agir spécifiquement sur le champ économique ?

Nous voulons un mode d’action qui interpelle directement les citoyens. C’est pour nous le moyen le plus simple d’être visibles par tous. L’idée est née aux Etats-Unis, en 2006 : la communauté hispanique organise un boycott des activités économiques. C’est une belle initiative, à adapter en France. Nous avons choisi la date symbolique du 1er mars, car c’est la date d’entrée en vigueur du « code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile » de 2005 [1]. Un texte qui établit le lien entre économie et immigration, une « immigration choisie » sur critères économiques, dans une vision utilitariste.

Agir sur l’économie, c’est un levier d’action. Et puis, ne pas consommer, cela ne demande pas d’engagement politique. Ça permet de dépasser les clivages partisans, ce qui est déjà une gageure. Notre action est à la portée de tous.

Le groupe Facebook en faveur de cette action rassemble aujourd’hui plus de 66.000 membres : comment s’est réalisée cette surprenante mobilisation ?

J’ai écrit sur ma page que ce serait bien de faire une journée sans immigrés. Dans la foulée, mes contacts ont repris l’idée. J’ai reçu des centaines de commentaires de gens que je ne connaissais même pas. Des gens qui disaient « allez, on le fait ! ». Nous nous sommes réunis et rapidement est venue l’idée d’un manifeste, de textes fondateurs et d’actions symboliques.

Au début, nous souhaitions affirmer « l’apport positif » de l’immigration. Nous avons changé pour « essentiel ». Nous ne voulions pas contrebalancer les propos de Nicolas Sarkozy sur l’aspect positif de la colonisation ou d’autres propos. Il ne s’agit pas de « répondre » à quelqu’un. Nous voulons plutôt lancer une réflexion sur la place donnée aux immigrés aujourd’hui. Et aussi la façon dont sont perçus les immigrés dans les représentations, l’imaginaire des gens.

Quelles sont vos attentes lors de cette journée du 1er mars ?

10 millions de personnes mobilisées ! Plus sérieusement, c’est difficile de répondre à cette question. Nous ne sommes pas dans du quantitatif. Ce n’est que le début d’une dynamique, d’une réflexion qu’on veut lancer : la reconnaissance de « l’autre » comme partie constitutive de la société, comme un apport essentiel. Nous avons reçu des centaines de lettres d’insultes. Certaines disaient : « ce n’est pas une journée sans immigrés qu’il faudrait, mais toute l’année », ou bien « rendez-nous nos allocations ». Les immigrés sont perçus par ces gens-là comme un poids, comme des inactifs qui pèsent sur la société.

A terme, il y aura une homogénéisation des politiques de l’immigration dans l’Union européenne. C’est donc à ce niveau qu’il faut agir. En France, d’autres groupes et organisations travaillent déjà pour les sans-papiers et les réfugiés. Notre apport spécifique, c’est de vouloir changer le regard porté sur l’immigration. Dans les discours, on a l’impression que l’immigration est devenue la cause de tous les maux. Certains responsables politiques ont du mal à assumer leurs contradictions et préfèrent cracher sur l’Autre. Cela se traduit en France par des lois sur l’immigration qu’on peut résumer ainsi : « contrôle, sécurité, expulsion ». Nous n’avons pas voulu décliner précisément nos revendications, car pour nous, ce serait s’enfermer. Nous voulons déconstruire l’imaginaire et revenir à une perception objective de l’immigration en France.

Quel bilan faites-vous des mobilisations antérieures concernant l’immigration ?

Nous en sommes au deuxième siècle de l’histoire de l’immigration en France. C’est triste s’être obligé de se mobiliser encore ainsi en 2010. Cela devrait être réglé depuis longtemps. Même la 4e génération d’immigrés porte encore les stigmates. Certains d’entre nous ont des grands-parents qui sont morts au combat, pour la France. Ils sont toujours perçus comme des immigrés. Ce qui se traduit notamment par des contrôles d’identité 10, 15 ou 20 fois par mois. Dans le noyau fondateur de cette initiative, il y a des immigrés, mais aussi beaucoup de ces gens issus de la 3e ou 4e génération d’immigration.

La lutte des sans-papiers va dans le même sens que la nôtre, même si notre mouvement concerne une population plus vaste. Ces sans-papiers viennent d’arriver en France, ils vivent dans un statut précaire, hors-la-loi. Mais il ne se rendent pas forcément compte que même lorsqu’il seront régularisés, ils seront encore considérés comme un poids. Par ailleurs, les gens font des amalgames incroyables entre immigration et immigration clandestine.

Concrètement, que va-t-il se passer le 1er mars ?

Des évènements ont été préparés dans plusieurs villes, notamment des sit-in devant les mairies. A Paris, nous investirons l’exposition « Paris 150 ans d’immigration », Place de l’Hôtel de Ville, entre 12 et 14 heures. Il y aura un tableau sur lequel les gens pourront s’exprimer. Nous n’avons pas voulu trop disperser nos actions, pour assurer une certaine visibilité et aussi pour être en adéquation avec l’objectif de ne pas consommer. Il y a aussi l’idée de porter un ruban jaune pendant cette journée, un symbole qui vient d’Italie, pour marquer la dimension européenne du mouvement.

Quelles sont les projets pour la suite ?

Nous voulons recommencer l’an prochain. On se lancera dans une action plus structurée, cette année tout a été fait un peu dans l’urgence. Notre organisation est plutôt informelle, même si nous avons créé une association. Les observateurs ne savent pas quoi penser de nous, et certains vieux militants ont du mal à nous comprendre, du fait de nos moyens de mobilisation : Flash mob, tags délébiles... On fait avec ce qu’on sait faire. Ce sont des modes d’action qui nous ressemblent et nous correspondent.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

24h sans nous : la patrie non reconnaissante (réal. JM Vecchiet) :

24h sans nous : Patrie non reconnaissante réal : JM Vecchiet
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« Sur le fronton du Panthéon est inscrit "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante". Le Panthéon, temple laïc, témoin de la Révolution, a été le théâtre, le 7 février 2010, de notre disparition.

Parce que nous avons le sentiment que la phrase "Aux immigrés, la patrie non reconnaissante" de Youssoupha résonne en écho au symbole du Panthéon , le 1er mars, nous ne consommerons pas, nous ne travaillerons pas, nous nous rassemblerons entre 12h et 14h, bras croisés, devant les mairies de France.

Le 1er mars, ce sera 24h sans nous ! Et vous ? »

P.-S.

Le site de la Journée sans immigrés

Notes

[1Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), surnommé « code des étrangers », regroupe les dispositions législatives et réglementaires relatives au droit des étrangers : conditions d’entrée sur le territoire, titres de séjour, regroupement familial, rétention administrative, reconduite à la frontière, expulsion droit d’asile,…