Crise de la gauche

Jusqu’à quand les écologistes resteront-ils au gouvernement ?

Crise de la gauche

par Ivan du Roy

Productivisme, nucléaire, Notre-Dame-des-Landes, gaz de schiste... La transformation écologique de l’économie se fait attendre, et des projets sèment la discorde au sein de la gauche. Au point de remettre en question la participation gouvernementale des écologistes. « Un échec du gouvernement nous mènera à des périodes sombres », prévient pourtant Élise Lowy. La porte-parole d’Europe Ecologie - Les Verts dresse un bilan critique de l’alliance avec le PS, à l’heure où des rapprochements se dessinent avec le Parti de gauche. Entretien.

Basta! : Cela fait presque neuf mois que le gouvernement est en place. Quel a été, selon vous, l’apport des deux ministres écologistes dans le cadre de leurs portefeuilles respectifs ?

Élise Lowy : On doit à Cécile Duflot l’encadrement des loyers et le volontarisme sur la réquisition. Une loi sur le logement est en préparation, mais elle a encore été retardée à l’automne. Cécile Duflot a montré qu’elle était capable, en tant que ministre, de garder des liens avec les mouvements sociaux et leurs actions sur le terrain. Mais elle regrette de ne pas avoir suffisamment de moyens, notamment pour entamer un programme de rénovation thermique des bâtiments, à cause de la politique d’austérité prônée par François Hollande. Pascal Canfin a, lui, été embarqué dans la guerre au Mali. L’autre vision de la coopération qu’il porte mettra donc du temps à s’installer : sortir du paternalisme, miser sur la coopération décentralisée, la construire avec les acteurs, comme les ONG, et y intégrer l’écologie. Mais les choses avancent. Lors d’une réunion de l’Agence française du développement (AFD), début février, nous avons sincèrement senti la différence. Nous sommes en train de sortir de la caricature de la Françafrique.

En matière de reconversion écologique de l’économie, rien ne semble avoir été engagé. Cela vous inquiète-t-il ?

Oui, c’est particulièrement inquiétant que le gouvernement n’ait toujours pas pris conscience que la transition écologique doit être engagée dès maintenant. Investir dans la transformation écologique et sociale est contradictoire avec la logique d’austérité qui prédomine. Le gouvernement hypothèque l’avenir en renonçant à des projets importants : un plan de rénovation thermique qui fasse reculer la précarité énergétique, le financement des énergies renouvelables et des économies d’énergie, et une politique de solidarité, qui aille notamment vers un revenu universel qui sécurise les personnes. Cela coûte de l’argent mais c’est bien plus utile socialement et économiquement que d’investir en priorité dans les PME du nucléaire, comme le fait la Banque public d’investissement. Sur ce sujet, les écologistes sont méprisés par le gouvernement.

Alors qu’une partie de la gauche qualifie l’Accord national interprofessionnel de régression sociale (lire ici), qu’en pense EELV, dont les députés auront à se prononcer sur le projet de loi que prépare le ministre du Travail Michel Sapin ?

C’est un mauvais accord. Il renverse la hiérarchie des normes en remettant en cause le contrat de travail, instaure une mobilité géographique forcée et rend possible l’obligation d’accepter une augmentation du temps de travail sans augmentation de salaires. Ce sont des dispositions extrêmement graves. Le contenu de cet accord est clairement une régression sociale. Promouvoir le dialogue social, c’est intéressant, mais les syndicats majoritaires doivent être pris en compte, ce qui n’est pas le cas ! Parmi les grandes confédérations, seule la CFDT l’a signé. La dimension écologique du travail est totalement niée, la souffrance au travail et la réduction du temps de travail sont oubliées. Nos parlementaires tenteront d’amender la loi autant que possible.

La réforme bancaire, l’un des points clés du quinquennat, manque grandement d’ambition, voire ne servira à rien (lire ici). Pourquoi les écologistes n’ont-ils pas mis davantage la pression ?

EELV a pris très clairement position : cette réforme ne remet pas en cause le pouvoir des banques. Pire, elle entérine le risque qu’elles font peser sur l’économie. On ne met aucun frein à la financiarisation et à la spéculation. Mais nous n’avons pas été consultés lors de son élaboration. Cela montre que le PS ferme la porte à un travail en commun. Il n’y a pas de place pour la concertation en amont. Le PS essaie seulement de convaincre les écologistes du bien fondé de ses projets de loi. Lors du vote sur le TSCG par exemple (le pacte budgétaire adopté en octobre 2012), Jean-Marc Ayrault s’est contenté d’expliquer à Pascal Durand (secrétaire national d’EELV, ndlr) pourquoi l’approuver était fondamental. Notre parti n’a pas à être muselé.

Le projet de loi pour encadrer les ondes électromagnétiques, proposé par une députée EELV, n’a même pas été mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Comment l’expliquez-vous ?

Le PS fait un choix idéologique en faveur du productivisme sans comprendre que l’écologie est essentielle. Ce projet de loi ne remettait pourtant pas le système en cause.

Disposer d’un groupe parlementaire, c’est bien. Mais EELV a-t-il vraiment plus de poids dans le processus législatif ? Quel bilan tirez-vous de ces 9 mois de ce point de vue ?

Nos élus sont à l’offensive. Mais, face au PS, nous sommes confrontés à un véritable blocage. C’est difficile de faire bouger les lignes. Il ne faut pas oublier que nos députés ont aussi été élus par les électeurs socialistes dans le cadre de candidatures communes. Ils ont cependant montré qu’ils gardaient une certaine liberté de ton, comme lors du vote sur le Pacte budgétaire.

Productivisme, nucléaire, régulation financière, gaz de schiste, nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes… Autant de reculs en cours ou à venir. EELV s’est-il fixé une ligne rouge à ne pas dépasser au risque de quitter le gouvernement ?

Lorsque nous avons voté en faveur de la participation gouvernementale, nous avons décidé d’en faire le bilan un an plus tard. Ce bilan aura lieu lors des journées d’été des Verts, en août, et sera préparé avec des associations, des ONG et des syndicats. L’objectif est de tirer les conséquences de ce qui s’est passé pendant la première année de mandature. Avec deux options : soit nous sortons du gouvernement parce que nous ne nous reconnaissons plus dans la politique menée, soit nous continuons. Une majorité des adhérents est en position d’attente : laissons encore un peu de temps au gouvernement pour faire ses preuves. Mais il y a aujourd’hui une insatisfaction réelle. Les gaz de schiste constituent un point de rupture, ainsi que le projet de Notre-Dame-des-Landes, si le gouvernement décide de passer en force sans respecter les décisions de justice. Notre-Dame-des-Landes, c’est le symbole de la fracture qui divise la gauche sur le productivisme. Et bien sûr le nucléaire : ce sera la rupture si le débat qui s’engage sur la transition énergétique aboutit à une remise en cause de l’objectif de réduire la part du nucléaire dans la production électrique de 80% actuellement à 50%.

Dans ces conditions, un accord avec le PS sera-t-il conclu pour les prochaines élections municipales et européennes en 2014 ?

Non, nous mènerons des listes autonomes, comme lors des derniers scrutins à la proportionnelle. D’autre part, nous avons rencontré le Parti de gauche (PG) début février. Face au « pacte de compétitivité », qui implique une réduction des droits des salariés, face à la politique d’austérité de François Hollande ou au traité budgétaire européen, face au productivisme ou au nucléaire, nous avons de nombreuses convergences. Localement, sur ces sujets, les militants d’EELV et du PG sont souvent plus proches les uns des autres que de nos partenaires respectifs, le PS et le PCF. Il est donc possible, dans certains endroits, qu’EELV et le PG mènent des listes communes aux municipales. Pour les élections européennes, nous essaierons de renouer avec la dynamique de 2009, d’autant que les parlementaires verts européens se sont positionnés contre la baisse du budget de l’Union.

Mais comment sortir de la politique d’austérité prônée par François Hollande, incompatible avec la transition écologique et les nécessaires investissements qu’elle induit ?

Le gouvernement est en train de mettre sous perfusion un modèle qui produit de grandes inégalités et nous mène droit dans le mur du point de vue environnemental. Il faut en sortir ! Le gouvernement nous explique que, pour des raisons budgétaires, on ne peut pas mettre en œuvre plein de transformations. Il y a cependant des réformes qui ne coûtent rien ! Ne pas avancer sur le non-cumul des mandats, la proportionnelle ou le droit de vote des étrangers, ce n’est pas à cause de l’austérité ! Le changement passe aussi par ces réformes-là. Nous devons essayer de construire un rapport de force avec ceux qui, au sein du PS, du Front de gauche ou des syndicats, n’acceptent pas les renoncements actuels. Mais nous ne devons pas nous laisser enfermer dans le cadre institutionnel. Regardez ces plans de reconversion écologique portés par des salariés... Identifier les alternatives et les expériences sérieuses qui émergent est essentiel pour la gauche, en vue d’aboutir à un nouveau modèle porteur de solutions. Avec le PG, nous allons d’ailleurs organiser des ateliers de l’écologie concrète, sur l’éco-industrie, le logement ou la transition énergétique. En période de crise extrême, nous sommes sous la menace d’un vrai risque d’autoritarisme. La France, comme ailleurs en Europe, peut rapidement glisser vers l’extrême-droite. Un échec du gouvernement nous mènera à des périodes sombres. On ne peut pas se résoudre à cela. Il faut redonner du sens et de l’espoir.

Propos recueillis par Ivan du Roy

@IvanduRoy sur twitter

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