Démocratie

L’UMP s’attaque aux associations de lutte contre la corruption

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par Agnès Rousseaux

Le député de « la droite populaire » Jacques Myard vient de déposer une proposition de loi visant à réduire considérablement les possibilités d’action en justice des associations. Sont principalement visées les associations de lutte contre la corruption, comme Anticor, Sherpa ou Transparency International. Un dernier baroud d’honneur sur fond de multiplication des affaires politico-financières ?

L’aile dure de l’UMP vient de lancer une nouvelle offensive contre les associations. Sur le front judiciaire cette fois. Dans l’indifférence quasi générale, le député UMP des Yvelines Jacques Myard, membre de la Droite populaire, a déposé la semaine dernière une proposition de loi « visant à limiter les procédures pénales abusives menées par certaines associations ». Cette loi aurait notamment pour conséquence d’empêcher les associations anticorruption de se constituer partie civile dans les affaires politico-financières.

« Avec une telle loi, aucune contradiction citoyenne (...) n’aurait été présente lors du procès Chirac pour équilibrer les débats. Quid de nos actions citoyennes en justice dans l’affaire des sondages de l’Élysée, dans l’affaire Karachi, dans l’affaire des irrégularités de dépenses de communication du gouvernement révélées par la Cour des comptes ? », s’indigne l’association Anticor, qui regroupe des citoyens et des élus. « Impossibilité également de nous porter partie civile dans le volet financement de parti politique de l’affaire Woerth-Bettencourt si, d’aventure, on assistait à une tentative d’étouffement de cette affaire », ajoute-t-elle.

Un droit français déjà fragile

Que dit la proposition de loi, enregistrée par la présidence de l’Assemblée nationale le 24 avril ? Si une association demande l’ouverture d’une information judiciaire et veut se constituer partie civile dans une affaire où la plainte a été classée, elle devra en demander l’autorisation au procureur… « Autant demander à un arbitre qui vient de sortir un carton rouge, dans la minute qui suit, l’autorisation de faire revenir sur le terrain le joueur qu’il a expulsé pour qu’il finisse la partie ! », défend Anticor. En cas de refus, l’association pourra faire appel au procureur général puis, en dernier recours, à la chambre de l’instruction [1]. « Un parcours dissuasif des plus dilatoires et coûteux, avec une chance de succès des plus improbables pour toute affaire mettant en cause le pouvoir », explique l’association anticorruption. Les procureurs pouvant donner cette autorisation étant sous l’autorité du ministre de la Justice, donc dépendants du gouvernement en place, difficile d’imaginer système plus verrouillé.

« Le droit français ne connaît pas l’action populaire, qui permet, notamment en Espagne et au Portugal, à un plaignant qui n’est pas victime directe de mettre en œuvre l’action publique, explique Éric Alt, magistrat, membre du Syndicat de la magistrature [2]. Il ne connaît pas non plus l’action de groupe, qui permet, dans de nombreux pays, à un ou plusieurs demandeurs d’intenter une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes. La possibilité à certaines associations d’agir pour un intérêt général tempérait ces difficultés. »

Sans les associations, pas de poursuites de dictateurs

Une affaire récente avait pourtant permis de faire avancer le droit français sur cette question. Transparency International France, Sherpa et un citoyen gabonais déposent plainte en 2008 contre trois dictateurs africains, pour recel de détournement de fonds publics. Après une longue bataille judiciaire, la Cour de cassation reconnaît la légitimité de Transparency International France à se constituer partie civile dans cette affaire. La Cour de cassation a ainsi jugé que « les délits poursuivis, s’ils étaient établis, seraient de nature à causer à l’association Transparence International France un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission » [3]. L’instruction judiciaire a permis de dresser l’inventaire des 39 propriétés luxueuses de l’ex-président gabonais Omar Bongo, en France, et des 112 comptes bancaires de Denis Sassou-Nguesso, président du Congo-Brazzaville…

Mais cette jurisprudence reste fragile, explique Éric Alt : « Elle exige, pour chaque procédure, la démonstration par l’association de son intérêt à agir. » C’est-à-dire qu’elle doit être légitime pour intervenir dans ce champ d’action, défendre des intérêts collectifs, et les infractions constatées doivent être en lien avec son objet social. Pour renforcer leur action, les associations Transparency International France, Anticor et Sherpa, dans une lettre ouverte envoyée le 19 avril aux candidats à l’élection présidentielle, ont demandé une « habilitation légale des associations de lutte contre la corruption ».

Pour l’UMP, lutte contre la corruption rime avec politisation…

Il s’agit de donner aux associations qui travaillent dans le domaine de l’anticorruption la capacité de saisir elles-mêmes la justice. Ce qui permettrait d’instaurer selon les associations « un salutaire contre-pouvoir aux influences partisanes susceptibles de s’exercer, dans le traitement de telles affaires sensibles, sur des magistrats dont l’indépendance n’est en rien garantie ». Des habilitations qui existent déjà pour les associations de lutte contre les discriminations, contre les violences familiales, sexuelles ou contre les mineurs, contre le terrorisme, les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre, et les associations de préservation de l’environnement…

Une proposition qui n’est visiblement pas du goût du député Jacques Myard, qui regrette que la loi actuelle permette déjà « à des associations "plus ou moins politisées" de décider d’enclencher l’action publique sur le même pied que le procureur ». Conséquence : « L’institution judiciaire est de ce fait instrumentalisée et détournée de son but qui est de protéger les citoyens. L’action publique est ainsi purement et simplement privatisée », déplore-t-il. Selon le député, « la répétition de leur action aboutit à une véritable instrumentalisation de la justice à des fins politiques, ce qui constitue un réel abus de droit, et est inadmissible ». Et empêcher des collectifs de citoyens de défendre l’intérêt général dans des affaires de corruption ?

On peut s’interroger sur l’intérêt de déposer une proposition de loi en fin de mandature… Nous voilà en tout cas prévenus : en cas de victoire de l’UMP, la bataille judiciaire contre les affaires de corruption s’annonce compliquée. D’autant que le député semble regretter, dans sa proposition de loi, que le code de procédure pénale aille « même jusqu’à exonérer les délits de presse ainsi que les fraudes électorales de toute condition de recevabilité du procureur ». Une justice trop indépendante semble visiblement bien dangereuse pour l’UMP. Vite, étouffons les contre-pouvoirs !

Agnès Rousseaux

Photo : CC IntangibleArts

P.-S.

État des lieux par le Syndicat de la magistrature des affaires révélant les dangers du statut du parquet.

Notes

[1Proposition de loi : « L’article 85 du code de procédure pénale est complété par deux alinéas ainsi rédigés : “La constitution de partie civile formée par une association en application des articles 2-1 à 2-21 du présent code n’est recevable qu’après l’avis favorable du procureur de la République. En cas de refus, l’association peut demander au procureur général un nouvel examen de sa plainte. En cas de non-réponse ou de classement sans suite par le procureur général, l’association peut en saisir dans les mêmes conditions la chambre de l’instruction. » Source

[2Substitut du procureur, vice-président dans une chambre correctionnelle spécialisée en matière économique à Paris. Auteur, avec Irène Luc, de La Lutte contre la corruption, PUF, « Que sais-je », 1997, et L’Esprit de corruption, éd. Le bord de l’eau, 2012.

[3Source.