Droits

La Constitution protège les fraudeurs du fisc, pas les chômeurs

Droits

par Ivan du Roy

Le Conseil constitutionnel a censuré début décembre plusieurs articles de la loi relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cette loi, présentée par le gouvernement comme « un enjeu de souveraineté et de redressement des comptes publics », veut instaurer plus de « sévérité » et de « détermination » contre la délinquance en col blanc : corruption, blanchiment d’argent ou fraude fiscale « sophistiquée ».

Mais le Conseil constitutionnel a jugé que plusieurs articles portaient atteinte aux droits. La loi renforçait notamment le montant des amendes prévues pour les délits financiers. Lorsqu’une entreprise – une société écran par exemple – est impliquée dans une fraude avérée « ayant procuré un profit direct ou indirect », les amendes pouvaient s’élever à 10%, voire 20%, du chiffre d’affaires de la « personne morale », l’entreprise, concernée. La fixation de l’amende ne dépend donc plus de la gravité du délit mais de la capacité financière de la personne morale – son chiffre d’affaires – commettant le délit.

Deux poids, deux mesures

Ce nouveau mode de calcul d’une amende a ainsi été jugée « contraire au principe de proportionnalité des peines », qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Le Conseil constitutionnel estime qu’il pourrait, dans ce cas, ne pas exister de lien entre la peine encourue, calculée au prorata du chiffre d’affaires, et la gravité de l’infraction. L’amende risquait donc d’être « manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction constatée ».

Sauf que cette proportionnalité entre la peine et le délit n’est pas respectée pour les chômeurs. Quand un demandeur d’emploi commet « la faute » d’oublier de se rendre à un entretien suite à une convocation, « il écopera de deux mois de suspension de ses revenus et d’une radiation de même durée », réagit l’équipe du site Recours radiation, qui défend les droits des demandeurs d’emploi face aux radiations abusives perpétrées par Pôle emploi. « On est loin du crime ou du délit ayant procuré un profit direct ou indirect, vous en conviendrez. Pourtant, l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme ne s’applique pas au citoyen-chômeur. »

Pas de droit à la vie privée pour les allocataires

Deux autres articles censurés de la loi illustrent ce « deux poids, deux mesures » entre délinquants financiers et demandeurs d’emploi. Ces articles prévoient que l’administration fiscale ou les douanes puissent procéder à des « visites domiciliaires » (à domicile) autorisées par le juge, y compris sur la foi de documents « illégaux » – témoignage anonyme ou document fourni par une source non identifiée. Il s’agit de donner aux enquêteurs une partie des « techniques spéciales d’enquête » prévues pour lutter contre la criminalité organisée. Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions contraires à la Constitution, « le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile », ainsi que les droits de la défense n’étant pas garantis par le législateur.

Des droits dont les allocataires de prestations sociales – allocations logement, allocations familiales, RSA... – sont, de leur côté, privés. « Les visites domiciliaires sont, dans leur cas, des pratiques courantes. Elles sont, pour ce qui les concerne, réalisées sans aucune demande d’autorisation à un juge. Présumés coupables, ils doivent apporter la preuve de leur innocence, même après une dénonciation anonyme », rappelle Recours radiation. « Les lois les concernant n’ont pas été censurées. Pour ces citoyens-là, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ne s’applique pas. Ce qui est anticonstitutionnel pour les uns, doit l’être pour tous, sans distinction d’origine sociale ou de tenue vestimentaire. » Quelqu’un au ministère de la Justice entendra-t-il ce message ?