Consommation solidaire

Sur les pavés, une cantine populaire et conviviale : la Marmite à Roulettes

Consommation solidaire

par Barbara Heide, Medhi Bouzouina

De Béziers à Montpellier, un groupe d’Héraultais se réapproprie la rue pour proposer au plus grand nombre des repas à petits prix et de qualité. Retour sur cette initiative librement inspirée des cuisines coopératives de la Commune.

Cet article a initialement été publié dans la revue Nature & Progrès.

Béziers, vendredi 21 mars à midi. C’est la veille du 1er tour des élections municipales, sur la place du marché. Face à la maison de Jean Moulin, nous sommes quelques-uns à installer tables, réchaud, gamelles et vaisselle. L’association « La Marmite à Roulettes » organise une soupe populaire pour le premier festival des peuples organisé par la Cimade de Béziers. Très rapidement, une batucada nous rejoint, suivie par des militants, sans-papiers, passants, précaires, pour discuter, se rencontrer, danser et déguster une délicieuse soupe aux lentilles bio à base de légumineuses provenant de Villeneuve-les-Béziers.

Au début, nous étions une petite dizaine issus des mouvements sociaux, du monde associatif de Pézenas (Hérault) à faire le constat qu’il manquait dans cette ville un lieu collectif, autonome et indépendant des organisations politiques. Nous sommes persuadés que l’absence d’un tel espace nous « invisibilise », nous affaiblit et nous empêche de nous rencontrer et de nous organiser. Pour mémoire, les mouvements ouvriers historiques ont créé des structures essentielles comme les syndicats, les coopératives, les maisons du peuple, les bourses du travail, pour améliorer leurs conditions de vie et apporter des réponses de solidarité et d’égalité. Aujourd’hui, il y a donc urgence à recréer des outils porteurs de ces valeurs pour lutter, s’entraider, construire ensemble des alternatives. Voilà pourquoi nous avons décidé de lancer une cantine populaire.

Clin d’œil à la Commune

En 1868, Eugène Varlin lance avec le soutien de Louise Michel un appel aux ouvriers, ouvrières et consommateurs pour la formation d’un restaurant coopératif ouvrier. Son appel se transforme en un véritable succès puisqu’il parvient à atteindre 8 000 souscripteurs à raison d’un sou par semaine. La cuisine coopérative « la Marmite » ouvre à Paris un premier restaurant dans le VIe arrondissement. Trois autres établissements voient le jour jusqu’à la guerre franco-prussienne de 1870 qui stoppe net le projet de onze nouvelles cantines. Pendant le Siège et la Commune de Paris, les marmites permettent de venir en aide aux familles les plus modestes. C’est également en 1871 que la Commune propose, parmi de nombreuses réformes, la gratuité de la cantine scolaire.

Voilà l’état d’esprit dans lequel nous avons pensé notre cantine populaire avec comme objectif premier de favoriser l’accès pour tous à une alimentation de qualité, saine et équilibrée. Au sens où nous l’entendons, la cantine populaire est un lieu de vie et de sociabilité à la fois simple, chaleureux et ouvert à tous, où l’on sert des repas à faible coût. C’est également un endroit intergénérationnel et propice à la mixité sociale. Respectueuse de l’environnement et dans un esprit de développement local et durable, l’association s’efforce d’utiliser les circuits courts pour l’approvisionnement et développe des partenariats avec des producteurs locaux.

Le terme « cantine » peut paraître péjoratif aux yeux de certains mais, il porte en lui des valeurs historiques. Sans compter qu’il s’agit surtout d’un mode de restauration convivial et peu cher par excellence, où des personnes en situation de précarité et des actifs peuvent rester en contact et tisser des liens autour d’un repas. La cantine facilite alors les rencontres de hasard, la création de lien et d’affinités. Elle expose l’être humain à une confrontation avec d’autres, de sexe, de niveaux et de classes sociales parfois différents. En effet, une fois attablés, il est alors plus facile de lier connaissance avec ses voisins. L’esprit cantine populaire vise alors à améliorer les relations humaines, dans un espace de sociabilité et de solidarité.

Encourager les filières courtes

L’alimentation de qualité est aujourd’hui réservée aux populations favorisées, conséquence de la généralisation des produits industriels, bas de gamme, et de l’augmentation générale des prix des produits alimentaires. Nous nous situons entre l’offre de restauration classique, (c’est à dire à un prix inabordable financièrement pour une majorité de personnes) et celle des associations d’aide alimentaire (une démarche de précarité stigmatisante et une nourriture industrielle premier prix).

Dans un souci d’écologie et de qualité de notre alimentation, nous remettons en question l’ensemble du système de production (agro-industrie) et de distribution (supermarchés) des produits alimentaires. Pour nos ingrédients et boissons, nous faisons donc appel principalement à des petits producteurs locaux. Encourager ainsi les filières courtes, permet de créer un contact direct avec les producteurs et ainsi éviter tout intermédiaire, de soutenir le développement local en encourageant à l’installation de paysans et enfin, de remettre en cause le transport des marchandises sur de longues distances.

A la cantine, nous privilégions donc des produits sains : aliments non-OGM, certifiés biologiques ou non, cultivés sans pesticides ni engrais de synthèse. Nous affichons donc systématiquement la provenance de l’ensemble des produits qui composent le menu. Nous nous engageons également à ce que les produits proviennent de producteurs se trouvant dans un rayon d’une centaine de kilomètres. Cette démarche a permis de faire découvrir au public qui vient manger à la Marmite qu’il y avait à proximité un producteur de lentilles ou de pois chiches en bio. Suite logique à cette initiative : la mise en place d’un groupement d’achat pour permettre aux intéressé(e)s de pouvoir bénéficier de ces produits.

S’installer dans la rue

La Marmite à Roulettes s’installe généralement dans des lieux publics, et notamment dans la rue. C’est une démarche de réappropriation temporaire : s’installer sur le pavé, y organiser un repas collectif consiste bien à réinvestir un espace qui nous est volé chaque jour, dans un moment d’expérimentation collective, de rencontres, d’échanges, en dehors des temps officiels de convivialité obligatoire (fête de la musique, braderie, carnaval, 14 juillet, fête des voisins...).

Soit nous intervenons sur demande, en veillant bien à ce que les valeurs de la Marmite soient respectées (repas à petits prix, des produits locaux et bio…), soit nous créons l’événement. Ainsi depuis deux ans, nous mettons régulièrement en place des soupes populaires et autres repas, généralement dans la rue. Dernièrement, la cantine a préparé le repas The Meal à Montpellier et a cuisiné lors de l’inauguration d’une ferme à Agde soutenue par Terres de Liens...

Au même titre que les cantines populaires autogérées de Lima [1], nos repas sont organisés collectivement. Là où nous intervenons, nous proposons aux gens de participer à la préparation du repas, au nettoyage, à l’organisation de la cantine sur place. Très souvent, la veille du repas, des structures nous prêtent leur cuisine afin de mettre en place les préparatifs : Lieu ressources, Centre de jour. Encore une occasion de rencontrer un nouveau public et de les intégrer au projet.

A la cantine, il n’y a donc pas ceux et celles qui font la popote, servent les repas et font la vaisselle, et ceux et celles qui consomment ! Au contraire, chacun est invité à s’investir à tous les niveaux de l’organisation du repas, sollicitant ainsi une attitude collective, active et responsable.

Prendre en main le cours de nos existences

Pour l’heure, la Marmite à Roulettes propose une cantine populaire sur un mode itinérant mais à moyen ou long terme, nous envisageons aussi de nous implanter dans un lieu fixe à Pézenas. Ce lieu d’éducation populaire devra être géré collectivement, de manière démocratique et autonome vis-à-vis des institutions politiques. Un projet d’expérimentation qui ne se contentera pas d’agir en réaction, mais dans une construction positive, ouverte sur son quartier, sur son territoire, et plus largement sur sa population.

Avec cette cantine, nous avons la prétention de mettre en pratique les idées et envies qui nous portent, de les partager. Nous sommes résolument déterminés à reprendre en main le cours de nos existences…

Texte : Medhi Bouzouina
Photos : Barbara Heide

Association « La marmite à Roulettes »
Contact : cantinepopulaire(a)riseup.net
07.77.38.41.88

Cet article est tiré du dernier numéro de la revue Nature & Progrès. Retrouvez la présentation sur notre page Partenaires médias.

Notes

[1Lire l’article de l’Âge de Faire ici.