Christine, 53 ans, est auxiliaire de vie pour personnes âgées depuis quinze ans. Payée en « chèque emploi-service universel » (Cesu), par les particuliers chez lesquelles elle travaille, elle trouve que son métier ressemble plus à celui d’une infirmière que d’une aide ménagère : « Je fais le ménage, mais aussi les toilettes des personnes âgées. Je les aide aussi à se lever... » Un jour, il y a cinq ans, un de ses employeurs décède. Puis, Christine se blesse au travail, et tombe malade. Reconnue inapte par la médecine du travail, ses employeurs ont dû la licencier.
Mais Pôle emploi refuse d’abord de l’indemniser. « Depuis quatre ans, c’est toujours la même chose : "On ne peut rien faire pour vous, il manque un papier"... » Son travail d’aide à la personne, avec des horaires fragmentés et plusieurs employeurs, assorti de contrats ultra-précaires comme les Cesu, est un emploi typiquement féminin. Christine, veuve, vit en région parisienne et élève seule un enfant de dix ans.
« C’est plus difficile pour les femmes, bien-sûr, estime Joëlle Moreau, porte-parole de l’association Agir ensemble contre le chômage (AC !). Tous les emplois dégradés sont pour elles : par exemple dans le nettoyage ou le secteur de l’aide à la personne, où l’on trouve principalement des CDD, des contrats précaires, des temps partiels. De plus les femmes mènent souvent plusieurs vies, comme lorsqu’elles sont mères célibataires. »
Un chômage des femmes invisible
Si le taux de chômage des femmes est aujourd’hui légèrement inférieur à celui des hommes (9,9 % contre 10,2 % en 2016), ces chiffres cachent des inégalités dans l’accès à l’emploi. Sur la tranche d’âge des 30-39 ans, le taux de chômage des femmes est ainsi supérieur à celui des hommes (10,2 % pour les femmes âgées de 30 à 39 ans contre 9,2 % pour les hommes). Et elles sont sur-représentées dans les catégories B et C du chômage : celles des personnes recherchant un emploi mais qui ont travaillé un nombre réduit d’heures le mois précédent. Ces personnes ne sont pas comptabilisées dans le le taux de chômage officiel, annoncé chaque mois. Or, au sein de ces catégories B et C du chômage, on dénombre, en décembre 2017, 1,2 million de femmes et 959 000 hommes [1]. C’est dans la catégorie A (personnes sans aucune activité) que les femmes sont, légèrement, moins nombreuses : 1,6 million de femmes contre 1,7 million d’hommes.
Par ailleurs, les personnes qui cherchent un emploi mais ne sont pas immédiatement disponibles, et celles qui ne sont pas considérées comme recherchant un emploi activement, ne sont pas comptabilisées comme étant au chômage [2]. La définition institutionnelle du chômage, qui classe comme chômeurs les personnes souhaitant travailler et disponibles rapidement, rend ainsi invisible le chômage réel ou la précarité subie des femmes, bien plus nombreuses à devoir s’occuper seules d’enfants.
Les découragées, les indisponibles ou les sous-employées
« Pour celles qui ont des enfants, ce critère pose la question de la disponibilité du mode de garde et de son coût, précise l’économiste Séverine Lemière, maitresse de conférences à l’IUT Paris Descartes [3] La question du désir ou non de travailler est aussi à prendre avec beaucoup de pincettes, surtout pour les femmes, insiste-elle. Quand on ne dispose pas de moyen de garde pour ses enfants, ou que son coût dépasse les revenus du travail, la question du souhait de travailler ne se pose pas de la même manière. Le non emploi des femmes est aussi davantage accepté socialement que celui des hommes. » La société considère qu’elles auront toujours de quoi s’occuper à la maison. « Rendre le non-emploi plus visible par d’autres indicateurs que ceux du chômage, et prendre en compte les personnes qui ne sont pas immédiatement disponibles pour travailler, est très compliqué politiquement : cela ferait exploser les chiffres ! », avance l’économiste.
Les femmes sont aussi largement plus concernées que les hommes par le sous-emploi, qui réunit notamment les personnes en temps-partiel subis. En 2015, 1,7 million de personnes étaient en situation de sous-emploi, dont 1,2 million de femmes contre moitié moins d’hommes. Le taux global de chômage masque d’autres variables, relève la sociologue Margaret Maruani, auteure de Travail et emploi des femmes, publié par les éditions La Découverte en 2017. « Plus on s’éloigne du chômage officiel pour aller vers le chômage de l’ombre – les découragés, les indisponibles ou en sous-emploi – plus on trouve de femmes », résume-t-elle.
Salaires inférieurs aux hommes et temps partiel imposé
En 2016, près d’une femme sur trois travaillant étaient à temps partiel, contre seulement 8,2 % des hommes [4] Les femmes occupent le gros des emplois fragmentés, telle l’activité d’auxiliaire de vie de Christine, payés en Cesu. Et qui permettent rarement d’arriver à un temps plein. Ce sont encore elles qui supportent la plupart du travail domestique et de l’éducation des enfants. 26 % des femmes qui sont à temps partiel ont officiellement fait ce « choix » pour s’occuper de leurs enfants, contre 6 % des hommes.
Pénalisées par leur surcharge de travail domestique non rémunéré, les femmes le sont aussi par les inégalités de salaires qui persistent. Tous temps de travail confondus, les femmes touchent au total un salaire un quart inférieur – 25,7 % exactement – à celui des hommes. À temps complet, les femmes touchent 16,3 % de moins que les hommes. À poste et expérience équivalents, les femmes perçoivent toujours 12,8 % de moins que leurs collègues masculins.
À revenus et taux d’emploi inférieur, les indemnités de chômage sont, en toute logique, elles aussi inférieures : quand elles sont indemnisées par l’assurance chômage, les femmes touchent en moyenne 200 euros de moins que les hommes. Le montant moyen net d’indemnisation mensuelle est très significativement plus élevé pour les hommes (1074 euros) que pour les femmes (868 euros), notamment en raison d’un moindre recours au temps partiel et d’un salaire moyen plus élevé pour les hommes, relève l’Insee.
« Tout ferme : services publics, collèges, centres de soins hospitaliers »
« Elles ont par ailleurs plus difficultés à se reclasser, ajoute Joëlle Moreau, de l’association « AC ! ». Car dans les secteurs plus féminins, il y a de moins en moins d’emplois. Comme sur les caisses de supermarché, où vous avez désormais des caisses automatiques, avec une seule personne pour les surveiller. Il y a de moins en moins d’emplois où les femmes peuvent s’insérer et elles sont de plus en plus en concurrence avec les hommes. Pour les femmes qui arrivent à 45-50 ans, c’est encore plus difficile. »
Une autre Christine, 58 ans, a travaillé depuis l’âge de 16 ans, comme vendeuse, en boulangerie, en porte-à-porte, ainsi que dans dans le nettoyage. Elle s’est aussi occupé de ses enfants. Aujourd’hui en recherche d’emploi – non indemnisée – depuis des années dans l’est de la France, elle a effectué plusieurs stages avant d’intégrer sur concours une formation « responsable d’atelier de production horticole ». « Diplôme obtenu, je n’ai pas pu trouver d’emploi. Il n’en existe quasiment plus dans ma région. Tout ferme : services publics, collèges, centres de soins hospitaliers... À presque 59 ans, je ne me fais guère d’illusions. Je touche donc le RSA, sauf durant les périodes de formation, où je touche une rémunération. »
« Quand on a plus de 50 ans, c’est mort pour retrouver du travail »
« Quand on a plus de 50 ans, c’est mort pour retrouver du travail, tranche Nadine Hourmant, délégué syndicale FO chez Doux, le volailler qui avait licencié un millier de personnes en 2012. Physiquement, on ne tient plus la marée. Les cadences sont telles, dans tous les métiers, qu’on est pas assez productives. » La formation, tant vantée par l’actuel gouvernement, ne résout pas tout. « L’une des mes anciennes collègues a passé son permis poids lourd, dit Nadine Hourmant. Mais elle ne trouve pas de boulot. Pensez-vous, une femme au volant d’un camion. »
« Les agents de Pôle emploi ne peuvent pas inventer des emplois qui n’existent pas, juge Joëlle Moreau. Mais avant que Nicolas Sarkozy ne supprime la mesure, en décembre 2012, les chômeurs de plus de 55 ans étaient dispensés de recherche d’emploi. Nous demandons que cela soit mis à nouveau en place. » Autre suggestion : la prise en charge de la spécificité du chômage féminin par des politiques publiques spécifiques, à l’image de celles qui sont menées en faveur des jeunes.
Rachel Knaebel et Nolwenn Weiler