[Mise à jour : Le 16 juillet 2020 s’est achevée la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) du projet d’autoroute A45. L’État français a décidé de ne pas la proroger. Cette DUP devient donc caduque au bout de ses 12 ans de validité, et l’A45 ne verra pas le jour. « Une lutte remportée à la suite de plusieurs décennies de mobilisations de militantes et militants » se réjouit le collectif Non à l’A45 dans un communiqué. « L’organisation des habitantes et habitants ainsi que la création d’un collectif des paysannes et paysans, ont permis d’achever ce vieux projet. »]
L’écologie, ce n’est pas vraiment l’esprit des récentes décisions prises par Laurent Wauquiez, le nouveau président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ces derniers mois, le numéro deux du parti Les Républicains (LR) a fait voter une subvention régionale de 4,7 millions d’euros pour le controversé Center Parcs de Roybon en Isère, tout en sabrant les budgets des associations de protection de l’environnement ou dédiées au développement du bio et des circuits courts [1]. Depuis peu, celui qui est aussi député s’est lancé dans une nouvelle bataille : le financement de l’autoroute A45 sur lequel les élus régionaux devront se prononcer ce 7 juillet. Un projet chiffré à 1,2 milliards d’euros, en plein cœur des Monts du Lyonnais, dont le constructeur pressenti ne serait autre que Vinci Autoroute [2].
La proposition d’une subvention de la Région — à hauteur de 131,66 millions d’euros — soulève une fronde des élus concernés par le tracé. L’A45 viendrait en effet doubler une autoroute déjà existante entre Lyon et Saint-Étienne, l’A47, déjà longée par l’une des voies ferrées les plus fréquentées de France. Le 18 juin à Saint-Étienne, un millier de personnes sont venues exprimer leur opposition en brandissant un carton rouge à l’A45 [3].
« C’est une absurdité en termes de déplacements, enrage Martine Surrel, maire de Saint-Maurice-sur-Dargoire et présidente de l’association l’ALCALY (Alternatives au contournement autoroutier de Lyon), qui regroupe 109 communes opposées au projet. Contrairement à ce qui est annoncé, cette deuxième autoroute à péage ne relie pas Saint-Étienne à Lyon mais la Fouillouse à Brignais. Le temps soit-disant gagné sera donc perdu dans les bouchons aux portes des agglomérations ».
L’impossible réaménagement de l’autoroute existante ?
Si un décret a bien déclaré l’A45 « d’utilité publique » en juillet 2008, un rapport de juin 2013 du ministère des Transports ne tranche pas de manière définitive. Il précise la nécessité de « s’être assuré de manière contradictoire qu’il n’existe pas d’alternative effective à un coût raisonnable » [4]. Pour parer aux critiques, Laurent Wauquiez a commandé une étude sur les avantages et les inconvénients du nouvel axe par rapport à une possible réhabilitation de l’actuelle A47, souvent saturée. L’audit n’a pas encore été rendu public, mais l’élu LR a déjà fait savoir dans les colonnes d’un journal local que les résultats plaidaient en faveur de l’A45 [5]. Pourtant, selon les chiffres de l’étude dévoilés dans l’entretien, le coût du réaménagement de l’autoroute existante se révèlerait inférieur à la création d’une nouvelle autoroute – 1,015 milliard d’euros contre 1,2 milliard. « Cela créerait de gigantesques bouchons durant ces travaux » prévus pendant plusieurs années, insiste Laurent Wauquiez.
Cette crainte des « millions d’heures de travail perdues dans les bouchons continuels » est l’argument numéro un des partisans de l’A45, à commencer par la Chambre de commerce et d’industrie de la Loire [6]. Cette dernière met aussi en avant la non-conformité de l’actuelle A47 aux normes de sécurité, « cause d’un nombre anormalement élevé d’accidents matériels ». Une information toutefois nuancée par la Direction inter-régionale des routes qui a relevé presque deux fois moins d’accidents entre Saint-Étienne et Lyon que sur les nationales de l’aire métropolitaine lyonnaise [7].
« Il faut créer des lignes de RER Lyon-Saint-Etienne, Lyon-Givors, Lyon-Vienne, a récemment plaidé l’élu régional EELV Jean-Charles Kohlhaas, aux côtés d’élus de droite opposés au projet [8]. On est à sept trains par heure, en heure de pointe. On peut doubler cette cadence ». « On a aussi besoin d’un peu d’imagination pour ne pas avoir un seul passager par voiture », appuie Jean Guinand, un paysan à la retraite concerné par le tracé.
« Le désenclavement est un leurre »
Du côté de la Chambre de commerce de Saint-Étienne, on n’en démord pas, l’A45 apportera un « regain d’activité économique » [9]. Pour le démontrer, elle s’appuie sur un sondage réalisé auprès d’un millier de chefs d’entreprise, mais daté... de 2006 [10]. « C’est un non-sens économique, dénonce Martine Surrel. J’en veux pour preuve le fonctionnement de l’A89 [autoroute reliant Bordeaux à Lyon via Clermont-Ferrand, ndlr]. Toutes les collectivités attendaient un développement économique avec cette nouvelle autoroute. Mais dans les faits, les zones industrielles autour de l’A89 ne se sont pas développées. » C’est aussi le cas pour la vallée du Gier qui longe l’A47 et se trouve marquée par une forte désindustrialisation depuis la création de cette autoroute en 1971.
« Les partisans de l’A45 disent qu’il faut désenclaver Saint-Étienne, poursuit Julia Lourd, de l’association de sauvegarde des Coteaux du Jarez. Mais tous les spécialistes des transports l’affirment : lorsque deux agglomérations sont reliées par des autoroutes, c’est toujours l’agglomération la plus importante qui en bénéficie. » Cette nouvelle autoroute favoriserait donc plutôt la délocalisation des entreprises de Saint-Étienne vers Lyon. Le désenclavement serait ainsi un « leurre », selon Julia Lourd. « L’A45 est un maillon de la liaison européenne Séville-Varsovie. On va faire payer aux contribuables locaux une autoroute qui ne servira qu’au transit international. L’A45, c’est pour les camions », assure-t-elle.
Une question de « modèle de développement »
Aux côtés des élus et riverains, de nombreux paysans dénoncent le tracé de l’autoroute qui mettrait selon eux « 500 hectares de terres sous le bitume ». « Les pertes de foncier engendrées par l’emprise du projet vont déséquilibrer certaines exploitations », confirme un rapport commandé par le ministère de l’Environnement [11]. « Comme si nos métiers ne créaient pas d’activité économique !, s’insurge Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne, lui-même installé à Saint-Genest-Lerpt près de Saint-Étienne. L’activité agricole crée justement de l’emploi et de la valeur ajoutée localement. Sur ce territoire, on a fait le choix de fermes de taille modérée, pour être nombreux. » Jean Guinand en témoigne. Sa ferme, qui est coupée en deux par le tracé, a été reprise par ses enfants. Six personnes travaillent désormais sur cette exploitation qui transforme le lait en yaourts et en fromages frais.
Plus largement, c’est toute la dynamique d’agriculture paysanne sur le Plateau mornantais, à l’œuvre depuis des décennies, qui pourrait être mise en péril. C’est notamment sur ce plateau qu’a ouvert, en 1978, le premier magasin français de producteurs, Uniferme. A proximité, la commune de Saint-Maurice-sur-Dargoire, 2 200 habitants compte à elle-seule trente-neuf agriculteurs.
Pour Laurent Pinatel, le projet de l’A45 traduit « une panne de l’imaginaire économique. Ça fait 50 ans qu’on nous dit qu’il faut créer des autoroutes ! On touche là au modèle de développement de la société. » En pleine pénurie budgétaire, la subvention publique d’équilibre s’élèverait pour ce projet à 790 millions d’euros – dont la moitié apportée par l’État. Laurent Waquiez a été clair : si l’A45 est lancée, « ça signifiera qu’on fera des économies sur d’autres dossiers de la Loire » [12]. Lesquels ?
Texte et photos : Sophie Chapelle