Elections européennes

Le Front de gauche veut changer l’Europe sans sortir de l’euro

Elections européennes

par Ivan du Roy

Sortir de l’euro ou pas : la question fait discrètement débat à gauche, via les prises de position d’Emmanuel Todd ou les discussions au sein des « économistes atterrés », qui regroupent des économistes de gauche. De son côté, le Front de gauche a tranché : « Certains prônent la sortie de l’euro et la mise en œuvre de politiques de dévaluation compétitive. Ce projet est économiquement hasardeux. Il alourdirait l’encours de la dette publique, renchérirait les importations, ce qui pèserait sur le niveau de vie de la population, et ouvrirait la porte à la spéculation sur la nouvelle monnaie, donnant ainsi une arme puissante aux marchés financiers. » Si l’Euro, « tel qu’il est aujourd’hui n’est plus supportable pour les peuples », tourner le dos à la monnaie unique n’est pas d’actualité.

« Chocs diplomatiques »

Le Front de gauche, qui regroupe le Parti communiste, le Parti de gauche et plusieurs composantes de la gauche sociale et écologiste, est en train de préciser ses grandes orientations pour l’Union européenne, dans un texte – « Rompre et refonder l’Europe » – en cours de finalisation. Si l’euro n’est pas remis en cause, les futurs eurodéputés souhaitent cependant créer des « chocs diplomatiques » au sein de l’Union. Ces chocs diplomatiques visent à transformer la Banque centrale européenne (BCE), lutter contre le dumping social, relocaliser la production ou accélérer le développement des énergies renouvelables.

La BCE ? Elle devra « prêter directement aux États et aux collectivités territoriales » à des taux défiant toute concurrence. Un « Fonds européen de développement social, écologique et solidaire » aidera les entreprises « qui développent l’emploi, dans le respect de critères sociaux et écologiques précis ». Les transactions financières seront taxées et « tout mouvement de capitaux allant vers un paradis fiscal » bloqué. Le Front de gauche souhaite l’émergence d’un salaire minimum commun et refusera la directive européenne sur le détachement des travailleurs. Celle-ci permet à un employeur de faire venir temporairement des travailleurs d’un autre pays européen et de s’acquitter des cotisations sociales en vigueur dans le pays d’origine. La France compte environ 150 000 salariés détachés, originaires de Pologne, du Portugal ou de Roumanie, employés principalement dans le BTP et l’intérim. Pour favoriser la relocalisation des activités, une taxe kilométrique et des « visas sociaux et environnementaux » seront instaurés aux frontières de l’UE.

« Des mesures unilatérales coopératives »

« Nous pouvons être la bonne surprise de ces élections, bouleverser le paysage politique en France, faire gagner la gauche qui s’oppose à la politique d’austérité », espère la coalition de gauche, créditée d’environ 9% des voix dans les sondages (contre 6,5% en 2009). Reste que pour mettre en œuvre ses « chocs diplomatiques », il devra compter sur les bons résultats de ses partenaires européens. En Allemagne, Die Linke (« La gauche ») est crédité d’environ 8% des voix. En Grèce, la coalition de la gauche radicale Syriza devrait approcher les 30% (contre 5% aux élections européennes de 2009), et les communistes plus orthodoxes du KKE obtenir 8%. En Espagne, Izquierda Unida (« Gauche unie ») espère tripler son résultat de 2009 et atteindre les 12%.

Au Portugal voisin, la Coalition démocratique unitaire, qui regroupe communistes et écologistes, pèse environ 11% des suffrages et son concurrent de la gauche radical (le Bloc de gauche) 5%. En Italie, les listes de « L’autre Europe » avoisinent également les 5%. Enfin, en Irlande, le Sinn Fein devrait attirer entre 15% et 20% des électeurs (contre 11% en 2009). Même si tous ces eurodéputés n’émargeront pas, à Strasbourg, au sein du groupe parlementaire de la gauche unitaire européenne – plusieurs préfèreront le groupe écologiste –, celui-ci augmentera très probablement le nombre de ses eurodéputés (35 élus actuellement), qui pourrait presque doubler.

Mais cela ne suffira pas à créer le rapport de force nécessaire au sein de l’Europe pour reprendre le contrôle de la BCE, taxer les transactions financières ou stopper le dumping social. En cas d’échec, le Front de gauche estime qu’un véritable gouvernement de transformation devra avancer seul au niveau national, quitte à prendre « des mesures unilatérales coopératives ». Une notion qui demeure diplomatiquement ambiguë.