Grèves dans l’éducation

Le cache-sexe du service minimum

Grèves dans l’éducation

par Jérôme Anciberro

La notion de « service minimum » permet d’évacuer des débats plus politiques sur l’accès à l’éducation et la qualité du système éducatif. Une stratégie menée à grand renfort de sondages, d’éditos et de micro-trottoirs.

Ceux qui ne sont pas au courant doivent le faire exprès : selon un sondage CSA/i-Télé/Le Parisien-Aujourd’hui en France publié le 13 mai, 60% des Français seraient favorables au service minimum d’accueil dans les écoles les jours de grève « parce que cela permet de ne pas pénaliser les parents qui travaillent ». A l’inverse, 33% le considèrent comme une mauvaise chose « car cela constitue une remise en cause de l’exercice du droit de grève ». Ces chiffres réjouissants pour le ministre de l’Education Xavier Darcos et les éditorialistes du Figaro ont été rapportés sur pratiquement toutes les chaînes de télévision et stations de radios.

7% des sondés ne se sont pas prononcés. Peut-être s’agit-il de ceux qui seraient heureux de ne pas avoir à rechercher une solution de garde coûteuse pour leurs enfants en cas de grève dans l’Education nationale mais qui se posent tout de même la question de savoir si l’instauration de ce fameux service minimum d’accueil/garderie ne risque pas de peser, à leur corps défendant, dans le rapport de force entre les grévistes et leur employeur. Ou bien encore de ceux qui refusent de répondre à ce type de sondage qui contribuent à aplatir les termes d’un débat de société autrement plus important.

Formule magique

Le « service minimum » est en effet devenu aujourd’hui une sorte de formule magique qui permet de détourner l’attention du public à chaque fois qu’une grève menace dans un service public. Les cheminots annoncent-ils un débrayage pour protester contre telle ou telle mesure qu’ils estiment leur être dommageable ? La riposte ne tarde guère : « Service minimum ! », annonce le ministre la main sur le coeur. « Service minimum ! », reprennent en choeur une bonne partie des médias avant d’envoyer des équipes de jeunes reporters épuisés recueillir les réactions d’usagers furieux sur les quais de gare. Que celui qui n’a jamais été énervé par une longue attente d’une rame de RER leur jette la première pierre. La loi sur le service minimum dans les transports adoptée en août 2007 n’a bizarrement pas changé grand-chose au problème. Le service minimum existe déjà ? Rien n’empêche d’en réclamer un meilleur... C’est ce qui se passe dans tous les pays qui l’ont déjà mis en place. Au Québec par exemple, le service minimum instauré dans les transport en 1982 n’a jamais cessé d’être étendu, y compris à d’autres secteurs (éboueurs...) un parti de droite réclamant désormais que soient assurés 80% des transports en commun en cas de mouvement social...

La grève du 15 mai dans l’Education nationale devrait fonctionner selon ce même mécanisme. Le grand enjeu médiatico-politique du moment n’est plus de savoir si le système éducatif français va pouvoir continuer à assurer un enseignement de qualité à un maximum de jeunes, mais de mesurer l’avancement du « service minimum ». Combien de mairies l’auront organisé ? 1500 ? 2500 ? Mieux ou moins bien que le 24 janvier dernier, où il avait été organisé pour la première fois et n’avait finalement fonctionné que dans 10 % des villes abritant une école ? Voilà de quoi alimenter de passionnants reportages et des débats à haute teneur intellectuelle.

Idéologues et Jules Ferry de comptoir

Le gouvernement Fillon a tout intérêt à insister sur ce motif idéologique d’une parfaite simplicité. L’explication de la grève enseignante s’épuise ainsi dans la mauvaise grâce des professeurs à rendre service aux parents d’élèves et à leurs rejetons. Rien à voir avec les suppressions de postes ou les incessantes leçons de « bon sens » des idéologues des cabinets ministériels et des Jules Ferry de comptoir. Rien à voir non plus avec les coups médiatiques sur les « fondamentaux » et les bonnes vieilles méthodes d’enseignement qu’auraient abandonné des professeurs endoctrinés par le « pédagogisme » ou encore les délicats coups de pouce à l’enseignement privé en pleine période de vaches maigres pour l’enseignement public.

Face à cette tactique simple mais diablement efficace dans le contexte idéologique actuel, les syndicats enseignants n’ont pas la partie facile. Comment mobiliser l’opinion sur l’enjeu fondamental de l’avenir du système éducatif en France sans se faire piéger par les faux débats lancés par l’actuel gouvernement et complaisamment mis en scène par une régie médiatico-sondagière en roue libre ? La réponse à cette question leur reste encore à inventer.

Jérôme Anciberro, journaliste à l’hebdomadaire Témoignage Chrétien