Démocratie

Le mouvement des médias libres prend de l’ampleur

Démocratie

par Erika Campelo

Le mouvement des « médias libres » s’est invité à Belém. Depuis un an, il fédère de plus en plus de journalistes, blogueurs et éditeurs du Brésil. Logique, la concentration des outils d’information y est encore plus forte qu’en France. Son objectif : contester aux puissants groupes de presse commerciale l’hégémonie de l’information. Un mouvement bienvenu, qui interroge aussi le rôle et la compétence des journalistes. Car sans médias libres, pas d’autre monde possible.

Comment construire un autre monde et des Etats vraiment démocratiques si les outils d’information et de communication restent concentrés entre les mains de quelques grands groupes commerciaux ? La question commence sérieusement à se poser en France, elle est très présente au Brésil. Une demi-douzaine de grandes familles se partagent les radios et télévisions (production et diffusion), ainsi que la majorité de la presse écrite nationale. Le mouvement des midia livrismo (médias libres) est né dans ce contexte. Il est issu du mouvement pour la démocratisation de la communication qui, depuis les années 90, se bat contre l’hégémonie des grands groupes de presse (Globo, RBS, SBT…).

Une première rencontre a eu lieu en juin 2008 à Rio pour bâtir les bases du mouvement. Différents producteurs d’information se sont fédérés en son sein : blogs, sites journalistiques, revues papiers, radios « communautaires » (radios associatives) et pionniers des logiciels libres (téléchargeables gratuitement). Les nouvelles technologies de l’information constituent leur outil de prédilection. « Quand vous allumez votre ordinateur, vous êtes à la fois récepteur et producteur d’information. Vous êtes en interaction », explique Sérgio Amadeus, professeur à l’Université Casper Libero. « Pour la première fois, nous avons des réseaux de médias qui ne sont pas nationaux mais transnationaux. C’est un réseau qui n’a jamais de fin, qui ne peut pas être placé sous contrôle. Pour créer un site ou un portail pour affronter la presse conservatrice, vous n’avez besoin de l’autorisation de personne. » Selon lui, c’est la grande différence entre la « communication distribuée » par les grands médias commerciaux, et la « communication décentralisée ». Sérgio Amadeus pointe cependant la menace de concentration que représentent Google ou Yahoo avec leurs déclinaisons (Gmail, Blogspot…).

Démocratiser le métier de journaliste

Le mouvement des médias libres profite de ce FSM pour organiser le 1er Forum mondial de médias libres : un lieu de rencontre entre différentes personnes « qui produisent de l’information tout en ayant en commun une certaine manière de la partager, d’échanger les expériences et de proposer des nouvelles politiques publiques concernant les médias », explique Renato Rovai, rédacteur en chef de larevue Forum. « Nous voulons aussi proposer des nouvelles formes de langages qui se distinguent du langage des médias conventionnels ». Pour l’universitaire Ivana Bentes, les grands médias « colonisent notre imaginaire ».

Au Brésil, pour exercer le métier de journaliste, il faut passer par les bancs des universités. Une tendance également très forte en France, où il est de plus en plus difficile d’obtenir une carte de presse sans passer par les écoles de journalisme reconnues. Le midialivrismo va contre cette pratique, synonyme de corporatisme. « J’ai été interpellé par plusieurs collègues qui me disent de faire attention à mes propos », raconte Rovai. Mais il ne croit pas à la fin du métier. « Il y a des personnes de tous horizons qui sont producteurs d’information. A l’exemple des motoboys (les coursiers, au nombre de 120.000) de la ville de São Paulo. Ils sont des milliers à traverser la mégalopole pendant la journée et à alimenter le blog de l’association de motoboys. Aucun journaliste ne peut rivaliser avec les informations qu’ils rassemblent. Ils ont une vision privilégiée de la ville. Mais les grandes rédactions seront toujours composées par des journalistes ».

Médias libres ou médias alternatifs ?

Selon Renato Rovai, médias libres et alternatifs doivent être distingués. « Ici, les médias alternatifs que nous connaissons ont été créés par la génération d’après mai 68. Ils se caractérisent par un journalisme engagé, qui luttait contre la dictature militaire. Le mouvement midialivrismo compte beaucoup de gens de gauche et engagés, mais ce n’est pas la base du mouvement. C’est un mouvement davantage pluriel et diversifié ».

Les médias libres ont gagné une première bataille. Ils ont invité des représentants du ministère de la culture brésilien à venir au FSM pour présenter le partenariat qu’ils ont conclu avec le gouvernement : la mise en place de « points médias ». C’est un projet inspiré des « points de culture », où des associations, ONG et mouvements sociaux animent des lieux financés par le gouvernement fédéral. « Dans notre cas, les financements ne sont pas énormes, mais cela pourra permettre à des jeunes qui animent un blog de s’en occuper de manière plus professionnelle », explique Novai.

Pour le mouvement midialivrismo, Belém est l’occasion de construire des alliances au niveau international. « Nous devons sortir du discours larmoyant sur la domination du capitalisme qui nous empêche d’avancer et créer de nouveaux outils technologiques, de compréhension et d’information », assène Ivana Bentes. Reste à inventer le modèle économique.

Erika Campelo/Ritimo

Photo : Collectif Creajama, en partenariat avec le Crid