Choix de société

Le nucléaire est-il une énergie verte ?

Choix de société

par Bruno Chareyron

« Dès que l’on parle d’énergie nucléaire, on est confronté à des problèmes de désinformation. L’affirmation selon laquelle le nucléaire serait une ’’énergie verte’’ le prouve », explique Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, dans cette tribune.

Dès que l’on parle d’énergie nucléaire, on est confronté à des problèmes de désinformation. C’est d’ailleurs en réaction à ce problème que la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) a été créée en 1986, au moment de la catastrophe de Tchernobyl. Les travaux menés par l’association ont permis de montrer à quel point les autorités françaises n’ont pas été capables de mesurer correctement le niveau de contamination du territoire français à ce moment-là, ni d’informer correctement ni de protéger la population.

Bruno Chareyron ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).
Bruno Chareyron
Ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).

36 ans plus tard, hélas, ce problème de désinformation persiste. L’affirmation selon laquelle le nucléaire serait une « énergie verte » le prouve.

Dans une centrale nucléaire, l’énergie dégagée par les réactions de fission est utilisée pour chauffer de l’eau et produire de la vapeur qui actionne les turbines de générateurs électriques. Mais les deux tiers de cette énergie partent dans l’environnement sous forme de chaleur. Les centrales nucléaires contribuent ainsi directement au réchauffement de la planète. EDF reconnaît que plus de 50 % de l’augmentation de la température de l’eau du Rhône ces dernières décennies est attribuable aux rejets des centrales électronucléaires situées en amont.

L’impact de la production nucléaire sur les ressources en eau est par ailleurs considérable, en raison notamment des prélèvements effectués pour le refroidissement des centrales, mais aussi dès les activités d’extraction de l’uranium, avec un épuisement de certaines ressources ainsi que leur contamination radiologique et chimique comme c’est le cas à Arlit au Niger.

Rejets d’éléments radioactifs

Les centrales nucléaires rejettent régulièrement des éléments radioactifs et chimiques dans l’atmosphère et les cours d’eau. Certains, comme le tritium et le carbone 14 sont des constituants élémentaires du vivant et vont émettre des radiations au cœur même de notre ADN. En France, des millions de personnes boivent de l’eau qui contient un des éléments radioactifs rejetés par les centrales, le tritium.

Les réactions de fission produisent des matériaux hautement radioactifs qui n’existaient pas à la surface de la Terre il y a un siècle. Les combustibles irradiés sont envoyés à l’usine de retraitement de la Hague qui est une des installations nucléaires les plus polluantes de la planète. Ses rejets contribuent par exemple à l’accroissement continu de la concentration du krypton 85, un gaz radioactif, dans l’atmosphère.

À chaque étape, de la mine d’uranium jusqu’à l’usine de retraitement, des travailleurs et des populations riveraines sont exposés à des rayonnements ionisants et donc à une augmentation des risques de cancer et d’autres pathologies.

L’insoluble question des déchets radioactifs

Sur la question des déchets radioactifs, contrairement à ce qu’affirment certains, les solutions de stockage définitif, opérationnel et sûr ne concernent qu’une infime minorité de déchets.

Dans l’Hexagone, les activités d’extraction de l’uranium ont produit plus de 50 millions de tonnes de résidus radioactifs, qui ne sont pas confinés. Ils ont été déversés en vrac dans d’anciennes carrières, gravières, fond de vallée. Les écoulements contaminés polluent régulièrement telle rivière dans le département de la Loire, telle prairie en Haute-Vienne, etc.

À Malvesi, près de Narbonne, des centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs issus du traitement des concentrés d’uranium ont été déversés dans d’anciens bassins de décantation ou sont à l’air libre dans des bassins d’évaporation.

Il est prévu d’enfouir les déchets extrêmement radioactifs issus du retraitement à plus de 500 mètres de profondeur. Mais ce projet (installation CIGEO) pose des problèmes de sûreté non résolus.

Et à tous ces déchets s’ajoutent ceux issus du démantèlement des installations nucléaires qui représentent des quantités colossales de déchets radioactifs. Face à ce défi, l’État a décidé début 2022 de permettre le recyclage dans le domaine public de métaux issus du démantèlement. Comme il ne sera pas possible de les décontaminer complètement, la réglementation autorise une contamination résiduelle des objets et matériaux de notre quotidien.

« La possibilité d’une catastrophe nucléaire ne peut pas être exclue »

La question des risques d’accident est également un problème majeur du nucléaire. Les innombrables dysfonctionnements qui affectent le chantier EPR de Flamanville, le caractère tardif de leur découverte, parfois même l’existence de fraudes, montrent l’incapacité des industriels et des organismes de contrôle à anticiper les difficultés. De ce point de vue, le passage en force des autorités pour lancer la construction de nouveaux réacteurs EPR2 est particulièrement préoccupant.

Nous n’avons pas une vision suffisante de l’ensemble des risques à prendre en compte. Les centrales ne sont pas conçues pour faire face aux risques liés à la guerre ni à certains types de risques sociaux, économiques, géopolitiques, climatiques, pandémiques…

Dès lors que la possibilité d’une catastrophe nucléaire ne peut pas être exclue et dans la mesure où personne n’est capable de gérer ses conséquences (ni les coriums, ni les millions de tonnes de sols et gravats contaminés, ni la protection de la population), tout devrait être fait pour privilégier des modalités de production d’électricité réellement verte.

Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).