Liberté de la presse

Le projet de maison des médias libres n’a finalement pas été choisi par la mairie de Paris

Liberté de la presse

par Agnès Rousseaux

Nous avons appris que le jury de la Ville de Paris, qui s’est réuni en décembre, n’a pas retenu le projet « Le Transfo - Maison des Médias Libres » auquel participait Basta! avec près d’une soixantaine de médias indépendants. Le collectif qui l’a porté et présenté devant le jury de « Réinventer Paris » fait part de sa déception et de son incompréhension. Voici également les grandes lignes de ce projet unique, ambitieux. Et essentiel.

Lire la description du projet

« Dans le cadre de l’appel à projet « Réinventer Paris 2 », le jury de la Ville de Paris a rejeté, vendredi 14 décembre, le projet « Le Transfo – Maison des Médias Libres » dont nous étions porteurs pour l’ancien poste de transformation électrique « Nation 1 », sis boulevard de Charonne, dans le XIe arrondissement. Au nom des près de quatre-vingt structures partenaires de cette candidature, dont une soixantaine de médias indépendants témoignant du pluralisme de notre démarche (voir les détails du projet ci-dessous), nous déplorons vivement ce choix.

Cette décision est d’autant plus incompréhensible que notre projet, sans équivalent en France, se distinguait radicalement par sa dimension citoyenne, ses finalités pédagogiques, son ambition éducative, son ouverture au public, son originalité architecturale, son exigence écologique, ses spécificités numériques, sa conception participative et son financement innovant. Elle l’est encore plus si l’on se souvient du vœu adopté par le Conseil de Paris, le 6 novembre 2016, avec le large soutien d’élus de tous bords, enjoignant à la Ville d’« inscrire l’accueil de cette Maison des médias libres parmi ses priorités en matière de recherche de foncier et/ou de bâti ».

Ville symbole et martyre de la liberté de la presse, des Trois Glorieuses de juillet 1830 à l’attentat contre Charlie Hebdo de janvier 2015, Paris aurait pu enfin offrir à ses habitant.e.s, à sa jeunesse et à ses visiteurs un lieu public destiné à illustrer, à promouvoir et à défendre le droit de savoir et la liberté de dire. Un lieu plus nécessaire que jamais alors que la question de l’indépendance des médias et de la qualité de l’information est un enjeu démocratique essentiel. Un lieu que nombre de grandes figures intellectuelles avaient réclamé, en faisant connaître leur soutien à notre projet dans un appel public paru dans Le Monde.

Une occasion de l’inventer dans un bâtiment à sa mesure existait, qui vient d’être manquée. Nous ne pouvons que le regretter et faire part à la municipalité parisienne de notre profonde déception, doublée d’une égale incompréhension. »

Signataires :

Olivier Legrain, mandataire
Cécile Galoselva et Coline Laugraud, ETIC Foncièrement responsable
Olivier de Certeau et Julien Le Mentec, ODC Architectes
Camille Dorival (Alternatives Économiques), Laurent Laborie (Politis), Edwy Plenel (Mediapart), Agnès Rousseaux (Bastamag) pour les médias partenaires
Béatrice Moal, ARP Astrance, assistance à maîtrise d’ouvrage
Paul Citron, Plateau Urbain


La Maison des médias libres : un projet ambitieux et indispensable

Construire un lieu emblématique pour la liberté de la presse à Paris. Telle est l’ambition portée par une soixantaine de médias indépendants, à travers le projet du Transfo – Maison des médias libres, finaliste du concours « Réinventer Paris 2 ».

La Maison des médias libres, c’est à la fois un espace de travail pour plusieurs dizaines de médias, porteurs de valeurs d’indépendance et de pluralisme, un lieu de rencontre entre les médias et les citoyens, un lieu ouvert au public, espace d’échange et de culture pour tous, où chacun peut venir s’informer, discuter, travailler, se restaurer, se divertir et s’instruire – au travers d’expositions, ateliers, conférences, projections, formations. Un projet pour réinventer la manière de produire et de diffuser de l’information, en impliquant tous les citoyens dans ce processus.

La Maison des médias libres, c’est un lieu de formation et de transmission : éducation aux médias pour les collégiens et lycéens, formation à l’utilisation des réseaux sociaux et au décryptage des médias, projets avec les médiathèques du quartier, formation des professionnels et des éditeurs de presse, accompagnement de nouveaux médias, rencontres entre les médias et leurs lectrices et lecteurs… C’est un lieu pour donner envie à chaque citoyen de s’informer, quel que soit son parcours personnel, son milieu, sa situation ; Un lieu défendant le droit de chacun d’être informé et bien informé. Dans ces locaux serait également installée une Maison des lanceurs d’alerte, portée par une vingtaine d’ONG, pour renforcer l’accompagnement juridique, financier ou psychologique des citoyens – employés, médecins, scientifiques – qui font le choix de « lancer une alerte » d’intérêt général, s’exposant souvent à des sanctions de la part de leurs employeurs.

Notre force : pluralisme et indépendance

La Maison des médias libres serait animée par deux types de médias : des médias usagers, qui peuvent utiliser l’ensemble des infrastructures, et des médias résidents, hébergés dans cet espace de bureaux, qui sont des médias indépendants – c’est-à-dire ne dépendant pas d’intérêts extérieurs au champ médiatique, par leur structuration capitalistique notamment (lire ici). En construisant ce projet, nous avons vu l’engouement qu’il suscite. Nous avons recueillis des lettres d’engagement de plus de 60 médias indépendants, bien au-delà des 500 postes de travail qu’aurait pu accueillir le Transfo.

Ce qui a guidé notre démarche, c’est la construction d’un lieu pluraliste – pluralisme des lignes éditoriales, des supports et des formats, en réunissant presse numérique, presse écrite, audiovisuel, télévision, radio, mais aussi des médias dessinés, des maisons d’édition, des revues intellectuelles, des journalistes d’investigation, de la presse spécialisée, du data journalisme, des médias en langue des signes à destination de la communauté des personnes malentendantes, des chaînes de YouTubeurs,…

Ce projet est porté par une soixantaine de médias indépendants, d’une grande diversité, par leur taille, leur public, leur ligne éditoriale. Des pure-players, comme Basta!, Mediapart, Arrêt sur images ou Les Jours, des hebdomadaires comme Alternatives économiques, Politis, Philosophie Magazine, Sciences humaines, des sociétés de production comme Premières lignes (Cash investigation), des youtubers comme Osons Causer, des éditeurs comme Les Liens qui libèrent, Les petits matins ou La Découverte, des radios et des webradios, des revues comme Esprit… Au total, ces médias s’adressent à plusieurs millions de lecteurs, d’auditeurs et de téléspectateurs, et sont soutenus par des centaines de milliers d’abonnés. Ensemble, ils contribuent à la diffusion de l’information en France et au-delà, au débat d’idées et au fonctionnement démocratique.

Un projet unique

Un projet trop beau pour être vrai ? Rencontrer des personnes ou structures prêtes à porter financièrement ce projet, l’achat foncier et les travaux, dans un engagement à très long terme, était inespéré. Pourtant cette rencontre a eu lieu. Rassembler autant de médias, enthousiastes, motivés, dans un projet commun aussi ambitieux, est une gageure. Nous l’avons fait. Construire ce projet, pas à pas, ses contours, ses ambitions, son modèle économique, pour en faire un espace innovant, original, au service de l’intérêt général, des habitants du quartier, de Paris et de tous les citoyens, a demandé du temps. Nous y sommes parvenus.

Dernière étape, trouver un bâtiment adapté pour accueillir cette maison. Une mission très difficile. Le concours Réinventer Paris, avec sa volonté de « renouveler la manière de fabriquer la Ville » et de faire « émerger au cœur de Paris des lieux uniques », rendait possible la création de la Maison des médias libres. « En ouvrant le champ des possibles, en articulant révolutions urbaine, écologique et démocratique, nous donnons forme à la Ville de demain : ouverte, décloisonnée, vibrante et rayonnante », expliquait Anne Hidalgo, maire de Paris. L’occasion a été manquée.

Ce projet est pourtant unique en Europe. Il a vocation à essaimer ailleurs. Poser la première pierre de cette dynamique à Paris, berceau des libertés et des droits de l’Homme, quelques années après des attentats contre la liberté de la presse, serait un symbole. Et un acte fort.

Agnès Rousseaux


L’équipe pluraliste et diversifiée qui a porté ce projet :

Un aperçu du projet :

La Charte des principes fondateurs du Transfo

La Charte d’engagement des médias du Transfo