Conditions de travail

Le suicide, troisième cause de décès chez les agriculteurs

Conditions de travail

par Sophie Chapelle

Les suicides touchent quotidiennement le monde agricole. Entre 2007 et 2009, au moins 485 agriculteurs ont mis fin à leur jour, en France, selon une étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), publiée le 10 octobre. Dans cette première étude officielle sur le sujet, les auteurs reconnaissent que les données pourraient même être largement sous-estimées [1]. Avec un risque de suicide trois fois plus élevé chez les hommes et deux fois plus élevé chez les femmes, l’InVS place « la catégorie sociale des agriculteurs exploitants comme celle présentant la mortalité par suicide la plus élevée parmi toutes les catégories sociales ». Après les cancers et les maladies cardiovasculaires, le suicide est la troisième cause de décès chez les agriculteurs.

« Le système économique et politique broie des vies paysannes ».

L’InVS pointe une proportion de suicides plus importante dans deux catégories d’exploitants, les producteurs de lait et de viande. Ainsi, en 2008, le secteur bovin-lait représentait 20 % de la population étudiée et près de 25 % des suicides enregistrés. « Cet excès de mortalité par suicide observé à partir de 2008 dans l’étude pourrait être pour partie associé aux fortes contraintes financières, liées à la crise économique, subies par le monde agricole depuis 2007 », estime l’InVS. Les producteurs de lait (voir nos articles) et de viande ont été particulièrement affectés par des difficultés financières en 2008 et 2009 (voir le reportage photos de Jean-Charles Gutner sur la précarité paysanne).

« Outre les difficultés personnelles que chacun peut rencontrer, les raisons qui poussent les agriculteurs à bout sont multiples », rappelle Solidarités Paysans, association nationale de soutien aux agriculteurs en difficulté. L’évolution de leur place dans la société, la détérioration de leur image, la déliquescence des liens dans le monde agricole, l’isolement, la perte d’autonomie dans la conduite de l’exploitation, l’ampleur croissante des tâches administratives, les injonctions normatives et sanitaires, la surcharge de travail, le stress, l’endettement, la faiblesse des revenus et la dépendance aux aides publiques… « À cela s’ajoute parfois la rupture de transmission de la tradition agricole familiale », relève l’association. Pour la Confédération paysanne, « c’est bien le système économique et politique qui broie des vies paysannes ».

Prévention du suicide dans le monde agricole

Loin d’être propre à la France, cette surmortalité par suicide est aussi observée dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni, en Australie, au Canada et en Corée. « De fait, la mise en place d’une surveillance épidémiologique au long cours de la mortalité par suicide chez les agriculteurs s’avère nécessaire », assure l’InVS. Qui a d’ores et déjà programmé une intégration des données de la période 2010-2011. L’association Solidarités Paysans demande également « d’encourager la prise en charge par la Mutualité Sociale Agricole (MSA) des consultations avec des psychologues pour les agriculteurs confrontés à des risques psychosociaux ».

Cette étude s’inscrit comme l’une des mesures du plan de prévention du suicide dans le monde agricole, annoncé par le ministère de l’Agriculture en mars 2011 et dont la mise en œuvre a été confiée à la MSA. L’organisme mutualiste a mis en place dans plusieurs régions des groupes de parole, des numéros d’assistance téléphonique, des réunions et des cellules de prévention. « En 2012, sur l’ensemble du territoire français, 408 situations de fragilisation ont été détectées, parmi lesquelles 144 cas étaient des situations urgentes et graves », souligne la MSA. En complément du soutien apporté par le Samu social agricole ou l’Association des producteurs de lait indépendants (Apli), Solidarité Paysans cherche à développer l’entraide entre agriculteurs et à lutter contre leur isolement.

P.-S.

Deux documentaires :
 Les Fils de la Terre, réalisé par Edouard Bergeon
 Dans le silence des campagnes, réalisé par Jean-Louis Saporito

Notes

[1Selon l’InVS, il est possible que ce nombre soit sous-estimé pour plusieurs raisons : un phénomène de sous-déclaration (les suicides ne sont pas systématiquement signalés au niveau national par les ayants droit) et une possible confusion entre domicile et lieu de travail dans le cas des agriculteurs exploitants, qui rend difficile l’imputabilité d’un suicide au travail.