Législatives

« Si vous êtes honnête, vous ne serez jamais élu » : en Ardèche, la Nupes face au défi de la résignation

Législatives

par Ludovic Simbille

La candidate Nupes de Sud-Ardèche promet d’être une élue différente : un seul mandat et le RIC à l’échelle locale. Des engagements inspirés des Gilets jaunes, très actifs dans ce territoire abandonné par les services publics. Instantanés de campagne.

« Désolé, on n’est pas d’ici ». Difficile en ce week-end prolongé de l’Ascension de trouver un électeur de la 3e circonscription de l’Ardèche prêt à glisser un bulletin Florence Pallot lors des élections législatives des 12 et 19 juin prochains. En même temps, l’équipe de campagne de la liste Nupes – la Nouvelle union populaire écologique et sociale rassemblant les principaux partis et mouvements de gauche – pouvait s’y attendre en venant tracter à Vallon-Pont-d’Arc, haut lieu touristique du Sud-Ardèche.

« Mais vous allez quand même voter chez vous ? », relance le militant Nupes avec son tract bleu azur, couleur ciel cévenol, au bout du bras. « Sans doute, pour que ça change », répond ce couple, venu d’Uzès, prêt à s’attabler à une terrasse de restaurant. Bientôt à la retraite, les deux ont voté à gauche pour s’éviter de travailler jusqu’à 65 ans. « Je bosse dans le bâtiment. Je monte encore des seaux de mortier à 60 ans quand les jeunes ne veulent pas le faire, mais je fais gaffe car mon corps est foutu. »

« La dernière fois que j’ai voté c’était en 2005 »

La réélection en mai dernier d’Emmanuel Macron, « passé sans rien faire », leur laisse un goût amer. « Il y a un truc que je ne comprends pas : les Gilets jaunes ont manifesté six mois dans les rues. Ils ont eu quoi ? 50 balles ? Rien du tout, quoi. Et il faut voir ce qu’on a pris, mon fils de 20 ans s’est reçu un flash-ball dans la jambe, à Nîmes. Là, avec le Covid, toutes les entreprises ont reçu 10 000 € par-ci, par-là... Finalement, de l’argent il y en a ? On se fout de nous ! »

Devant la mairie, passe un gaillard à la cinquantaine grisonnante, un cageot d’aubergines en main. Assurément, un gars d’ici. Trop pressé, il ne s’arrête pas devant le prospectus électoral. « J’ai pas le temps, je bosse moi ». « Moi aussi », rigole le le militant avant de le suivre dans la ruelle. Être du coin ne garantit pas de se déplacer dans l’isoloir. « C’est fini ça ! La dernière fois que j’ai voté c’était contre le traité européen », lance le restaurateur en référence au référendum de 2005. « Ça a servi à quoi ? Ils l’ont fait passer quand même. » « Justement, notre programme prévoit de désobéir aux traités », tente le démarcheur. « C’est possible, ça ? s’étonne le commerçant. Bon, laisse-moi ton tract… Ma serveuse vote, elle, je lui dirai que t’es sympa ! »

Après deux heures de tractage plus ou moins fructueux, les militants locaux remballent leur barnum, installé sur la place bien nommée de la Résistance. Le lendemain, le porte-à-porte à Villeneuve-de-Berg reçoit un accueil plus favorable. Reste que le fameux « 3e tour de la présidentielle » ne soulève pas vraiment les foules ici. Beaucoup de personnes rencontrées ne savent même pas que se tiennent des élections, encore moins à quoi servent des législatives.

Une circonscription gagnable ?

Dans ce territoire composé de petites villes en vallée et de villages plus montagneux, le train ne siffle plus pour les 95 000 habitants. Les médecins s’y installent rarement. Le taux de chômage local avoisine les 13,7 %. En proie à une désertification des services publics, amplifiée par des routes sinueuses, le Sud-Ardèche constitue autant un cas d’école qu’un défi majeur pour une force de gauche sociale et écologiste. À la dernière élection présidentielle, c’est Marine Le Pen qui s’est placée en tête du premier tour à 19 %. Jean-Luc Mélenchon n’est arrivé que troisième, juste derrière Emmanuel Macron. L’abstention a atteint près de 34 % dans certains coins du département.

« L’important, c’est d’être visible », glisse Florence Pallot, la chef de file de la liste Nupes. Cette enseignante de 53 ans, militante de la France insoumise, a été intronisée candidate de la gauche unie. Elle devra cependant composer avec un dissident socialiste, Laurent Ughetto, ancien président du département, qui a refusé l’union et n’a pas retiré sa candidature. Surtout, la primo-candidate devrait affronter son adversaire principal, le député sortant LR Fabrice Brun.

« Visible », l’ancien négociant en vin ne manque pas de l’être, écumant toutes les réunions publiques, dans tous les hameaux. « Franchement, Brun est apprécié dans le coin, vu comme un gars qui se bouge pour le département », reconnaît un mélenchoniste convaincu, croisé dans le petit village de Chirols. Avec son slogan « L’Ardèche de toute nos forces », l’homme à « l’accent de rocaille » comme il le définit lui-même, n’hésite pas à défendre ses administrés contre les décisions parisiennes, sur la limitation de vitesse à 80km/h, par exemple. Ces combats ne l’ont pas empêché de soutenir les lois nationales antisociales des dernières années (loi Travail sous Hollande, puis les ordonnances Macron), comme le rappellent au vitriol la Nupes dans une vidéo humoristique consacrée aux votes de leurs adversaires à l’Assemblée. La circonscription fait cependant partie des 137 possiblement gagnables par la gauche, d’après l’analyse électorale réalisée par Basta! (voir notre carte). Le potentiel électoral de la gauche y dépasse légèrement celui des deux autres blocs (centre et droite, et extrême droite).

Une « députée différente »

Florence Pallot a peut-être un avantage sur ses concurrents. Elle s’engage à être une « députée différente » et à porter les revendications pour davantage de démocratie, comme le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Sur le marché dominical ensoleillé de Valls-les-Bains, la candidate détaille sa vision de la fonction parlementaire à un quinquagénaire d’origine marseillaise, ardéchois d’adoption. « Vous travaillez dans quoi ? » demande-t-elle à un passant. « Le multiservices, si vous n’êtes pas polyvalent en Ardèche, vous êtes mort », répond l’ancien commis de cuisine au casino de cette ville thermale, désormais dans le nettoyage. Proche de la retraite, il continue de bosser en attendant d’aider son fils informaticien qui finalise une application. « J’ai pas le choix. Si encore j’avais des terres, je pourrais m’installer et regarder pousser mes arbres, j’adore la nature ».

Florence Pallot est enseignante et candidate Nupes en Ardèche. Elle s'engage à être une « députée différente » et à porter la revendication du référendum d'initiative citoyenne (RIC)
Florence Pallot
Florence Pallot est enseignante et candidate Nupes en Ardèche. Elle s’engage à être une « députée différente » et à porter les revendications pour davantage de démocratie, comme le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Dans sa circonscription possiblement gagnable face à LR, le potentiel électoral de la gauche au 1er tour avoisine 35%.
Ludovic Simbille

Lui ne croit plus vraiment à la politique pour changer son quotidien. « Je trouve normal que les politiques touchent un salaire correct. Mais là, on les indemnise à vie, alors que moi au Smic, je peux me faire virer à tout moment ». Illico, la candidate précise qu’elle ne percevra que l’équivalent de son salaire actuel de prof : « J’ai une fille et il faut bien que je vive ». Le reste de ses indemnités parlementaires ? Versées à des associations ou des initiatives locales. « La politique ne doit pas être faite pour s’enrichir », prévient le tract. Ni « un métier » : l’insoumise s’engage donc à n’exercer qu’un seul mandat de cinq ans.

« Et je mettrai aussi en œuvre le RIC dans la circonscription. »
« Le quoi ? »
« Le référendum d’initiative citoyenne », précise l’une des rares candidates à adapter cette revendication portée par les Gilets jaunes. Elle s’engage à proposer des lois qui obtiendraient le soutien de 20 % des personnes inscrites sur les listes électorales (soit environ 16 000 inscrits dans le cas de cette circonscription). C’est le RIC législatif. Elle demandera l’abrogation de lois non désirées par la même proportion d’électeurs (le RIC abrogatoire). Elle démissionnera s’ils sont autant à le demander (le RIC révocatoire). « Ah c’est bien, je suis d’accord avec ça », conclut cet électeur indécis avant de repartir le tract à la main.

« Ça prouve qu’elle ne pense pas qu’à son poste »

Ces engagements en faveur de davantage participation démocratique trouveront-ils un écho favorable en cette terre Gilets jaunes ? « Le maintien de son salaire, cela m’a touché, ça prouve qu’elle ne pense pas qu’à son poste ». reconnaît Greg, ancien Gilet jaune. Créateur en 2014 de « Prudence07 » une page Facebook de partage d’infos routières, cet ancien chauffeur routier, actuellement au chômage a vu monter la colère des chasubles réfléchissantes avant les premières occupations de rond-point. Bien moins mélenchoniste qu’« antimacron », Greg s’apprête à publier sur les réseaux sociaux une vidéo de soutien à la force de l’arc-en-ciel.

« J’ai envie d’y croire. C’est la seule capable de bloquer Macron. Le problème reste son manque de visibilité face à ceux d’en face. La plupart des gens ne savent pas ce que c’est la Nupes, alors s’ils étaient informés de ses mesures, ils la soutiendraient, appuie-t-il, fort des 25 000 membres sur sa page. J’en suis la preuve… » Gilet jaune de la première heure, Emma [1] voit dans le RIC ardéchois l’opportunité de l’étendre ensuite au niveau national : « Ça peut permettre à des citoyens peu politisés, à qui on ne demande jamais leur avis, de se sentir concernés. »

« Si vous êtes honnête, vous ne serez jamais élu »

À condition de combattre un adversaire plus puissant que les autres candidats : la défiance envers les politiciens. « Le problème c’est que vous ne serez jamais élu si vous êtes honnête », avait balayée la veille une retraitée de l’hôpital. « Je n’y crois plus, une fois élus, ils deviennent tous pourris », lâche cette « antivaccin » très en colère contre la gestion gouvernementale du Covid, qui n’aspire désormais qu’à s’installer dans un écovillage communautaire.

Ou pire le fatalisme. Les élections ? « Pff… personne n’en parle ici », souffle un autre Grégory, délégué CGT du site dans l’une des plus anciennes verreries de France, à Labégude, d’où sortent près de 800 000 bouteilles par jour, pour la marque Ricard notamment. Les rares discussions politiques riment souvent avec résignation individuelle. « On entend plutôt “C’est reparti pour cinq ans de merde on ira bien jusqu’à 65 ans”... », en référence à l’éventualité d’une nouvelle réforme des retraites, avec un nouvel allongement de l’âge de départ. Pourtant, ces ouvriers verriers travaillant par une chaleur de 60°C, portant quotidiennement des charges lourdes, ne seront pas les derniers à éprouver dans leur chair la réforme des retraites promise par Macron. Grégory, la quarantaine, souffre déjà d’une tendinite permanente à l’épaule. « Quand j’ai commencé, les anciens pouvaient partir à 57 ou 58 ans, c’est fini ça ! Là, ils viennent d’embaucher un mec de 60 ans, au poste de changement de fabrication, l’un des plus durs. Tu imagines tout ce qu’on a perdu ! » fulmine cet agent de moulerie, aux côtés de ses camarades cégétistes.

Regagner les « fachés pas fachos » ?

Dans cette entreprise de 150 salariés où la CGT est majoritaire à 75 %, les délégués syndicaux redoutent un vote RN important parmi les salariés. « Beaucoup ont plein de préjugés genre “l’Ardèche aux ardéchois” et râlent contre les “assistés”. Ils ont du mal à comprendre qu’il faut combattre ceux qui les exploitent ». Une autre raison joue en faveur du candidat bleu marine local, Johan Verhey : il a travaillé dans cette entreprise il y a des années, il leur « ressemble ».

« Ici, se tenir auprès des gens compte autant qu’avoir de belles idées à défendre », abonde un habitant de Burzet, un petit village d’altitude. Convaincre les « fachés pas fachos », selon l’expression de Jean-Luc Mélenchon, passe aussi par une proximité sociale, une sociabilité quasi quotidienne en partageant des lieux de vie, en ouvrant les milieux militants. Une tâche d’autant plus rude que « beaucoup de nos militants ne vivent plus dans ces quartiers et ces zones rurales populaires », analyse Dominique Bazerque, rare « nupesienne » du coin à s’être rendue avec quelques-uns dès le 17 novembre 2018 sur les ronds-points jaune fluo.

Vers un parlement populaire ardéchois ?

Regagner le cœur des classes laborieuses auxquelles se destine le programme de la gauche rassemblée ne peut se faire uniquement les veilles de scrutin. Afin d’éviter toute accusation d’électoralisme. « Cette accusation est parfaitement légitime, admet le candidat suppléant, Pierre Souchon, par ailleurs journaliste indépendant (L’Humanité, Le Monde diplomatique, Fakir). Les gens nous disent : “comment ça se fait qu’on ne vous voit jamais ? Alors que je galère avec mes factures d’eau, mon loyer, mes gamins” ».

Consciente de ces obstacles, la Nupes ardéchoise a donc décliné localement l’initiative d’un Parlement populaire – qui réunit militants et militantes politiques, associatifs, syndicaux, de quartier, des chercheurs engagés, des artistes – afin de « mettre en application et adapter au niveau local le programme l’Avenir en Commun ». L’idée ? Enquêter et identifier les besoins des habitants pour intégrer à cette plateforme des sympathisants non activistes. Sans réelle activité à ce jour, le projet aspire à se développer quel que soit le résultat des législatives. Le 5 juin, l’équipe de campagne accomplissait une « ascension historique » du mont Gerbier pour donner symboliquement naissance à ce «  grand mouvement populaire ». Qu’importe la hauteur du sommet, tant que, chantait Jean Ferrat, « la montagne est belle ».

Ludovic Simbille

Notes

[1Le prénom a été changé