Selon nos analyses, l’alliance de gauche, la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (NUPES), devrait obtenir au minimum 123 députés. Selon le scénario le plus favorable, elle pourrait même avoir jusqu’à 260 sièges au sein de la future Assemblée nationale. C’est dire le niveau d’incertitude qui pèse sur ces élections législatives ! Même dans le cas du scénario le plus pessimiste, les états-majors de gauche pourront se satisfaire d’une demi-victoire : ils devraient doubler leur nombre d’élus par rapport à 2017.
Plus de 130 circonscriptions supplémentaires sont, en théorie, accessibles (les 137 circonscriptions que nous avons classées « possibles », voir notre carte). Ce qui porterait le nombre d’élus de gauche à 260, et priverait probablement le parti présidentiel (rebaptisé Renaissance) d’une majorité absolue (289 députés). Cela dépendra de plusieurs facteurs.
La tentation de l’abstention
Plus celle-ci sera élevée, plus les candidats de gauche en pâtiront. « Une faible participation induit de fortes disparités en termes d’âge – les plus âgés tendent à davantage voter – et de fortes disparités sociales – ceux qui votent sont plutôt issus des classes moyennes, voire supérieures, et plutôt des gens qui ne vivent pas dans des quartiers populaires », rappelait dans basta! le sociologue Vincent Tiberj, spécialisé dans l’analyse des comportements électoraux et politiques. Or, les votes des plus âgés et des plus aisés, qui s’abstiennent traditionnellement beaucoup moins que les plus jeunes et les classes populaires, se porteront majoritairement vers les candidats de la « renaissance » macroniste.
Lors de la présidentielle, Emmanuel Macron est arrivé largement en tête chez les cadres et les plus de 60 ans. Jean-Luc Mélenchon l’a nettement emporté chez les moins de 35 ans, pour qui l’écologie est devenue un enjeu existentiel, et a séduit davantage les votes ouvriers et employés que le président réélu. Leur participation sera donc déterminante pour élire des députés et députées de la « nouvelle union populaire ». Une forte participation risque aussi de jouer en faveur de l’extrême droite : lors de cette présidentielle, le vote des ouvriers et des employés s’est également porté largement en faveur de Marine Le Pen, en particulier dans les régions désindustrialisées du Nord et de l’Est. En 2017, le vote RN s’était effondré lors des élections législatives qui ont suivi la qualification de sa candidate à la la présidentielle. Qu’en sera-t-il en juin ?
De l’importance de l’abstention dépend aussi la possibilité pour un candidat de gauche de se maintenir au second tour en cas de troisième place dans des circonscriptions disputées – il faut alors réunir 12,5 % des électeurs inscrits, donc dépasser 25 % de voix si l’abstention est au même niveau qu’en 2017. Celle-ci était alors de 51 %, un record sous la 5e République. Dans de nombreuses circonscriptions où elle disposait pourtant d’un potentiel électoral élevé, la gauche a été sévèrement battue. Confronté à une gauche alors dispersée à l’extrême entre de multiples candidatures, désabusé par le quinquennat de François Hollande, son électorat a déserté les urnes ou voté par dépit pour le tout nouveau mouvement macroniste. Cela s’est traduit par une déroute généralisée des aspirations écologiques et sociales.
Les hésitations de l’électorat de centre-gauche
Que choisiront les électeurs et électrices qui, jusqu’à sa débâcle en 2017, votaient traditionnellement pour le PS et ses alliés ? Cet électorat a plutôt voté En marche lors des législatives 2017, offrant au parti présidentiel nombre de circonscriptions auparavant socialistes. Il est aujourd’hui tiraillé. En avril 2022, il s’est dispersé entre le vote « efficace » à gauche (Jean-Luc Mélenchon) ou la reconduction d’Emmanuel Macron. Echaudé d’un côté par la morgue présidentielle d’un quinquennat marqué à droite, inquiet de l’autre par les postures insoumises sur l’Europe et les ambiguïtés vis à vis du soutien à l’Ukraine, cet électorat pourrait faire basculer à gauche nombre de circonscriptions « possibles »… Ou pas.
Le poids du « Tout sauf Macron »
Au centre-droit du jeu politique, les candidats macronistes peuvent bénéficier au second tour du report de voix des deux camps : de la droite et d’une partie de l’extrême droite en cas de duel avec la NUPES, d’une partie de la gauche en cas de duel avec l’extrême droite. Cela risque d’avantager fortement le camp présidentiel là où il sera présent au second tour… Sauf si, par anti-macronisme, nombre d’abstentionnistes se mobilisent pour faire échouer ses candidats. A gauche, le réflexe antifasciste jouera encore partiellement face à l’extrême droite. Des candidats de gauche qualifiés au second tour et opposés à « Renaissance » pourraient cependant profiter d’un report de voix de l’électorat « tout sauf Macron ».
Les dynamiques locales et nationales
La capacité à offrir une alternative aux abstentionnistes et l’attitude de l’électorat de centre-gauche, dépendront des dynamiques que la NUPES nationalement, et ses candidats localement, arriveront à créer. Le contexte semble favorable.
La nouvelle Première ministre, Elisabeth Borne présente un lourd passif en matière sociale et écologique. Ministre des Transports (2017-2019), elle a mené une politique ferroviaire absurde (tarifs prohibitifs, fermeture de lignes…) et freiné toute rationalisation du très polluant transport aérien. Ministre de la Transition écologique (2019-2020), elle a reculé la date d’interdiction du glyphosate, l’un des pesticides les plus toxiques. Ministre du Travail (2020-2022), elle s’est opposée à un statut plus protecteur pour les travailleurs « ubérisés » des plateformes. Et a piloté la réforme de l’assurance-chômage, jugée aberrante par les organisations syndicales. Sa nomination, contrairement à ce que l’on entend dans les médias mainstream, pourrait détourner l’électorat de gauche du parti présidentiel.
Au sein des partis politique de gauche (LFI, EELV, PS, PC), malgré les grincements de dents, les ambitions individuelles ravalées, et quelques cris d’orfraie, les états-majors ont réussi à s’entendre et à surmonter temporairement leurs mortifères divisions. Des candidats dissidents tenteront sans doute leurs chances, en particulier en Occitanie, région présidée par la socialiste Carole Delga, qui est opposée à l’accord commun. La dynamique d’union est pourtant bel et bien lancée.
Elle pourrait bénéficier de l’enjeu climatique, qui se fait malheureusement sentir de plus en plus concrètement. De quoi donner du grain à moudre pour les candidats et candidates de l’union « écologique et sociale » s’ils et elles arrivent à rythmer l’agenda médiatique avec leurs propres thèmes et propositions.
Ivan du Roy
Infographie : Christophe Andrieux