L’heure des dernières illusions a sonné depuis plusieurs semaines, déjà : la loi dite « asile et immigration », adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 22 avril dernier, ne devrait pas connaître de grands bouleversements lors de son passage au Sénat, attendu en juin. Sans surprise, la chambre haute du Parlement devrait donc entériner un ensemble de mesures répressives consacrant un affaiblissement des droits fondamentaux [1]. « Nous n’espérons plus peser sur le texte, cela fait longtemps que le dialogue est rompu avec le gouvernement », expliquaient en chœur plusieurs associations réunies ce week-end à Montreuil dans le cadre des États généraux des migrations.
Le dialogue a pourtant été tenté de la part du mouvement associatif. Le 15 juin 2017, une lettre ouverte appelant à « un changement radical de la politique migratoire en France » est signée par plusieurs centaines d’organisation de solidarité, partout en France. Parmi les revendications, la tenue d’une sorte de « Grenelle des migrations » : « Nous qui construisons chaque jour une France solidaire et accueillante, nous appelons donc le Président de la République et le Premier ministre à convoquer d’urgence une conférence impliquant tous les acteurs, afin qu’émergent des politiques alternatives d’accueil et d’accès aux droits empreintes de solidarité et d’humanité ».
« Comme en 1789, ce sont des citoyens qui se mobilisent »
De cette grande conférence, il ne sera jamais question, tout comme d’une politique alternative. Face à cette fin de non-recevoir du chef de l’État, un vaste mouvement se structure dans les mois qui suivent : le 21 novembre 2017, les États généraux des migrations sont officiellement créés et lancent une grande concertation citoyenne à l’échelle du territoire français. Avec un double objectif : relater et inventer. « Ce sont les deux rôles de ces États généraux des migrations, explique Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International et membre du comité d’organisation. D’une part, on raconte les situations inadmissibles vécues sur le terrain ; d’autre part, on montre toutes les alternatives possibles à la politique migratoire actuelle. Il s’agit de dire qu’on peut défendre un tout autre projet politique d’accueil ».
Verdict, six mois plus tard, ce sont près de 1650 organisations et collectifs qui ont pris part à l’un des 800 événements locaux organisés, depuis, dans le cadre de ces États généraux. Dont émane, pour l’heure, 86 cahiers de doléances qui ont été rédigés par les assemblées locales à l’issue de ces consultations. Une métaphore à peine voilée à la Révolution française, que certains n’hésitent pas à filer un peu plus loin : « Comme en 1789, ce sont des citoyens qui se mobilisent pour en appeler à une transformation profonde du système », fait remarquer Marc Pascal, de l’assemblée locale de Savoie.
Un petit guide pratique pour l’accueil des migrants
Mais pas question de couper des têtes pour autant : le collectif a par exemple rédigé à l’attention des élus un petit guide pratique pour l’accueil des migrants au niveau des communes. L’outil est désormais accessible à l’ensemble du territoire grâce à la plateforme des États généraux, qui offre une mise en réseau particulièrement utile, selon les différents animateurs locaux : « Les assemblées locales ont permis de fédérer les associations existantes, qui travaillaient de manière un peu trop isolée jusqu’à présent, rapporte Thierry Lerch, membre du Réseau éducation sans frontières (RESF) en Hérault et représentant de l’assemblée locale de Montpellier. Nous avons identifié deux problématiques principales, les dublinés et les emprisonnements de mineurs, et nous nous sommes concertés pour y réfléchir ensemble ».
C’est pour partager tous ces retours d’expérience qu’une première session plénière s’est donc tenue ces 26 et 27 mai, à l’Hôtel de Ville de Montreuil. Deux jours de discussion qui ont réuni près de 500 participants venus de toute la France. Le mouvement prend de l’ampleur, à en croire les organisateurs : « Nous étions une vingtaine d’assemblées locales en janvier, nous en sommes aujourd’hui à 106 réparties sur 76 départements différents, et il continue de s’en créer chaque semaine ».
L’existence d’une France solidaire
Une sacrée bouffée d’espoir pour ces mouvements citoyens, confrontés à un contexte d’ensemble particulièrement tendu : ces derniers jours, trois migrants ont trouvé la mort à la frontière franco-italienne dans les Alpes ; tandis qu’à Paris, les 1500 exilés installés dans un camp sauvage sur les bords du canal Saint-Martin depuis quelques semaines se retrouvent les otages de basses stratégies politiciennes de la part du ministre de l’Intérieur. Cela sur fond de criminalisation accrue des militants défenseurs des droits, à l’image du procès des « trois de Briançon » qui doit se tenir ce jeudi, à Gap [2].
« La dynamique de ces États généraux révèle l’existence d’une France ‘‘solidaire’’, c’est une réalité bien plus conséquente qu’on ne veut bien le faire croire, assure Geneviève Jacques, présidente de La Cimade. Cela doit nous aider à faire mentir tous les prophètes de malheur sur l’accueil ». Ce dimanche, à l’issue des échanges, l’ensemble des participants se sont accordés sur un texte faisant office de manifeste, un « socle commun pour une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes », que Basta publie en parallèle. Une façon de faire entendre, noir sur blanc, leur message à l’égard du Gouvernement : en dépit de la future loi, l’heure du découragement, elle, n’est pas encore arrivée.
Barnabé Binctin
Photo : © Serge d’Ignazio