Grève

Les travailleurs fantômes de l’Opéra

Grève

par Ludovic Simbille

Plusieurs centaines de travailleurs sans papiers ont installé leur piquet de grève devant l’Opéra Bastille à Paris. Depuis maintenant neuf mois, ils revendiquent encore et toujours ce qui devrait être évident : leur régularisation. Le ballet des négociations avec le gouvernement a repris, pendant que la préfecture préfère jouer de la matraque en envoyant ses valkyries. Rencontre avec ces travailleurs sortis de l’ombre.

Photo : © Olivier Bénier

Il est 7h30, ce jeudi 2 juin, place de la Bastille. Dans les couloirs de métro, une nuée de Franciliens se rendent à leur boulot. Au-dessus de leur tête encore endormie, on s’agite. Un escadron de CRS sort matraques et lacrymogènes contre 160 travailleurs sans-papiers, majoritairement africains. Les forces de l’ordre obligent ces salariés en grève à quitter les marches de l’Opéra national de Paris qu’ils occupent depuis une semaine. « Ils sont passés par l’intérieur de l’Opéra, ils nous ont attaqués par en haut, dans le dos. C’était violent, très violent », raconte l’un d’entre eux, exaspéré. La préfecture a beau expliquer à l’AFP qu’il s’agit d’une opération « calme » et sans interpellations, c’est un ballet brutal auquel se prêtent les policiers. Quelques blessés « légers » et 43 personnes embarquées. Toutes sont relâchées le soir-même ou le lendemain.

Soutenus par onze organisations syndicales et associatives [1], 6.000 travailleurs sans-papiers mènent une grève depuis le 12 octobre 2009. Ils réclament la mise en œuvre d’une circulaire permettant leur régularisation sur des « critères clairs, simples et uniformes sur tout le territoire national ». Objectif : ne plus être confrontés à l’arbitraire préfectoral, bénéficier des mêmes droits comme tout salarié s’acquittant de ses cotisations sociales, et lutter contre le nivellement par le bas des conditions de travail dans des secteurs comme le BTP, la restauration ou le nettoyage.

Côté patrons et directions aussi, on s’agite. Près de 2.000 entreprises sont concernées par cette grève. En mars, L’Association nationale des DRH (ANDRH), Ethic (le mouvement d’entreprises présidé par Sophie de Menton), la CGPME (Confédération générale des PME) et Veolia Propreté reconnaissent la nécessité de la régularisation des travailleurs illégaux et demandent une « clarification des procédures ». Mieux vaut tard que jamais ! Forcés de trouver un terrain d’entente avec les syndicats, ils ont participé à une « approche commune » comportant ainsi l’élaboration de certains critères.

Gouvernement : pipeaux et violons

De son côté, la préfecture de police joue du pipeau. Elle assure cyniquement « n’avoir reçu aucun dossier de régularisation de la part des personnes évacuées ». Face à la surdité du gouvernement, le « piquet des piquets » de l’Opéra Bastille montre qu’après plus de sept mois de grève les travailleurs sans droits sont encore dans la place. Celle de la Bastille, au pied de la colonne de Juillet, est choisie pour sa charge symbolique. Cette nouvelle mobilisation a accéléré la concertation. Préfectures et ministère de l’Immigration ont tiré le bilan de l’application de la circulaire du 24 novembre, qui prévoit la création d’un titre de séjour temporaire « salarié ». « Il faut qu’enfin M. Besson signe cette nouvelle circulaire », a interpellé Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT.

L’opération policière du 2 juin intervient alors que les négociations sont entamées avec le ministère du Travail depuis le 14 mai. La veille, « les onze » s’entretenaient avec la direction générale du Travail « autour des possibilités de régularisation pour des travailleurs sans papiers qui travaillent au noir ». Mais, « on nous envoie les CRS, c’est un peu particulier comme technique », s’étonne Raymond Chauveau, coordinateur CGT du mouvement. « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? ». A croire que le gouvernement tend la main d’un côté et, de l’autre, brandit la matraque. Tentative de décourager à la longue les grévistes ou incapacité à sortir de l’hypocrite politique migratoire du cas par cas. « On ne résout pas un problème socio-économique avec des matraques ou des gaz lacrymos », rappelle Raymond Chauveau.

La répression ne semble pas avoir affaibli la détermination des grévistes. Ceux-ci n’ont toujours pas décampé, et sont même visités par plusieurs personnalités artistiques ou politiques : Josiane Balasko, Laurent Cantet, Romain Goupil, Benoît Hamon, Cécile Duflot ou Olivier Besancenot. Au milieu de la foule pressée de touristes et de Parisiens, ils occupent toujours le parvis de l’opéra, surveillés par une ceinture policière. Les grévistes jurent qu’ils resteront tant que rien ne bouge. En attendant, hasard de programmation, l’Opéra ouvrait ses portes aux spectateurs endimanchés pour la représentation de la « Chevauchée des Walkyries ».

Ludo Simbille

Montage : Olivier Marcolin

Notes

[1CGT et Union régionale, FSU, Solidaires, UNSA, Ligue des droits de l’homme , Cimade, Droits devant !!, Femmes-Egalité, Autremonde