La Cour des comptes s’insurge contre le coût public des aides publiques à l’élevage bovin, en effet considérable : 4,3 milliards d’euros par an. La solution qu’elle propose est simple : moins de bovins. Cela énerve beaucoup les éleveurs, ce qui est compréhensible, et agace même le ministre de l’Agriculture.
La Cour des comptes a raison... et tort
La Cour des comptes a raison, car il y a en effet trop de bovins en France. Nous mangeons trop de viande et même trop de produits laitiers. Alors oui, certains éleveurs devront se reconvertir, tout simplement parce que les habitudes alimentaires changent et doivent changer, à la fois pour l’environnement et pour notre santé.
Mais le principal argument contre les bovins et autres ruminants est qu’ils rejettent du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Le moyen le plus simple de limiter ces émissions est en effet d’avoir moins de ruminants, et en particulier de vaches.
On peut aussi réduire quelque peu leurs émissions en modifiant leur régime alimentaire, par exemple en ajoutant à leur ration de l’huile de lin ou certaines algues à leur alimentation. Mais les possibilités de réduction restent limitées, et cela a un coût pour l’éleveur.
Là où la Cour des comptes a tort, c’est en sous-estimant fortement le potentiel de séquestration du carbone par l’élevage bovin bien conduit. En réalité, le seul moyen d’améliorer fortement le bilan d’émission des ruminants est de compenser leurs émissions de méthane.
Et là, les experts ne sont plus d’accord. La majorité prétend qu’on ne peut ainsi compenser qu’une partie des émissions, estimée en général au mieux à 40 %, sur la base de bilans carbone établis dans de nombreux élevages. Et pourtant quelques élevages arrivent à une compensation approchant les 100 %. C’est donc possible, mais comment font-ils ?
Une prairie peut stocker du carbone
Une prairie permanente sur laquelle on met des vaches, sans rien faire d’autre que veiller à ce qu’elles aient de l’eau et d’y apporter éventuellement un peu d’engrais, va stocker un peu de carbone.
Mais elle peut en stocker beaucoup plus si l’éleveur maîtrise la gestion de la prairie, en y mettant le nombre optimal de vaches à l’hectare, éventuellement en faisant un sursemis de certaines plantes fourragères (légumineuses, chicorée, plantain).
Bref, une prairie permanente, c’est comme une culture, il faut apprendre à la gérer si on veut à la fois qu’il y pousse beaucoup d’herbe et qu’elle stocke beaucoup de carbone. Ce qui passe par un impératif qui pourra faire hésiter certains éleveurs : ne pas mettre, en moyenne annuelle, plus d’une vache par hectare, et même un peu moins.
Il ne faut pas non plus apporter beaucoup d’engrais azotés, bref opter pour un système extensif. La prairie pourra alors séquestrer jusqu’à une tonne de carbone sur un hectare, contre seulement 200 ou 300 kg si on ne fait rien de tout cela.
Je donne dans mon livre Qui veut la peau des vaches ? (éditions Terre vivante), quelques exemples qui confirment que c’est possible. Dans un élevage de vaches ferrandaises, une race ancienne et peu connue, les vaches ont un bilan carbone huit fois plus faible que la moyenne française.
Au sein des dehesas espagnoles (des prairies parsemées de chênes) en bio, on arrive à des résultats semblables. Avec, en plus, des paysages magnifiques. Dans ces systèmes, même si la totalité des émissions de gaz à effet de serre de l’élevage n’est pas compensée, celles dues au méthane le sont largement.
Généraliser l’élevage à l’herbe
Une autre condition pour qu’un élevage de bovins ait un bon bilan carbone est que ces derniers soient nourris presque totalement à l’herbe. Si on ajoute beaucoup d’ensilage de maïs et de concentrés, le stockage de carbone dans les prairies, même bien gérées, ne suffit pas à compenser les émissions liées à la production des concentrés et à l’importation de soja.
Il reste deux obstacles à la généralisation de l’élevage à l’herbe. Le premier, c’est le rendement, au moins pour les élevages laitiers. Car il faut produire beaucoup, 8000 à 10 000 litres de lait par vache et par an, pour gagner correctement sa vie, pensent les éleveurs.
Mais pour produire beaucoup, il faut dépenser beaucoup, principalement en aliments du bétail. Les éleveurs à l’herbe produisent moins mais dépensent très peu. Et ce qui compte, c’est ce qu’il reste dans la poche de l’éleveur.
Le second obstacle, c’est le manque de volonté politique de promouvoir l’élevage à l’herbe. Cette volonté devrait se traduire entre autres par la promotion de labels de qualité. Ceux-ci permettent au consommateur de repérer les produits d’élevages à l’herbe. Il faudrait aussi une meilleure formation des conseillers agricoles à ce mode de production.
Cerise sur le gâteau : le lait et la viande de vaches nourries à l’herbe sont beaucoup plus riches en oméga 3 et en vitamines que les produits des vaches en élevage intensif. C’est donc meilleur au goût et pour la santé.
Vivier de biodiversité
Alors, en fin de compte, faut-il vraiment moins de bovins ? Moins de bovins-viande pour s’adapter à la nécessaire baisse de la consommation de leur viande, mais pas moins de vaches laitières si elles sont nourries à l’herbe. Car même si la consommation de produits laitiers diminue, en élevage à l’herbe, chaque vache produit moins.
En fait, ce n’est pas tant moins de vaches qu’il faut, mais moins de vaches qui ne sortent pas de l’étable et ne voient jamais un brin d’herbe. Il serait temps que l’on se souvienne de ce qu’on apprend à l’école primaire : les vaches sont des herbivores, les seuls capables, avec les chèvres et les moutons, de se nourrir sur les immenses étendues où il ne pousse rien d’autre que de l’herbe.
Et les savants calculs qui expliquent combien il faut de mètres carrés pour produire un kilo de protéines ne veulent rien dire si on compare des mètres carrés de prairies permanentes en montagne ou dans les zones humides avec les surfaces de terres cultivables.
Enfin, il ne faut pas oublier que les prairies bien gérées hébergent une extraordinaire biodiversité, aussi bien animale que végétale. Sans herbivores, les prairies deviennent des friches, avec moins de biodiversité, incapables de jouer le rôle de coupe-feu.
Claude Aubert