Lettre ouverte à Monsieur le préfet de l’Ardèche, Monsieur le ministre de l’Intérieur, Monsieur le président de la République,
« Mercredi 23 juin au matin, en France, un père de quatre enfants âgés de 16, 14, 6 et 4 ans, dont deux nés sur le sol français, tous scolarisés, a été mis dans un avion contre son gré pour rentrer dans un pays qu’il avait quitté huit ans plus tôt.
Il y a huit ans, pour échapper à des persécutions familiales, sa femme et lui avaient fui leur pays avec leurs deux aînés alors âgés de 8 et 6 ans.
Arrivés en Ardèche, ils avaient confiance dans le gouvernement français à leur reconnaître le droit de choisir un lieu de vie où leurs enfants pourraient se restaurer psychologiquement et grandir sereinement. Mais L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) ne l’a pas vu de la sorte et le statut de réfugié leur a été refusé. Depuis, ils ont cherché à régulariser leur situation en formant plusieurs demandes de titre de séjour, sans succès.
Dans une période d’égarement, cet homme a succombé à l’emprise de l’alcool et a eu deux fois à faire à la justice française : pour vol d’une bouteille d’alcool d’abord, puis pour conduite en état d’ivresse. Il a répondu de ces deux faits, a payé son dû, s’est soigné et n’a pas retouché une goutte d’alcool depuis six ans.
Installés dans un petit village d’Ardèche, lui et sa femme ont appris le français, scolarisé leurs enfants dans l’école de la commune, et se sont intégrés petit à petit, développant des amitiés solides avec les habitants. Ils ont travaillé au sein d’associations caritatives, il cultivait un potager, et sa femme effectue des heures de travail en tant qu’aide-ménagère déclarées et rémunérées via le Cesu (Chèque emploi service Universel).
Respectueux des lois et reconnaissants de l’accueil et de l’aide qu’ils ont trouvés auprès d’associations et de leurs amis, la seule chose qui leur est reprochée est d’avoir choisi de se maintenir sur le sol français après la décision de l’Ofpra et de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), dans l’espoir de voir leur situation administrative régularisée et de pouvoir construire une nouvelle vie. Fort d’une promesse d’embauche, un dossier de demande de régularisation a été déposé à la préfecture par son employeur. Mais l’entreprise et lui-même ont reçu une fin de non recevoir.
« Après huit années passées en France, cet homme est parti sans valise, sans affaire, et sans pouvoir prévoir de quoi subvenir à ses besoins »
Sous le coup d’une nouvelle obligation de quitter le territoire français (OQTF), sa femme et lui se sont, sans discuter, soumis à l’assignation à résidence, se présentant deux fois par semaine à l’heure dite à la gendarmerie de leur circonscription en toute confiance.
Mais, mardi matin, alors qu’ils étaient tous les deux à la gendarmerie pour pointer dans le cadre de leurs obligations d’assignation à résidence, Monsieur a été retenu par les gendarmes qui lui ont notifié un arrêté de placement en centre de rétention parfaitement irrégulier et ce, de manière parfaitement déloyale. En effet, lorsqu’un étranger fait l’objet d’une assignation à résidence, il ne peut être placé en rétention que s’il ne respecte pas les obligations de son assignation à résidence. Et la préfecture le savait, puisqu’elle a pris le soin d’organiser un vol tôt le matin suivant, afin d’empêcher la saisine du juge des libertés et de la détention dans les 48 h du placement.
Après huit années passées en France, cet homme est parti sans valise, sans affaire, et sans pouvoir prévoir de quoi subvenir à ses besoins.
Il laisse en France son épouse, et ses quatre enfants mineurs.
Qu’est-ce qui peut justifier la séparation d’un père de ses enfants ? Quel motif impérieux a pu décider un préfet de la République, qui n’a qu’une connaissance administrative de ce dossier n’ayant jamais répondu à nos demandes de rendez-vous pour exposer la situation de cette famille, à laisser une femme seule avec quatre enfants ? Qu’ont-ils fait pour subir un tel châtiment ?
Si les enfants ne peuvent pas être expulsés, pourquoi leurs parents ne sont-ils pas régularisés pour pouvoir enfin travailler, vivre tranquillement, et leur construire un avenir, comme tout autre parent ?
Ce matin, nous sommes nombreux à être en colère et à nous insurger contre ces décisions inhumaines, prises par un préfet de la République, ayant le pouvoir de briser une famille, qui selon ses propres mots « ne présente pas de risque pour la société française », au mépris de la déclaration universelle des Droits de l’Homme, de la déclaration des Droits de l’Enfant, et de la loi française.
Notre pays se déshonore par de tels actes de violence qui déstructurent le tissu social et liquéfient nos lois. Que reste-t-il du pays des droits de l’humain ? Nous demandons le retour sans condition de Dimitri Barbakadzé et sa régularisation rapide ainsi que celle de sa compagne. »
Les signataires : Réseau Éducation sans frontières (RESF), CCFD Terre solidaire, Secours populaire français, Secours catholique Caritas France, Fédération entraide protestante et Paroisse Saint-Luc des coteaux et de Tournon.
Une pétition est en ligne sur change.org
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