Fondation Abbé Pierre

Logement : « Le gouvernement nous écoute, mais les choses n’avancent pas »

Fondation Abbé Pierre

par Linda Maziz

Annonces de mesures de réquisition de logements vides, réforme de la loi SRU, limitation de la hausse des loyers d’un côté. Poursuite des expulsions locatives, aggravation du mal-logement, loi retardée de l’autre... Sylvie Guichard, directrice des missions sociales de la Fondation Abbé Pierre, revient sur les premiers mois d’action gouvernementale en matière de politique du logement. Une politique qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux.

Basta! : Cécile Duflot annonce la réquisition de logements vides d’ici fin 2012. Qu’en pensez-vous ?

Sylvie Guichard : La Fondation Abbé Pierre n’est pas particulièrement favorable à la réquisition. Elle a un effet symbolique intéressant, mais elle ne peut être durable. Soit on parle d’immeubles vides – souvent des bureaux –, soit on parle de logements vacants, dont un grand nombre appartiennent à des propriétaires privés et ne sont pas toujours en état d’être loués. On ne va pas réquisitionner des logements pour y installer des personnes dans des conditions indignes. Il existe des leviers plus efficace pour mobiliser les logements vacants. Nous privilégions des mesures comme la taxe à la vacance. Dans les villes où elle est appliquée, elle a fait la preuve de son efficacité [1]. D’une part, cela permet des rentrées d’argent, d’autre part, cela met des logements dans le circuit. Rien n’empêche par ailleurs de l’amplifier, de la faire encore plus progressive et de décider qu’au bout de 4 ou 5 ans, si le logement n’est pas loué, il est réquisitionné.

Quel état des lieux dressez-vous des expulsions locatives ?

Les expulsions sont en augmentation depuis dix ans. Cette année encore, on assiste à une hausse de 9 % des décisions de justice. Cela prend une ampleur dramatique. Le gros des expulsions est lié à des motifs d’impayés : les loyers ont augmenté de 50 % en dix ans, sans que les revenus suivent en proportion. Ce qui est particulièrement grave, c’est que tous les ans, y compris en 2012, avant la trêve hivernale, il y a une recrudescence du recours à la force publique. Quand on connaît l’impact d’une expulsion sur les enfants, leur scolarité, la vie familiale, c’est catastrophique. En termes financiers aussi, puisque c’est bien plus cher de loger une famille à l’hôtel que de la maintenir dans son logement. Nous sommes très choqués de constater que ce type de politique continue. On pouvait au moins espérer que des consignes fermes soient données aux préfets, leurs demandant d’être attentifs.

Les expulsions risquent de reprendre au printemps. Que préconisez-vous ?

Nous espérons un moratoire sur toutes les expulsions. Toute solution autre que de mettre les gens à la rue est un gain à la fois financier et social. Tout en respectant les droits des propriétaires : cela coûte moins cher d’indemniser un propriétaire que de loger une famille, ne serait-ce que dans un centre d’hébergement ! Par toute une série de mesures, nous proposons une logique de prévention avec un accompagnement de la famille le plus en amont possible. Il faut pouvoir agir dès deux mois d’impayés, quand il est encore possible de trouver des solutions.

Le gouvernement est-il réceptif à vos propositions ?

Pour le moment, il nous écoute, mais les choses n’avancent pas. Des groupes de travail ont été mis en place. Sont-ils vraiment indispensables ? L’ensemble des mesures sont connues et partagées. Cela ne sert à rien de redemander leurs avis aux associations et de continuer à tergiverser. L’heure est maintenant à la prise de décision et au passage à l’action. D’autant que cela suppose des changements législatifs lourds, avec des réformes importantes pour la justice et l’administration, dont on risque de ne pas voir les effets immédiatement. Limiter la hausse des loyers était une mesure symbolique mais insuffisante. Le véritable enjeu est de faire baisser les loyers. La possibilité de mobiliser des terrains de l’État, dans le cadre de la loi SRU, va aussi dans le bon sens. Mais ne suffira pas à construire 150 000 logements sociaux par an. François Hollande, lorsqu’il était candidat, comme Eva Joly, ont signé notre contrat social pour le logement. La ministre du Logement, Cécile Duflot, nous a assuré se sentir doublement engagée par ces signatures.

Les démantèlements de bidonvilles et les expulsions de camps roms se poursuivent...

Cela est assez difficile à supporter. La circulaire publiée cet été était prometteuse mais ambivalente. La majeure partie du texte portait sur les mesures à prendre en préalable au démantèlement et à l’expulsion des terrains occupés. C’était oublier le premier paragraphe : la possibilité d’expulser au motif de la sécurité des personnes. Dans quelques cas des préfets se sont emparés de la deuxième partie de la circulaire, mais beaucoup n’ont appliqué que le premier paragraphe… Il est évidemment plus facile de mettre en œuvre des mesures d’expulsion que des mesures d’accompagnement, dont on ne sait même pas comment elles seront financées. Cela illustre un double discours et que l’on trouve particulièrement alarmant et choquant.

En matière d’habitat indigne et de précarité énergétique, quelles sont les mesures que vous attendez en priorité ?

Sur ces sujets, il est plus compliqué de prendre des mesures radicales et rapides. Et le problème n’est pas qu’une question de financement. Prenez le programme Habiter mieux (destiné aux propriétaires aux revenus modestes pour les aider à mener une rénovation thermique, ndlr) : sur deux millions de personnes pouvant prétendre aux tarifs sociaux, seulement la moitié – 900 000 personnes – y ont eu recours. La demande ne s’exprime pas. Souvent, les gens ne se posent même pas la question. Nous avons besoin d’un travail de repérage et d’accompagnement des ménages en situation de précarité, comme cela se fait dans le Gers par exemple. Dans ce département, les actions sont efficaces car elles reposent sur un travail de partenariat avec l’ensemble des acteurs amenés à passer au domicile des gens ou à connaître de près les personnes. Cela va des secrétaires de mairie aux assistants sociaux de secteur, en passant par les services d’aide à domicile. Tous ont appris à repérer ces situations et savent où faire remonter l’information.

Dans l’habitat insalubre, l’image du marchand de sommeil domine. Est-ce une vision juste ?

Oui, mais tous les propriétaires ne sont pas des escrocs. Nous sommes souvent face à des propriétaires d’un ou deux logements dans l’ignorance totale de leurs devoirs et des aides dont ils pourraient bénéficier pour remettre en état leur logement. En face, les locataires ont peur d’agir, d’être mis dehors par leur propriétaire et en fin de compte de ne plus pouvoir se loger. C’est la même chose pour les propriétaires occupants que l’on oublie de prendre en compte. Quand nous avons lancé le programme SOS taudis en 2005, nous pensions que cela concernerait principalement des locataires victimes. Nous nous sommes aperçus que beaucoup de propriétaires occupants sont en situation de précarité. Des gens qui ont hérité d’un bien dégradé ou qui ont commencé à construire une maison sans avoir assez d’argent pour la terminer.

La disparition du Crédit Immobilier de France pourrait avoir des répercussions sur la situation des propriétaires occupants. Cela vous inquiète ?

45 000 propriétaires occupants, parfois largement en dessous du seuil de pauvreté, bénéficient de prêts à taux zéro, voire de subventions de la part du Crédit Immobilier de France pour pouvoir améliorer leur habitat. Avec des revenus mensuels de 300 ou 400 euros par unité de consommation, faire des travaux est impensable. Les missions sociales du Crédit Immobilier de France constituaient un levier important du programme Habiter mieux. Il risque aujourd’hui de disparaître, avec autant de personnes qui ne sortiraient pas de l’insalubrité. Soit c’est un programme de lutte contre la précarité, soit c’est uniquement de la protection de l’environnement, auquel cas, il vaut mieux s’adresser aux classes moyennes qui ont les moyens d’investir dans leur logement.

Les dispositifs d’hébergement d’urgence doivent-ils être renforcés ?

S’il y a autant de personnes dans des dispositifs transitoires, c’est d’abord un problème de déficit de logement. Nous ne sommes pas pour la création massive de places d’hébergement supplémentaires, qui dans certains cas ne favorisent pas l’autonomie des ménages. On ne vit pas en famille dans une chambre d’hôtel ! Cela étant dit, nous sommes opposés à ce que préconisait le précédent gouvernement : puisque la perspective c’est du logement, arrêtons d’ouvrir des places d’hébergement. Tant que nous n’aurons pas construit les 900 000 logements manquant, que le nombre des expulsions et des personnes à la rue augmentera, que certaines personnes auront besoin d’un accompagnement social vers le logement, des phases de transition sont évidemment nécessaires. Donc essayons au maximum de créer du logement et faisons en sorte qu’il y ait assez de places d’hébergement pour tout le monde, et pas uniquement l’hiver. Il y aura toujours besoin d’hébergements adaptés pour la personne mise à la rue, celle qui sort de prison, le gamin de l’Assistance sociale à l’enfance, les migrants sans droits ni titres. Au bout du compte, ce besoin n’est pas si énorme.

Et pour les personnes les plus désocialisées ?

Regardez les pensions de famille. Ce sont des résidences sociales dans lesquelles chaque personne dispose d’un logement, généralement un studio avec des espaces de vie collective. Ces pensions s’adressent plutôt à des personnes isolées, assez désocialisées et en grande difficulté d’insertion, dont on peut se dire qu’elles auront du mal à accéder à un logement autonome. Elles n’y ont pas un statut de locataire mais leur présence n’est pas limitée dans le temps. Elles peuvent même y rester pour toujours. Or, on constate qu’elles y restent parfois moins longtemps que dans des endroits où on leur fait signer des contrats temporaires liés à leur activité d’insertion. Le seul fait de dire aux gens « ici c’est chez vous » s’avère une extraordinaire condition de réassurance des personnes. Du coup, elles sont disponibles pour s’engager dans d’autres choses !

Propos recueillis par Linda Maziz

Notes

[1La taxe concerne les logements vides depuis deux ans dans les villes de plus de 200 000 habitants, s’élève à 12,5% de la valeur locative la première année, et jusqu’à 20%. Des exonérations sont cependant prévues (voir ici).