Néo-libéralisme

Loi travail, retraites, sous-traitance : le gouvernement brésilien passe à l’offensive contre les droits sociaux

Néo-libéralisme

par Mathilde Dorcadie

Le gouvernement de Michel Temer, au pouvoir depuis la destitution l’été dernier de la présidente Dilma Rousseff, veut faire adopter une série de réformes qui portent atteinte à de nombreux acquis sociaux des travailleurs. La refonte du système des retraites, celui du code du travail – visant à faire primer l’accord d’entreprise sur la loi – et la libéralisation de la sous-traitance suscitent une vive opposition de la part des syndicats et dans la population. Une grève générale d’une ampleur inédite a été très suivie dans tout le pays le 28 avril.

Une grève générale a paralysé le Brésil le 28 avril. Selon les organisations syndicales, près de 40 millions de personnes, près d’un cinquième de la population, y a participé. En cause : une réforme des retraites très pénalisante doublée d’une loi Travail version brésilienne. Depuis son arrivée au pouvoir en août 2016 après la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff – et dans le contexte économique d’un pays en récession depuis fin 2014 – Michel Temer a annoncé des réformes d’inspiration libérale très impopulaires. Après avoir fait approuver un projet de gel des finances publiques pour vingt ans, le gouvernement de centre-droit veut notamment s’attaquer au système des retraites.

Son projet : faire passer l’âge minimum de départ à 65 ans pour tous les Brésiliens. Parmi les populations qui risquent d’y perdre le plus : les femmes et les travailleurs pauvres. Il existe en outre au Brésil de grandes disparités dans l’espérance de vie entre les régions. Alors que dans le nord, elle atteint tout juste 67 ans pour les hommes, dans les États du sud, plus riches, on y vit facilement dix années de plus. En imposant un âge identique à toute la population, il y aura une grande inégalité entre les bénéficiaires des pensions. Le gouvernement a finalement concédé de passer l’âge de départ à la retraite pour les femmes à 62 ans au lieu de 65.

Retraites : 49 ans de cotisation exigés

Le projet prévoit aussi un minimum de contribution de 25 années au lieu des 15 actuellement exigées. Une règle qui va pénaliser la partie la plus précaire de la population, celle qui passe souvent une partie de sa carrière dans des emplois informels, environ 10 millions de personnes.

Enfin une troisième disposition prévoit que la retraite à taux plein ne sera accessible qu’à partir de 49 ans de cotisations. Une exigence presque impossible à tenir, notamment pour les femmes. Un travailleur qui commencerait à travailler à 18 ans n’aurait accès à la retraite qu’à 67 ans seulement, en supposant que celui-ci fasse une carrière de cinq décennies, sans aucune période de chômage, de formation, de maladie ou de maternité.

Pour justifier sa réforme, le gouvernement fait valoir que les caisses de retraites présentent un déficit de 149,7 milliards de réaux (45 milliards d’euros). « C’est un mensonge, basé sur des chiffres erronés, rétorque João Cayres, directeur national de la Centrale unique des travailleurs (CUT), la principale centrale syndicale du Brésil, proche du Parti des Travailleurs (PT). Le système a été pensé pour ne pas dépendre uniquement des cotisations, et les précédentes réformes ont déjà pris en compte le vieillissement de la population ».

Immense fraude aux cotisations patronales

Pour lui, « ce que veut le gouvernement, c’est fragiliser le système public pour le livrer au privé, comme cela a été fait au Chili et au Mexique ». Un constat partagé par l’économiste Denise Gentil, de l’Université fédérale de Rio de Janeiro : en proposant des exigences inatteignables pour beaucoup de travailleurs, la classe moyenne sera tentée de cotiser à un fond de retraite complémentaire. Pour les classes populaires, qui craignent de ne jamais remplir les conditions nécessaires, le travail informel risque de se développer encore plus, contribuant à fragiliser encore davantage le système de sécurité sociale.

Les opposants à la réforme demandent que le gouvernement commence par exiger des entreprises les cotisations dont elles sont redevables. Selon Le Procureur général du Trésor brésilien (PGFN) près de 426 milliards de réaux (123 milliards d’euros) ne sont jamais arrivés dans les caisses. « Au lieu de s’attaquer aux entreprises qui sont dans l’illégalité, nos dirigeants préfèrent faire payer la facture au travailleurs », s’insurge le directeur national de la CUT.

Une « loi Travail » en préparation

En mars, le gouvernement de Michel Temer a déjà fait passer et approuver une loi controversée portant sur la flexibilisation de la sous-traitance et des contrats à durée déterminée. Désormais les entreprises pourront embaucher des travailleurs sous-traitants non plus seulement pour leurs activités annexes (sécurité, propreté), mais aussi pour leurs activités principales et stratégiques. Pour les syndicats, cette flexibilisation profite surtout aux entreprises, qui peuvent ainsi « rationaliser » leur masse salariale, mais les travailleurs y perdent la stabilité de l’emploi et leur force de négociation syndicale.

Le Parlement s’apprête également à faire passer une réforme du droit du travail qui n’est pas sans rappeler la récente loi Travail française. Cette réforme devrait notamment faire primer l’accord d’entreprise sur la loi dans plusieurs domaines, fragilisant un peu plus les travailleurs dans un contexte économique très défavorable à la négociation. « Nous sommes en train de retourner au début du 20e siècle, déplore João Cayres. Tous les droits acquis depuis cette époque sont en train d’être retirés aux travailleurs. »

Mathilde Docardie

Photo : Manifestants à Brasilia, le 28 avril 2017 / CC José Cruz (Agência Brasil)