Pollution

Analyses indépendantes après Lubrizol : « On vit dans un environnement globalement pollué »

Pollution

par Simon Gouin, Sophie Chapelle

Après l’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, des analyses citoyennes ont été effectuées pour connaitre l’étendue de la pollution. Les résultats pour plusieurs terrains agricoles touchés par le panache de fumée viennent d’être dévoilés.

L’horizon des agriculteurs, touchés par le panache noir de l’incendie de Lubrizol, s’ouvre à nouveau. Ils viennent de recevoir les résultats d’analyses indépendantes des prélèvements de terres potentiellement affectées par des retombées d’hydrocarbures. Pour la grande majorité des polluants recherchés [1], les résultats sont inférieurs aux seuils de détection, que ce soit sous serre ou en en plein champ. « Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, mais dans des proportions très faibles », précise Vincent Bourges, à l’initiative de ces prélèvements. Quant aux polluants détectés, ils sont les mêmes sous la serre ou en plein champ. Il n’y aurait donc pas de différence entre une terre au dessus de laquelle les fumées sont passées et une autre qui a été protégée.

La présence des métaux dans le sol est également dans les normes. Quant aux dioxines et aux furanes, « on est dans la moyenne de concentration des sites non pollués si l’on se réfère à un document du BRGM (bureau de recherches géologiques et minières). Cela ne veut pas dire que ce n’est pas pollué, mais c’est une pollution qui date de plusieurs décennies. Ce que ça révèle, c’est que l’on vit dans un environnement globalement pollué », déplore Vincent Bourges.

|Pour voir les principaux composés analysés, cliquez sur l’image ci dessus.|

Au total, un peu moins de 100 composés étaient recherchés chez deux maraichers en bio ; le premier à environ 25 kilomètres de Lubrizol, le deuxième à 40 kms. « Il n’y a pas eu de prélèvements réalisés plus près de Lubrizol car nous avions observé que les retombées d’hydrocarbures sous forme de gouttelettes ou de particules noires étaient assez loin de Rouen. Sur la ville même, nous avons plutôt trouvé des résidus calcinés. Faire l’analyse sur des surfaces de terres imprégnées par ces gouttelettes et particules noires m’a paru le plus logique sur le moment. Mais j’entends que ce soit contestable. On ne trouve pas non plus ce qu’on ne cherche pas, c’est la limite de l’exercice citoyen », reconnait Vincent Bourges.

Une cagnotte pour faire des test de pollution, de manière indépendante et citoyenne

Comment cette analyse citoyenne indépendante de la pollution de Lubrizol a t-elle été menée ? « On était sous le nuage noir le jeudi et l’on a vu tomber des choses sur les velux de la maison, la table de jardin, ce n’était pas rassurant », témoigne Vincent Bourges. Trois jours après l’incendie, le 29 septembre, il lance une cagnotte Leetchi. « Ce qui nous est tombé dessus est une vraie saloperie mais on ne sait pas ce que c’est, car les résultats ne sont pas communiqués », écrit-il ce jour là. « Lubrizol est une usine qui fabrique des additifs pour les huiles et la pétrochimie. En bref, c’est comme une marée noire, mais venue du ciel. Cette collecte a pour objectif de faire des tests de pollution, de manière indépendante et citoyenne, pour réaliser des prélèvements. » En 72 heures, il lève 2500 euros et ferme la cagnotte, l’objectif étant largement dépassé.

Habitué dans son travail à faire des prélèvements pour savoir si les sols sont pollués, Vincent Bourges souhaite que son protocole soit incontestable scientifiquement [2]. Les prélèvements sont donc réalisés par un professionnel en présence d’un huissier. Chez chaque maraîcher, trois prélèvements sont réalisés en plein champ et trois sous serre, qui constitueront des échantillons témoins. « Si on tombe sur une ancienne pollution, par exemple un tracteur dont la durite a pété, il peut y avoir une pollution locale qui n’est pas due à Lubrizol. On peut utiliser le troisième prélèvement pour comparer les résultats entre eux », explique t-il.

« Commencer à imaginer la saison prochaine »

Ces résultats ont été annoncés aux maraichers. « C’est quelque part un début d’assurance qu’ils vont pouvoir reprendre une activité normale, et commencer à imaginer la saison prochaine », se réjouit Vincent Bourges.

L’information rassurera-t-elle également celles et ceux ayant un jardin à proximité de Lubrizol, ou se demandant s’il faut laisser ou non son enfant mettre les mains dans la terre ? Ces résultats permettent en tout cas de recouper les différentes analyses effectuées par l’État, notamment sur ces fermes où l’expertise indépendante a été menée. Ils vont dans le sens de la levée des restrictions annoncée par la préfecture le 18 octobre. Depuis cette date, les fruits et légumes locaux peuvent à nouveau être commercialisés.

D’autres analyses citoyennes sont actuellement en cours, menées notamment par des parents d’élèves mais aussi des mères allaitantes. Des traces d’hydrocarbures ont notamment été relevées dans leur lait maternel. Toute la difficulté est de savoir si ces traces d’hydrocarbures sont liées à un environnement pollué chroniquement par l’industrie ou à l’exposition liée à Lubrizol.

Des analyses biologiques révèlent également que certains pompiers intervenus sur l’incendie de Lubrizol présentent des résultats anormaux pour le foie avec des niveaux de transaminases (enzymes présentes dans les cellules) trois fois supérieurs à la normale. Si l’on ne peut établir pour l’heure de lien entre ces résultats et cet incendie, des pompiers ont l’intention de porter plainte.

Sophie Chapelle et Simon Gouin

Photo de une : prélèvements réalisés le 4 octobre 2019. © Analyse citoyenne indépendante de la pollution Lubrizol

Notes

[1HAP, hydrocarbures, PCB – base, hydrocarbures mono-aromatiques, COHVs, chlorobenzènes

[2Le protocole est basé sur le guide de l’Ineris relatif à la stratégie de prélèvements et d’analyses à réaliser suite à un accident technologique - cas de l’incendie.