Nucléaire

Marcoule, capitale explosive de l’industrie nucléaire française

Nucléaire

par Ivan du Roy

L’explosion mortelle qui vient d’avoir lieu à Marcoule (Gard) et les inquiétudes sur d’éventuelles fuites radioactives pointent une fois de plus les risques inhérents à la filière nucléaire, y compris dans le retraitement des déchets radioactifs. Et montrent qu’il n’y a pas que dans les centrales que peut se produire un accident pouvant déboucher sur une contamination.

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Si l’industrie nucléaire française devait avoir sa capitale, Marcoule pourrait y prétendre. Le site nucléaire gardois, situé en face d’Orange, avec Avignon sous le vent, accueille toute la chaîne de l’industrie nucléaire : une usine de fabrication de combustible MOX à base de plutonium, exploitée par Areva ; un réacteur nucléaire expérimental à neutrons rapides du CEA (Commissariat à l’énergie atomique, principal actionnaire d’Areva) ; et un centre de traitement et de conditionnement de déchets nucléaires, exploité par une filiale d’EDF, la Socodei. Ces déchets sont ensuite destinés à être stockés et enfouis. C’est là, au sein du Centre de traitement et de conditionnement de déchets de faible activité (Centraco), que s’est produite une explosion, ce 12 septembre, tuant un employé et en blessant plusieurs autres.

« Selon les premières informations, il s’agit d’une explosion d’un four servant à fondre les déchets radioactifs métalliques de faible et très faible activité », explique un communiqué de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN). L’usine compte un four à incinération et une « unité de fusion ». C’est dans cette seconde unité que l’explosion a eu lieu, comme le confirme le CEA qui indique « un four de fusion métallurgique ». Ce four prend en charge les déchets métalliques radioactifs issus de l’industrie nucléaire : « Des structures métalliques, des vannes, des pompes, des outils en inox, en acier ou en métaux non ferreux qui proviennent des opérations de maintenance ou de démantèlement des installations nucléaires », détaille le site web du centre de conditionnement. Les pièces radioactives y sont fondues « à une température variant entre 1 300 °C et 1 600 °C ». Puis assemblées en barres métalliques qui sont soit réutilisées dans l’industrie nucléaire soit expédiées vers un centre de stockage. Avec le démantèlement toujours en cours de Superphénix (Isère), de l’usine d’extraction du plutonium de Marcoule (UP1) ou de la centrale de Brennilis (Finistère), les fours ne doivent pas chômer (d’autant que le gouvernement a ouvert la voie au recyclage de ces déchets en dehors de l’industrie nucléaire, mais c’est une autre histoire).

Quels dangers de radioactivité ?

Existe-t-il des risques de fuites radioactives suite à l’explosion mortelle ? Tout dépend du type de déchets traités et, surtout, de la résistance ou non de l’enceinte du bâtiment abritant le four. Les communiqués du CEA et de l’ASN évoquent des déchets « faiblement radioactifs » et « très faiblement radioactifs ». Ils peuvent correspondre à plusieurs types de déchets, classés par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) en fonction de leur radioactivité et la durée de celle-ci. Les déchets « très faible activité » (TFA) et « faible et moyenne activité à vie courte » (FMA-VC) d’abord. Ils possèdent une période radioactive inférieure ou égale à 31 ans. Outils, fûts ou tuyauteries contaminés au Tritium, au Césium 137 ou au Cobalt 60 entrent dans cette catégorie. Les déchets « faible activité à vie longue » (FA-VL) ensuite, principalement issus des anciens réacteurs graphite-gaz exploités par EDF ou expérimentés par le CEA. Malgré leur « faible activité », l’Andra prend quelques précautions pour les stocker. Les « TFA » sont enterrés sous quelques mètres d’argile. Les « FMA » sont confinés dans des ouvrages « en béton armé de 25 mètres de côté et de 8 mètres de hauteur », fermés « par une dalle de béton dont l’étanchéité est assurée par un revêtement imperméable » puis recouverts d’une couche « argileuse définitive de plusieurs mètres d’épaisseur ».

Qu’en est-il de l’enceinte abritant le four à fusion ? L’explosion l’a-t-elle endommagée ? Le CEA assure que « le confinement de l’installation et la ventilation sont opérationnels ». Pour l’instant, selon l’exploitant de l’usine, « les mesures effectuées ne mettent pas en évidence de rejet radioactif à l’extérieur de l’installation  ». L’incendie qui s’est déclenché après l’explosion aurait été maîtrisé en trois quarts d’heure. Restent des doutes, que soulève le Réseau sortir du nucléaire : « Claude Guéant, notre ministre de l’Intérieur, affirme qu’il n’y aurait pas de fuite radioactive. L’explosion du four a-t-elle mis en cause l’intégrité du système de confinement du bâtiment et de filtration des éléments radioactifs ? Comment notre ministre peut-il affirmer qu’il n’y a aucune fuite ? Des mesures ont-elles été effectuées sur le site ? ». De leur côté, les experts indépendants de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) ont placé « en vigilance accrue » leurs balises atmosphériques et aquatiques en aval de Marcoule. A 14h15, soit près de 2 heures après l’accident, aucune contamination n’avait été détectée.

« Devant le constat de lacunes dans la culture de sûreté au sein de l’installation Centraco, le directeur général de l’ASN a demandé à l’exploitant de définir et de mettre en œuvre des actions visant à améliorer la sûreté de l’exploitation ». C’était en 2010. L’usine Centraco, comme toutes les autres installations nucléaires, connaît régulièrement des dysfonctionnements et incidents techniques classés niveau 1 (panne du dispositif de contrôle des rejets gazeux, panne d’alarmes incendie, perte de l’alimentation électrique). Cette fois, l’accident devrait être classé niveau 2 ou 3, compte tenu de la mort d’un travailleur. Un nouvel avertissement, six mois après Fukushima ?

Ivan du Roy