Mouvement social

« Même vous, Monsieur le Président, vous êtes venu au monde grâce à une sage-femme »

Mouvement social

par Agnès Ledig

Les sages-femmes manifestaient à Paris le 16 décembre pour obtenir un véritable statut médical à l’hôpital. Choquée par l’attitude des forces de l’ordre, Agnès Ledig, une sage-femme qui a travaillé cinq ans au Centre médico-chirurgical obstétrique de Schiltigheim (Alsace) avant de s’installer en libéral, a écrit une lettre à François Hollande. Sage-femme, le plus beau métier du monde ? « Une profession méprisée, invisible, non reconnue et maintenant violentée », déplore-t-elle.

Lettre ouverte à Monsieur Hollande
Président de la République Française.

Monsieur le Président,

Je suis sage-femme libérale dans une petite ville de province, mais je suis aussi écrivain, et c‘est cette plume que je prends aujourd’hui pour vous écrire la colère, le dépit, la tristesse, peut-être même la rage, que j‘ai ressentis ce lundi 16 décembre 2013, journée de manifestation des sages-femmes à Paris, après deux mois de grève. J‘ai pleuré, Monsieur Hollande, j‘ai pleuré en voyant mes collègues molestées, repoussées, et pour certaines d‘entre elles frappées violemment par les forces de l‘ordre : une clavicule et un tibia cassés, des hématomes, et des sages-femmes choquées d‘être prises pour des hooligans.

Le pouvoir français maltraite celles-là même qui prennent soin des femmes et des enfants de la patrie. Des grands mots, allez-vous me dire ? Je n‘y vois que de grands maux, ceux d‘une profession entière, qui subit depuis des années le mépris et le manque de reconnaissance, malgré son statut médical, les cinq années d‘études pour y parvenir et la responsabilité médico-légale qui en découle.

Savez-vous que les sages-femmes sont en première ligne pour réanimer les nouveaux-nés, prendre en charge une hémorragie de la délivrance, ou une décompensation maternelle au décours de l‘accouchement ? Cela s‘appelle « avoir des vie entre nos mains », ces mêmes mains frappées avec des matraques parce qu‘elles tenaient des barrières ce 16 décembre. Savez-vous que les sages-femmes ont la responsabilité médicale du suivi de grossesse, des échographies, du suivi gynécologique de prévention et de toute la contraception des femmes ? Elles participent ainsi à l‘amélioration de la santé des femmes. Savez-vous qu‘elles sont aussi présentes pour accompagner les couples dans le pire moment qui soit, quand ils perdent leur enfant ?

Notre demande ne s‘inscrit pas au delà du raisonnable, loin de là. Une visibilité équivalente aux médecins dans le suivi des femmes, un statut digne de la profession médicale que nous sommes, et la reconnaissance qui va avec. Ce n‘est vraiment pas déraisonnable.

Ce lundi, les sages-femmes criaient avec le cœur, et on les a bâillonnées avec les coups.

C‘est inexcusable. En prenant un peu de recul, c‘est même dramatique, car tous les bébés de France naissent en présence d‘une sage-femme. Même vous, Monsieur le Président, vous êtes venu au monde grâce à une sage-femme. Or une profession méprisée, invisible, non reconnue et maintenant violentée se meurt un jour, inévitablement. Et si elle ne meurt pas, elle vivote. Quelle force, quelle image donnerons-nous aux femmes de France et à leur bébé en vivotant péniblement ?

Quand j‘annonce que je suis sage-femme, neuf fois sur dix, on me répond « vous faites le plus beau métier du monde ». Je n‘arrive plus à répondre « oui », Monsieur le Président, je n‘arrive plus à répondre oui, parce que non, ce n‘est pas le plus beau métier du monde. Ce n‘est plus le plus beau métier du monde. Qu‘allez-vous faire, Monsieur Hollande, pour que je puisse à nouveau dire oui ?

Agnès Ledig

Photo : CC FlickR