C’est l’une des personnalités les plus influentes de Hongrie. En 2018, il est devenu officiellement l’homme le plus riche du pays. Cet homme, c’est Lőrinc Mészáros. Avant, il a été maire d’une petite ville hongroise, Felcsút, qui se trouve aussi être le village où a grandi le Premier ministre hongrois Viktor Orbán. C’est aussi cette commune qui abrite un grand stade et une académie de football connus nationalement, et situés juste en face de la maison du Premier ministre.
Ancien plombier-chauffagiste devenu plus riche que Ronaldo, Lőrinc Mészáros est un ami d’enfance d’Orbán, ce qui semble avoir largement facilité son succès miraculeux. Selon les dires du milliardaire lui-même, Mészáros et Orbán se sont vraiment rapprochés en 1999, lorsque l’homme politique a rejoint le club de football de Felcsút et voulu monter dans son village un centre de formation de foot [1]. Quand une fondation a été créée dans ce but, Mészáros a été choisi pour en prendre la tête.
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Dans une interview donnée en 2014, Mészáros avait attribué son succès fulgurant à « Dieu, la chance, et Viktor Orbán », tout en ajoutant qu’il « n’avait jamais rien privatisé, jamais rien volé », et qu’il avait « tout acquis avec son travail et son cerveau » [2]. Mais la croissance inégalée de la richesse de cet homme polyvalent (à la fois dirigeant d’un club sportif, de fondations, ancien conseiller municipal et maire, homme d’affaires, grand propriétaire foncier) a bien débuté juste après la victoire du parti Fidesz de Viktor Orbán aux élections hongroises de 2010.
Centrale à charbon, raffinerie de sucre, banque, hôtels, médias…
Dix ans plus tard, en ce début d’année 2020, Mészáros dispose d’une fortune estimée à 1,1 milliard d’euros (selon Forbes). Mészáros est aujourd’hui un businessman actif dans un grand nombre de secteurs : banque, assurances et fonds d’investissements, hôtellerie, campings, énergie, vins, médias [3]. L’empire Mészáros comprend par exemple, parmi les sociétés qu’il détient ou contrôle, une centrale à charbon (Mátra) dans le nord de la Hongrie ; une fabrique de sucre (Kall Ingredients) ; la banque MKB ; un complexe de bureaux à Budapest (Alkotás Point), le bâtiment de l’ancien siège d’une télé (NAP TV), une chaîne d’hôtels (Hunguest), un hôtel dans la région vinicole du Tokaj (Andrássy Residence), un autre hôtel de luxe (Saliris Resort Spa), une chaîne de campings (Balatontourist), des terres agricoles, et de nombreux médias (Echo TV, une chaîne de télé pro-gouvernementale, des journaux régionaux…) [4].
Le portefeuille de Mészáros comprend ainsi des centaines d’entreprises. Le journal Atlatszo a montré que ces entreprises détenues ou contrôlées par Lőrinc Mészáros remportent un très grand nombre de marchés publics en Hongrie, dont la plus grande partie sont financés en fin de compte par des fonds de l’Union européenne.
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En 2017, Lőrinc Mészáros et sa famille ont obtenu plus d’1,5 milliard d’euros de marchés publics. Pus de 80 % de cette somme venaient de fonds européens [5]. Le chiffre était de plus de 800 millions d’euros en 2018, dont plus de 80 % de fonds de l’UE [6].
Les marchés publics s’obtiennent en famille
Une entreprise de construction - Fejér-B.Á.L. - appartenant aux enfants de Mészáros, a par exemple obtenu le contrat pour réaliser deux grands projets d’infrastructure publique dans la ville d’Érd, près de la capitale. Cette société a également remporté - sans appel d’offres - un contrat de 36 millions d’euros de la fondation de football dirigée par Mészáros lui-même.
D’autres membres de la famille profitent de ces marchés : une entreprise appartenant à un gendre de Mészáros a remporté un contrat pour un projet de ligne ferroviaire, tandis que son frère fournit des équipements pour des projets d’infrastructure.
Achat en masse de terres agricoles privatisées
La présence à la bourse de Budapest des entreprises de Mészáros lui réussit tout autant. Il y a deux ans, son groupe de médias Konzum a été désigné par l’agence d’information économique Bloomberg comme « la meilleure performance boursière au monde ». Mészáros est aussi actionnaire de la société cotée 4iG, qui a acquis en 2019 une société informatique (T-Systems), qui avait elle-même remporté d’importants projets gouvernementaux entre 2016-2019. Lorsque Mészáros a choisi de racheter le groupe de médias locaux Mediaworks, l’entreprise a également réussi à tripler ses recettes publicitaires en une année - en encaissant les campagnes publicitaires gouvernementales [7].
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Il en va de même dans le secteur de l’agriculture. Mészáros et ses entreprises sont parmi les plus grands bénéficiaires de subventions agricoles en Hongrie. Et aussi de la vente de terres agricoles qui appartenaient auparavant à l’État hongrois. En 2017, Atlatszo a passé des mois à cartographier l’énorme opération de privatisation de terres agricoles d’État qui a eu lieu en 2015-2016 en Hongrie. L’enquête menait encore une fois au milliardaire : lui et sa famille ont acheté au total 1550 hectares de ces terres anciennement étatiques. Ils sont parmi les grands bénéficiaires de l’opération [8].
Une caractéristique importante de cet empire économique est l’entrée de fonds d’investissement privés dans le capital des différentes entreprises du milliardaire. Ces fonds sont dirigés par Mészáros lui-même ou l’une de ses sociétés. Mais les investisseurs finaux de ces fonds restent, eux, cachés. La propriété finale des sociétés demeure donc difficile à attribuer avec certitude. Aujourd’hui, la richesse de Mészáros a tellement augmenté qu’un conflit potentiel entre lui et Viktor Orbán, ou même la faillite d’une des sociétés de Mészáros, pourraient créer une situation délicate pour l’économie hongroise toute entière.
Gabriella Horn, Atlatszo.hu.
Traduction (depuis l’anglais) : Rachel Knaebel
Atlatszo.hu est un site d’investigation indépendant hongrois. Leurs articles en anglais sont à lire ici.
Images de une : Photo de Viktor Orban( CC European People’s Party via Wikimedia(, montée avec une image de l’académie de football de Felcsút (CC Christo via Wikimedia Commons) et une couverture de Forbes Hongrie.
Cette enquête est le fruit d’une collaboration entre Bastamag, l’Observatoire des multinationales et des organisations et médias européens dans le cadre du réseau ENCO (European Network of Corporate Observatories), Observatoire européen des multinationales. Le rapport « Know your billionaires ! » est disponible en anglais ici :