« Ceci est un avertissement », prévient une banderole suspendue au dessus du périphérique nantais ce samedi 9 janvier. Juste en face, l’immense pont de Cheviré qui enjambe la Loire et une bretelle d’autoroute se sont transformés en improbable terrain de manifestation. 20 000 personnes, 1000 vélos et 400 tracteurs s’y sont rassemblés à partir de midi, pour protester contre l’expulsion des habitants « historiques » de la zone à défendre (Zad) de Notre-Dame-des-Landes, censée accueillir un jour un nouvel aéroport.
Les historiques – onze familles et quatre fermes – sont les plus anciens habitants de la Zad. Tous ont refusé de quitter leurs lieux de vie et de travail contre les indemnités versées par la société Aéroport du grand-ouest-Vinci (AGO). Mais fin décembre, ils ont été assignés en référé expulsion. Le concessionnaire du futur aéroport demande une astreinte financière de 200 euros par jour de retard et par dossier. « Pour les paysans, qui ont plusieurs dossiers (le logement, les bâtiments agricoles), cela peut monter à 1000 euros par jour », détaille Claude, locataire sur la Zad. L’audience devant le juge des expropriations doit avoir lieu le 13 janvier prochain, à Nantes.
Les paysans à la manœuvre
Quand ils ont su que leurs collègues étaient menacés d’expulsion, le sang des paysans n’a fait qu’un tour. Les collectifs des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport (Copains) se sont rapidement mobilisés. 400 tracteurs ont été acheminés vers Nantes pour la manifestation, depuis la Loire-Atlantique mais aussi l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan. En haut des cabines flottent des drapeaux de la Confédération paysanne et des antennes locales de la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (Fnab). Le rassemblement prend des airs de jacquerie : des fourches arborent des panneaux et banderoles : « Non aux expulsions, la terre aux paysans ! »
L’attachement à la protection de la terre nourricière est très fort. Il lie les paysans et autres résistants à la zone à défendre autant qu’il les soude. « Si on ne défend pas ces terres maintenant, après il sera trop tard, dit Martial, agriculteur depuis 40 ans en Loire-Atlantique. Comme fera-t-on quand il n’y aura plus d’espaces cultivables ? On ira piller des terres en Afrique ? », interroge-t-il. « S’ils détruisent tout, on va manger quoi après ? », se demande de son côté Dalila, une fonctionnaire de 49 ans.
« Il y a tous les âges, c’est très fédérateur, cela fait vraiment du bien »
« Les gens qui rêvent d’un autre monde ratent vraiment quelque chose en n’étant pas présents ici aujourd’hui, pense Laurence, la cinquantaine. Il y a tous les âges, c’est très fédérateur, cela fait vraiment du bien. » S’ils rêvaient d’une mobilisation massive, les organisateurs ont été surpris par son ampleur. « Nous avons organisé cette mobilisation en dix jours à peine, se réjouissent Camille et Dominique, qui vivent depuis trois ans sur la Zad. C’est incroyable de voir tout ce monde, tous ces tracteurs, tous ces vélos. » « Il y a quelques jours encore, seulement 200 tracteurs étaient annoncés », ajoute un paysan. « Nous sommes là aujourd’hui, nous serons là demain et tous les jours s’il le faut », lance Son, 26 ans, qui a fait une demi-heure de vélo depuis Nantes pour rallier le rassemblement.
« Nous voulons montrer au gouvernement et à Vinci que nous avons de la force. Nous ne sommes pas obligés d’accepter ce qu’ils nous proposent », reprend Son. En 2012, il était sur les barricades de la Zad. Et il y retournera « bien évidemment » si cela était nécessaire, comme de nombreuses personnes présentes sur le périphérique nantais ce samedi. Devant la remorque agricole qui sert ce jour-là de tribune politique, un vaste banquet se déploie. Chacun sort son pique-nique, certains ont amené des tables et des bouteilles de vin. Une brouette arrive à vélo et déploie de quoi installer des barbecues sur lesquels mijotent bientôt soupe et vin chaud. Un repas est proposé à prix libre. Les manifestants vont et viennent à pied et à vélo, remontant parfois tout le pont de Cheviré pour voir l’impressionnante rangée de « tracteurs vigilants ».
Françoise, Marie-Claire et Laurence arrivent d’Angers. Elles sont membres du comité de soutien créé depuis 2012 [1]. « On organise des manifestations chez nous, et on interpelle régulièrement nos élus à propos du projet d’aéroport. Nous avons aussi accueilli la tracto-vélo qui a rallié la Cop en décembre. Et quand c’est nécessaire, nous nous déplaçons à Nantes ou sur la Zad. » « On voit que l’on n’est pas tout seuls, c’est vraiment important », a lancé Sylvain Fresneau, paysan laitier à Notre-Dame-des-Landes depuis 1984 et aujourd’hui menacé d’expulsion.
« Ne pas les laisser seuls face à la machine qui essaie de les écraser »
Les opposants au projet assurent qu’il n’y a aucune urgence à évacuer qui que ce soit. « C’est tellement vrai que Vinci continue d’accorder des baux précaires aux paysans pour la nouvelle saison. » Et pour le moment, aucun projet de permis de construire n’a encore été déposé. « En fait, en prenant les historiques à la gorge avec les astreintes financières, ils veulent appauvrir la diversité sociale de la Zad, qui en fait sa force », analysent Camille et Dominique, qui vivent sur la zone depuis trois ans. « Ils veulent nous faire partir sans que les forces de l’ordre n’interviennent », ajoute Marcel Thébault, paysan laitier sur la Zad depuis 1999. « Mais notre détermination est sans faille. On ne lâche rien », lance Sylvain Fresneau.
Le procès qui doit se tenir le 13 janvier est perçu par les opposants au projet d’aéroport comme aussi violente que la tentative d’expulsion par les forces de l’ordre de l’automne 2012. Celle-la même qui avait scellé l’alliance entre anciens et nouveaux habitants de la Zad. Les habitants du coin avaient ouvert leurs maisons aux zadistes menacés d’expulsion. C’est à leur tour de leur prêter main forte. « Nous leur apportons une aide matérielle, financière, morale. Nous pouvons passer les aider pour faire des chantiers, les remplacer pour la traite des vaches, rêver avec eux pour leur permettre de continuer à se projeter. Ne pas les laisser seuls face à la machine qui essaie de les écraser », résume Camille.
Hollande stoppera-t-il les expulsions ?
« Nous demandons solennellement à François Hollande d’honorer ses engagements et de faire stopper immédiatement toute procédure d’expulsion jusqu’à aboutissement de tous les recours. » En mai 2012, suite à une grève de le faim de 21 jours de certains opposants à l’aéroport, François Hollande et le premier ministre d’alors Jean-Marc Ayrault s’étaient engagés à n’expulser personne tant que les recours juridiques des opposants n’étaient pas épuisés. Les dits recours ont été rejetés en juillet dernier par le tribunal administratif de Nantes. Mais les opposants ont fait appel et estiment donc que les recours ne sont toujours pas épuisés.
En colère contre ce qu’ils considèrent comme une trahison, et lassés des coups répétés du pouvoir, les opposants exigent que François Hollande annonce l’abandon immédiat de l’expulsion des habitants historiques de la Zad. Une centaine de tracteurs ont refusé de quitter les lieux tant que le président n’aurait pas donné de réponse, soutenus par plusieurs centaines d’opposants. Pour passer la soirée, la nuit, voire la totalité du week-end, des tentes ont été montées, des marmites se sont mises à bouillir, de la paille fraîche a été posée au sol. Rendez-vous a même été donné pour un grand pique-nique sur le pont de Cheviré le dimanche midi.
Bombes lacrymos et canons à eau
Mais vers 23 h, la situation s’est tendue. Les forces de l’ordre annoncent qu’elles prévoient de passer à l’attaque. « Après, nous avoir pris en tenailles sur les deux côtés du périphérique, positionnés à quelques dizaines de mètres de nos tracteurs, il nous a été ordonné de partir en ces termes : « Vous avez dix minutes pour vous décider, soit vous partez, soit vous restez et il y aura de la casse et des blessés des deux côtés », rapporte le collectif copain 44. La présence des ambulances ne laisse aucun doute sur les intentions prédéterminées d’une recherche de l’affrontement. »
Le collectif prend donc la décision de lever le camp. « Nous avons commencé à plier bagage à 23 h 30, témoignent des personnes présentes sur place. Pour autant, les flics se sont mis à balancer des jets de canon à eau et des gaz lacrymogènes en grande quantité. » Quand les tracteurs se sont ébranlés pour quitter les lieux qu’ils occupaient depuis le milieu de la journée, il était presque minuit. « Nous avons évacué le pont, sans affrontement, sans casse, sans blessé et sans arrestation, comme nous le souhaitions : c’est une réussite », se sont réjouis les membres de copain 44. Comme l’Élysée reste silencieux, de nouveaux blocages sont annoncés ce lundi.
Nolwenn Weiler
Photos : © Myriam Thiébaut
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