Allemagne

Montée des violences d’extrême-droite : le rôle déterminant des campagnes de haine sur les réseaux sociaux

Allemagne

par Rachel Knaebel

Depuis dix jours, la ville de Chemnitz, en Saxe, est devenue le lieu de rendez-vous pour tout ce que l’Allemagne compte de militants d’extrême-droite, identitaires ou ouvertement néo-nazis. Ils s’y livrent à des manifestations et à de véritables chasses au réfugié. Ces violences ont été précédées de campagnes de haine orchestrées en ligne. Des études récentes montrent à ce sujet que plus la xénophobie et la haine verbales sont diffusées via les réseaux sociaux, plus elles facilitent le passage à l’acte dans la vie réelle.

Le samedi 25 août à Chemnitz, une ville moyenne de l’est de l’Allemagne, après une dispute entre plusieurs personnes de « nationalité différente », comme l’a écrit la police allemande le jour suivant, un homme de 35 meurt des suites de ses blessures. La police a arrêté deux hommes, âgés d’une vingtaine d’années. La presse allemande fera savoir ensuite que les deux suspects sont de nationalité syrienne et irakienne.

Dès le dimanche, un groupe de hooligans locaux d’extrême droite, Kaotic Chemnitz, appelle à un rassemblement dans le centre-ville. La section locale du parti d’extrême droite AfD (Alternative für Deutschland), dont plus de 90 députés siègent au Bundestag depuis les élections de septembre dernier, appelle aussi à manifester. Résultat : un millier de militants d’extrême droite défilent dans les rues de la ville. L’ambiance est violente, avec agressions et slogans xénophobes.

Une moyenne de six agressions racistes par jour en Allemagne

Le lundi soir, le 27 août, plusieurs milliers de militants d’extrême droite se retrouvent de nouveau dans les rues de Chemnitz, dont des néonazis venus de toute l’Allemagne. Encore une fois, l’atmosphère est tendue, les slogans xénophobes fusent et les étrangers chassés, alors qu’un millier d’antifascistes organisent aussi une contre-manifestation. Trois jours plus tard, l’extrême droite appelle à un nouveau rassemblement. « Des gens qui ne se connaissaient que via des groupes de diffusion de fake news sur facebook se retrouvent à Chemnitz. De nombreuses cartes de visite et numéros de téléphone ont été échangés », rapporte le portail d’info et de veille sur l’extrême droite Belltower News.

La région de Saxe, où se trouve la ville de Chemnitz, a vu naître en 2014 le mouvement Pegida, abréviation de « Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident ». Dans cette région frontalière avec la République tchèque et la Pologne, le parti de l’AfD a enregistré un score de plus de 25 % des voix aux élections législatives de 2017. La présence de l’extrême droite néonazie n’y est pas non plus nouvelle. Et comme partout en Allemagne, elle semble y prendre de l’ampleur : 2200 agressions contre des réfugiés et des centres d’accueil de demandeurs d’asile ont été dénombrées en Allemagne en 2017, soit six par jour en moyenne ! [1]. Plus de 600 agressions ont eu lieu de janvier à juin 2018 [2]

Campagne de haine coordonnée en ligne

Sur le net aussi, les agressions racistes et la rhétorique d’extrême droite se propage outre-Rhin. Le site Belltower News s’est penché en août sur une série d’études réalisées sur le sujet [3]. L’une de ces enquêtes décortique « la fabrique des trolls d’extrême droite et l’écosystème de campagnes de haine coordonnées sur le net » et a été réalisée par l’Institute for Strategic Dialogue, un think tank basé à Londres. Ses chercheurs ont analysé 1,6 million de posts d’extrême droite sur les réseaux sociaux allemands – twitter et les pages publiques de facebook. Les auteurs de l’étude ont constaté que le nombre de publications racistes, xénophobes, antisémites, a triplé pendant l’année 2017. Ces publications ont pour origine des campagnes organisées par des réseaux en ligne d’extrême droite comme « Reconquista Germanica » et des cercles identitaires [4].

Les hashtags comme #120dB – un "MeToo" raciste dénonçant exclusivement les violences sexuelles venant de migrants – ou ceux, pro-AfD – comme « Merkel doit partir » (#Merkelmussweg) – ont été « maintenus en ligne pendant des semaines par ces campagnes coordonnées de l’extrême droite », explique l’étude, puis repris « par des comptes de personnalités de l’AfD ou par des médias russes comme RT ou Sputnik », avant d’atterrir dans les médias mainstream. L’analyse de 700 posts, de plus de 16 000 commentaires et d’1,2 million de « j’aime » (likes) a par ailleurs montré que 5 % des comptes actifs dans ces campagnes haineuses étaient responsables de la moitié des likes de commentaires haineux [5].

De la haine virtuelle sur Facebook à l’agression « dans la vie réelle »

Une autre étude, réalisée en 2017 par l’université britannique de Warwick, montre un lien entre l’activité locale sur les pages Facebook du parti d’extrême droite AfD et les agressions racistes envers des personnes réfugiées qui ont lieu sur la commune [6]. L’étude arrive à la conclusion que les communes avec davantage d’utilisateurs actifs sur la page Facebook de l’AfD compte aussi beaucoup plus d’agressions perpétrées contre les personnes réfugiées. Les auteurs de l’étude constatent aussi que lors des semaines où de très nombreux commentaires haineux sont postés sur la page facebook de l’AfD, un plus grand nombre d’agressions racistes à l’encontre des personnes réfugiées ont été enregistrées. Et quand il y a davantage de posts hostiles aux réfugiés, le nombre d’incendies, d’attaques et de dégradations contre les centres d’accueil des réfugiés augmente.

Samedi 1er septembre, près de 5000 militants d’extrême droite ont encore une fois manifesté à Chemnitz, à l’appel de l’AfD. « Certains des participants étaient présents il y a deux semaines au rassemblement en l’honneur du nazi Rudolf Heß (un proche conseiller d’Hitler, ndlr) », rapporte le site Belltower News. « Dans les premiers rangs du cortège, des politiciens de l’AfD se sont rassemblée : costumes noirs, roses blanches à la main, justement des roses blanches, décrit le quotidien de gauche la Taz, pointant la tentative de récupération d’un symbole de la résistance allemande au nazisme [7]. Derrière, des gens qui ne cachent pas leur positions d’extrême droite : des cadres du parti néonazi NDP, des membres des "Kameradschaft", des hooligans qui ont "Arien" ou "88" tatoués à des endroits visibles ». En fin de journée, en marge de la manifestation, une jeune homme Afghan de 20 ans a été attaqué et battu par quatre personnes aux visages masqués, a fait savoir la police allemande.

Rachel Knaebel

En photo : rassemblement du mouvement xénophobe Pegida à Dresde, à 80 km de Chemnitz, en 2015 / CC strassenstriche.net

 Lire aussi : Anti-migrants, homophobes, masculinistes, néo-nazis, complotistes : les identitaires européens ratissent large

Notes

[1Voir ici et ici.

[2Voir ici.

[3Voir ici.

[4Sur Reconquista Germanica, voir ce documentaire de la télé publique allemande SWR.

[5Voir l’étude ici.

[6Voir l’étude, en anglais ici.

[7La Rose Blanche était le nom d’un groupe de résistance allemand, celui de Hans et Sophie Scholl.