Ils s’appelaient Tom, Arthur, Anthony. Ils avaient respectivement 18, 14 et 41 ans. Ils étaient stagiaires ou salariés dans des entreprises du secteur agricole et agroalimentaire et sont morts sur leur lieu de travail. 51 salariés de ce domaine ont été victimes d’un accident du travail mortel en 2022.
Du côté des agricultrices et agriculteurs chefs d’exploitation, la Mutualité sociale agricole relève une « augmentation du nombre et de la fréquence des accidents du travail » avec 101 accidents du travail mortel en 2022 contre 78 en 2013. « C’est un niveau très élevé, confirme un inspecteur du travail, joint par Basta!. L’agriculture figure parmi les activités les plus accidentogènes. »
Le gouvernement l’a reconnu lui même, lors d’une campagne sur les accidents du travail lancée en septembre 2023 : « Certains secteurs d’activité sont plus touchés par les accidents du travail graves et mortels, dont le secteur de la construction, de l’industrie ou encore de l’agriculture », pointait le dossier de presse de l’ancien ministre du Travail.
Les suicides représentent près d’un accident mortel sur quatre dans le secteur agricole, sachant que de nombreux suicides ne sont pas reconnus en accident du travail. Par ailleurs, comme le détaille l’infographie ci-dessous, les machines, tracteurs, matériels et outils motorisés sont les principaux éléments à l’origine des lésions mortelles.
Particulièrement dangereux pour les jeunes
Le secteur agricole est particulièrement dangereux pour les enfants et les jeunes travailleurs. Le nombre des accidents de travail graves chez les apprentis agricoles a presque augmenté d’un tiers entre 2012 et 2016, comptabilisant 88 cas au total. 22 accidents mortels chez les apprentis agricoles ont par ailleurs été recensés sur cette période. « Certaines catégories de travailleurs sont plus exposées au risque d’accidents du travail graves et mortels, par exemple, les travailleurs temporaires, les travailleurs détachés et les jeunes travailleurs (apprentis, stagiaires, nouveaux embauchés) » rappelait le gouvernement dans son plan de 2023.
« C’est un environnement avec de nombreux risques, dont les jeunes n’ont pas toujours conscience, Idéalement, ces risques devraient être maîtrisés en établissant une grille des tâches à effectuer » relève un inspecteur du travail. Ce n’est évidemment pas toujours le cas…. Ce qui est arrivé au jeune Arthur, stagiaire dans une exploitation agricole, mort au travail en 2017 à l’âge de 14 ans, est à ce titre éloquente.
« Les travailleurs agricoles sont souvent plus exposés à des risques tels que les accidents de la route, les contacts avec des machines et des équipements, et les chutes de hauteur », souligne le gouvernement. 9 % des accidents de travail mortel sont ainsi en lien avec un tracteur pour des raisons de retournement ou d’écrasement.
S’il faut avoir au moins 16 ans pour conduire un tracteur sur la route – équipé de ceinture de sécurité et d’une cabine –, aucun permis de conduire n’est requis pour ces véhicules. « C’est aussi dangereux qu’un poids lourd, s’insurge un inspecteur du travail. Le permis ne résoudrait pas tout mais ce serait un premier pas. Sauf que ça bloque en France, notamment de la part du syndicat majoritaire », la FNSEA. Interrogée à ce sujet, la FNSEA n’a pas donné suite à nos demandes.
Un accident grave sur cinq lié à des machines
« En agriculture on se blesse beaucoup avec les machines, parfois défectueuses », confirme Marie-Pierre Maupoint, inspectrice du travail dans l’Ain et membre de la section syndicale régionale Sud Travail affaires sociales en Auvergne Rhône-Alpes. On voit notamment des accidents du travail graves dans l’industrie laitière ou le bucheronnage. » Selon la MSA, un accident grave sur cinq est lié à des machines.
Le Code du travail dresse une liste des travaux interdits pour les mineurs, comme le fait de retirer de l’amiante par exemple ou d’être exposé à des agents chimiques dangereux. La « conduite d’équipements de travail mobiles automoteurs et servant au levage », mise ne cause dans la mort de Tom Duault, mort en 2021 écrasé dans un abattoir alors qu’il venait d’avoir 18 ans, fait partie des sources de risques identifiés.
Des travaux interdits aux mineurs peuvent, sous conditions, bénéficier d’une dérogation. Ils deviennent alors des « travaux réglementés », notamment lors de formation diplômante comme le CAP. « Avant 2015, l’inspection du travail devait donner une autorisation. Depuis cette date, seule une dérogation de l’employeur envoyée à l’inspection du travail suffit, précise l’inspectrice du travail Marie-Pierre Maupoint. Depuis, il y a beaucoup moins de contrôles de l’inspection du travail. »
Un secteur moins contrôlé
« On sait limiter le risque mais pas le supprimer complètement. Cela justifie que ce secteur soit d’autant plus contrôlé, qu’on soit vigilant sur la formation, et sur le contrôle du travail des mineurs qui est très insuffisant », note un autre inspecteur. Alors que la France compte environ 26 millions de salarié
es, le nombre d’agents de contrôle oscille entre 1600 et 1800 agents de contrôle. « Les effectifs dans l’inspection du travail ont régressé partout », s’inquiète un agent, et le secteur agricole est lui aussi impacté.Depuis la crise agricole de l’hiver, ce secteur est moins tenu de respecter le droit. Dans un mail interne écrit en février, que Basta! a pu consulter, la Direction générale du travail (DGT) demande à privilégier les contrôles programmés avec les exploitations agricoles, plutôt que les contrôles inopinés. Contactée, la DGT n’a pas donné suite à nos demandes. « Ce n’est pas parce que les exploitants agricoles sont soumis à des difficultés qu’ils ne doivent plus être soumis à des contrôles, estime Marie-Pierre Maupoint. Les premières victimes, ce sont les salariés agricoles. » Et les exploitants agricoles eux mêmes.
Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler
Dessin de Une : ©Matthieu Lemarchal.