« Vague verte », « raz de marée des écologistes », « tsunami politique » ou « vent d’espoir » : les métaphores naturalistes n’ont peut-être jamais été aussi appropriées qu’hier soir, pour qualifier les résultats du mouvement écologiste aux élections municipales. En emportant plusieurs grandes villes, parmi lesquelles Lyon, Strasbourg ou Bordeaux – et en échouant de peu à ravir Lille et Toulouse – les écologistes s’affirment indéniablement comme les grands gagnants du scrutin.
Avant la victoire d’Eric Piolle à Grenoble en 2014, réélu tranquillement hier soir à 53% avec 30 points d’avance sur son premier concurrent, les écologistes n’avaient gouverné qu’une seule ville de plus de 100 000 habitants : c’était entre 2008 et 2014 à Montreuil, par l’intermédiaire de Dominique Voynet. Ce matin, ils se réveillent à la tête d’une dizaine de villes de ce calibre, si l’on y ajoute Villeurbanne, Tours, Annecy ou Besançon. Sans oublier toutes les villes où ils participeront directement aux exécutifs locaux, élus dans des majorités de gauche plurielle, tels qu’à Paris, Marseille, Nantes, Rennes, Clermont-Ferrand, Nancy ou Rouen.
« Un résultat historique » pour les écologistes
C’est dire l’ampleur de la victoire, très certainement l’un des plus grands succès électoraux dans l’histoire de l’écologie politique française (avec les élections européennes de 2009). « C’est un résultat historique, confirme le politologue Erwan Lecoeur. C’est la première fois que les écologistes sont investis d’une telle confiance dans les urnes et se retrouvent ainsi en capacité de gérer autant de collectivités. C’est loin d’être anodin, quand on sait que le maire est l’élu préféré des français. »
Symbole absolu de ce basculement, Lyon, où EELV fait coup-double, en remportant à la fois la Ville et la Métropole : Grégory Doucet devient ainsi le nouveau maire de Lyon, fort des 7 arrondissements sur 9 remportés par les écologistes, tandis que Bruno Bernard prend la tête du Grand Lyon, à la faveur d’une majorité absolue, infligeant au passage une cuisante défaite à Gérard Collomb. Considérée comme un berceau du macronisme, la cité lyonnaise pourrait bien devenir la vitrine de cette nouvelle force émergeant aux responsabilités : avec le Grand Lyon et ses 3 milliards d’euros de budget, les écologistes se retrouvent à la tête d’une des plus puissantes collectivités françaises, qui concentre la plupart des compétences – affaires sociales, logement, infrastructures – destinées à aménager et gérer la deuxième aire urbaine de France.
Des listes « participatives » émergent dans les petites villes
A l’image du nouvel édile lyonnais – à 42 ans, Grégory Doucet était jusque-là un illustre inconnu en politique après une carrière dans l’humanitaire – cette victoire ouvre aussi la voie à un certain renouvellement du personnel politique. A Strasbourg, Besançon ou Marseille, ce sont des femmes qui ont été élues maires, tandis que la plupart de ces listes faisaient la part belle à la jeunesse, comme à Besançon. Elue à 30 ans, à peine, Léonore Moncond’huy illustre à sa façon cette transformation en profondeur, elle qui vient de gagner la mairie de Poitiers, acquise depuis 43 ans au Parti Socialiste.
« C’est le signe d’un véritable changement : terminé le temps où les écologistes et les gens nouveaux n’étaient pas pris au sérieux, veut croire Erwan Lecoeur. Aujourd’hui, l’écologie semble au contraire être le seul horizon politique qui n’est pas mort. Il se dessine un monde politique nouveau, avec des priorités accordées à des enjeux nouveaux, tels que le climat. » De son côté, le réseau Action commune recense une soixantaine de liste citoyennes et « participatives » élues sur le territoire, dans des villes moyennes comme Chambéry ou plus petites telles Saint-Médard-en-Jalles (Gironde). Autrement dit, « des listes qui se sont engagés à impliquer le citoyen et à partager le pouvoir, résume Thomas Simon, l’un des coordinateurs. L’idée est de dépasser la consultation pour aller vers de la co-construction, au moyen de schémas de gouvernance plus horizontale, avec des méthodes d’intelligence collective ». À Forcalquier, l’ancien fief du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, la liste citoyenne a cependant échoué de peu face au candidat de droite.
Le parti présidentiel rayé de la carte des agglomérations
Paradoxalement, ces nouveaux élus sont pourtant assis sur une faible légitimité, au regard du taux de participation extrêmement bas – autour de 43%, près de 20 points de moins par rapport au scrutin précédent de 2014. Jamais des élections municipales n’avaient ainsi connu pareil niveau d’abstention. Une véritable « grève civique » selon Jean-Luc Mélenchon, le patron de la France Insoumise, qu’il assimile à une « forme d’insurrection froide contre toutes les institutions du pays ». Un triste record qui invite nécessairement à relativiser la portée du résultat dans les urnes et à s’interroger sur les conséquences futures de cette sécession abstentionniste.
A moins de deux ans de la prochaine échéance présidentielle, il reste donc encore du chemin avant d’envisager sérieusement la date de 2022, du côté des écologistes. Aucune autre formation politique ne pouvait s’extasier de ses résultats, hier soir : LREM échoue à conquérir la moindre grande ville et ses maires sortants « transfuges » subissent de très lourds revers, comme à Lyon, Besançon ou dans le 20e arrondissement de Paris ; le PS sauve les meubles ; le Rassemblement national gagne certes Perpignan, la seconde ville de plus de 100 000 habitants que l’extrême droite est amenée à gouverner, après Toulon en 1995, mais perd son arrondissement marseillais, et voit nationalement son nombre de conseillers municipaux fortement réduit : 600 élus de moins comparé à 2014 (840 sièges contre plus 1400).
EELV reste pour sa part tiraillé entre deux stratégies : d’un côté, les tenants d’une ligne autonome, sans alliance, défendue par Yannick Jadot ; de l’autre, les partisans d’un plus large rassemblement, avec d’autres partenaires de gauche, sur le modèle d’Eric Piolle, à Grenoble. Ces élections municipales n’auront pas forcément permis de dégager une tendance à même de s’imposer par rapport à l’autre en vue de la prochaine échéance régionale : les « indépendantistes » revendiqueront les victoires lyonnaises, bordelaises ou strasbourgeoises, et regretteront Lille. Les « rassembleurs » pointeront Marseille, Besançon ou Tours, mais ont manqué Toulouse ou Metz. Une chose est sûre, la montée en puissance des enjeux écologiques sur la scène politique semble se confirmer, bien aidée par un mouvement social très actif sur ces questions. Au tour de cette nouvelle génération de maires écologistes, désormais, de leur donner corps à l’échelle locale.
Barnabé Binctin
Photo : lors d’un meeting du Printemps marseillais, la liste d’union de la gauche, des écologistes et des citoyens (lire notre reportage avant les élections) / © Jean de Peña