C’est la folie. On est complètement pris d’assaut depuis quelques semaines. D’habitude, je fais 12 heures par semaine, parfois quelques heures supplémentaires, dans un entrepôt ouvert de 6h à 20h30, en banlieue lilloise. Mais lundi, on m’a appelé en urgence, pour travailler de 19h à 22h ! La direction a même fermé le site Internet la nuit pour restreindre le nombre de commandes : elle préfère limiter ses bénéfices ! (D’un autre côté, le site bat ses records de bénéfices hebdomadaires.)
Nous sommes sous l’eau. Le nombre de commandes a quadruplé : d’habitude, les gens viennent chercher leurs colis le jour même, désormais, ils doivent attendre entre 4 et 5 jours. Pour donner un exemple chiffré, d’habitude le vendredi matin, on commence avec 120 commandes à préparer pour 6 heures. Vendredi 13 mars, au lendemain l’allocution d’Emmanuel Macron, nous étions à plus de 400 commandes dès 6 h ! Je bosse au rayon « produits grande consommation ». Les clients commandent des pâtes, des boîtes de conserve et des gâteaux par paquet de 10. La quantité de produits par commande a plus que triplé. Il n’y a plus de « petites commandes ».
On travaille deux fois plus vite
Alors l’entreprise fait appel à des intérimaires. J’ai déjà croisé une dizaine de nouveaux visages dans mon secteur. D’habitude nous sommes une petite vingtaine. Mais la direction n’a pas le temps de bien former les nouveaux, ils partent au charbon après quelques maigres explications. Ils comptent sur nous, les plus expérimentés, pour absorber un maximum de taches. On travaille deux fois plus vite, mais la cadence n’est plus du tout surveillée. Concernant les mesures d’hygiène, depuis aujourd’hui, il y a un appel micro pour aller se laver les mains une fois par heure, on porte des gants en latex et on nous a distribué un flacon de gel hydroalcoolique. Pour les distances de sécurité, la distanciation est globalement respectée, sauf quelques secondes lorsqu’on se croise dans les rayons mais c’est assez rare.
Bon surtout, il y a eu une certaine solidarité qui s’est créée. Déjà entre étudiants on était déjà solidaires parce que ce n’est pas un travail facile. Tu te lèves à 4 heures le samedi, tu ne t’épanouis pas forcément intellectuellement, tu as parfois des charges lourdes à porter… Là depuis le début de l’épidémie, les responsables sont beaucoup plus proches de nous, le petit-déjeuner nous est offert. Quand on a travaillé le soir, le patron nous a offert le dîner. Ils voient qu’on essaye de tenir la cadence, alors ils sont reconnaissants. On a des mots d’encouragement, de bienveillance, ce qui n’était pas le cas avant. Eux-mêmes retroussent leurs manches pour nous aider à préparer quand on est submergé.
Ça a été dit des centaines de fois mais apparemment ça ne suffit pas : nous sommes livrés normalement, voire même plus en raison de la crise, il n’y aucun problèmes de stock. Il n’y a aucun intérêt à faire ces commandes démesurées… Certaines personnes attendent vraiment leurs courses et on ne peut leur livrer seulement que quelques jours plus tard à cause de l’afflux.
Recueilli par Victor Le Boisselier
Photo : CC Alexander Isreb, septembre 2018