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Niger : la société civile réprimée, le président Issoufou reçu avec les honneurs à l’Élysée

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par Anne-Sophie Simpere

Le président du Niger Mahamadou Issoufou entame ce 4 juin une visite officielle à Paris, sur invitation d’Emmanuel Macron. Plusieurs ministres et le président du Sénat seront à sa disposition, tandis qu’il devrait obtenir près de 50 millions d’euros d’aide au développement. Au même moment, les principaux leaders de la société civile nigérienne subissent une brutale répression, croupissant dans plusieurs prisons gouvernementales. 26 opposants ont été arrêtés, notamment pour leurs protestations contre les injustices fiscales et les bases militaires étrangères installées dans leur pays. La France, à ce jour, est restée silencieuse.

Jamais, depuis le coup d’État de 2010, des membres de la société civile nigérienne n’avait passé autant de temps en prison : la répression en cours est implacable. Inculpés pour « destruction de biens publics » et « participation à une manifestation interdite », les accusés ont passé plusieurs semaines enfermés, sans comparaître devant un juge. Alors que le dossier d’accusation semble vide, la procédure traine en longueur. « Ils ont été envoyés dans des prisons très éloignées de Niamey, peu accessibles, cela afin de limiter les visites, explique Mounkaila Halidou, le président du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab), une ONG nigérienne. Sans doute, aussi, dans l’idée que l’isolement allait jouer sur leur moral. » Les prisonniers demeurent « déterminés. Ils tiennent le coup, rassure Laurent Duarte, coordinateur de la campagne Tournons la Page, une coalition d’association qui lutte pour la démocratie en Afrique, qui suit le dossier depuis la France. Il faut qu’ils tiennent physiquement aussi. Les conditions de détention sont difficiles. »

Ali Idrissa du Rotab, Moussa Tchangari et Ibrahim Diori d’Alternative espace citoyen, Maïkoul Zodi de Tournons la page, l’avocat défenseur des droits humains Abdramane Lirwane… l’essentiel des activistes arrêtés depuis fin mars au Niger travaillaient en collaboration avec des ONG internationales qui demandent aujourd’hui leur libération. « Une lettre ouverte a été signée par Amnesty international, la Cimade ou encore le Secours catholique, une pétition relayée par le CCFD-Terre solidaire, une interpellation réalisée par Oxfam... Mais pour l’instant, la France ne semble pas vouloir s’exprimer publiquement sur la situation », rapporte Laurent Duarte.

« De nouvelles taxes pour les plus vulnérables, des exemptions pour les multinationales »

A l’origine de cette vague de répression : la loi de finance 2018, considérée comme injuste par la société civile. L’augmentation de la pression fiscale sur les citoyens nigériens passe mal quand, dans le même temps, Orange Afrique vient d’obtenir la suppression de la taxe sur les appels internationaux. Un manque à gagner de plusieurs millions d’euros pour l’État, qui revendique par ailleurs son besoin de mobiliser plus de ressources fiscales pour son développement. « La loi de finance introduit de nouvelles taxes pour les plus vulnérables et des exemptions pour les multinationales : on ne comprend pas ce cadeau fiscal aux plus riches, alors qu’on demande des efforts aux plus pauvres », dénonce Mounkaila Halidou, du Rotab.

Le sujet de la répartition des richesses est sensible dans un pays qui se classe parmi les plus pauvres au monde, malgré ses ressources en uranium ou en pétrole. La contribution des multinationales est particulièrement surveillée, et souvent considérée comme trop faible. Areva – devenue entre temps Orano – s’est faite épingler l’année dernière par un collectif d’ONG : le Niger reçoit dix fois moins d’argent que le Kazakhstan pour son uranium, alors qu’il représente une part plus importante des approvisionnements du groupe français.

Le sentiment d’injustice fiscale ne passe plus, dans un pays qui reste classé parmi les plus pauvres au monde. « Depuis fin 2017, il y a eu des manifestations d’ampleur et des mobilisations dans tout le pays contre la loi de finances, rappelle Laurent Duarte. C’est peut être ce qui explique la réaction du gouvernement : ils se sont mis à interdire toutes les manifestations. Maintenant, ils essaient de tuer toute contestation. »

« Le Niger est devenu un terrain de jeu pour des armées étrangères »

Une autre revendication est portée par la rue : la fermeture des bases militaires étrangères installées au Niger. Opération Barkhane, mission Eucap Sahel, bases françaises et américaines, drones, et bientôt l’arrivée de soldats italiens : cette présence massive sur le territoire nigérien – sans consultation parlementaire ou de la société civile – irrite une partie de la population. « Les bases militaires ou les opérations secrètes donnent l’impression aux nigériens que leur pays est devenu un terrain de jeu pour des armées étrangères », souligne Laurent Duarte. « La population voit affluer des millions pour la "sécurité", tandis qu’elle reste pauvre : c’est aussi un symbole. »

Le Niger est-il en mesure de faire ses propres choix politiques, quand l’Europe ou les États-Unis veulent en faire un hub de la « lutte contre le terrorisme » et les migrations [1] ? La question est posée par la société civile, mais le gouvernement ne semble pas sujet aux mêmes interrogations. Pour Laurent Duarte, « l’État nigérien a compris qu’il s’agit d’une manne financière. Et d’un moyen d’obtenir le soutien de la communauté internationale. » Mounkaila Halidou s’interroge : « Issoufou (le président nigérien, ndlr) a tout donné aux gouvernements étrangers : est-ce pour cela qu’ils restent silencieux face à la répression ? On se pose la question. »

Du côté du gouvernement français, la réaction à l’arrestation des activistes nigériens est des plus prudentes. Interpellée sur le sujet le mois dernier, le quai d’Orsay se contentait de constater que « des procédures judiciaires ont été engagées » [2]. « Dans d’autres cas, la France n’hésite pas à interpeller les gouvernements », note Mounkaila Halidou.

La dégradation des libertés publiques, une voie royale vers la déstabilisation ?

« Aujourd’hui, les conditions de la démocratie ne sont plus réunies », constate amèrement le président du Rotab. Les atteintes aux libertés publiques, certaines modifications de la Constitution, ou des pressions sur des journalistes – l’un d’entre eux à récemment été expulsé au Mali et déchu de sa nationalité – inquiètent sérieusement la société civile. « En termes de libertés fondamentales, depuis quelques années, la situation se dégrade », constate Laurent Duarte. Nous avions pourtant noté une évolution positive après le coup d’État et le départ de Mamadou Tandja (en 2010, ndlr), puis au début du mandat de Mohammad Issoufou. »

Aujourd’hui, l’absence d’améliorations socio-économiques, ainsi que la ligne autoritaire du pouvoir nigérien, pourraient ironiquement anéantir les efforts de la communauté internationale en matière de lutte contre le terrorisme ou les migrations. Pauvreté, corruption, et défiance envers les gouvernants sont de puissants facteurs de déstabilisation, terreau fertile à l’implantation de groupes armés. Les approches exclusivement sécuritaires et militaires, loin de produire les effets recherchés, risquent au contraire de les aggraver. Or, les leaders des organisations nigériennes travaillant sur ces thématiques sont désormais en prison. Emmanuel Macron osera-t-il aborder le sujet ? A ce jour, l’Élysée n’a pas souhaité faire de commentaire.

Anne-Sophie Simpere

En photo : Soldats français de l’opération Barkhane, déployés dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger / CC Fred Marie