Grands projets inutiles

Notre-Dame-des-Landes : un référendum local sur des enjeux mondiaux

Grands projets inutiles

par Maxime Combes

Le 11 février dernier, lors de son interview télévisée, François Hollande a annoncé la tenue « d’un référendum local » sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Depuis, élus locaux, ministres et militants pro ou anti aéroport ferraillent pour en déterminer le périmètre. Le numéro deux du gouvernement, Jean-Marc Ayrault, souhaite « que ce soit le périmètre le plus proche du territoire impacté » et limiter le référendum au département Loire-Atlantique. Ségolène Royal, numéro trois du gouvernement, veut quant à elle élargir le référendum aux départements limitrophes des régions Pays-de-la Loire et Bretagne.

Les arguments avancés varient, mais chacune de ces options repose sur une hypothèse discutable : la construction de l’aéroport soulève des enjeux locaux qui impliquent de rabattre l’espace de décision sur le local. Prise en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, la décision de construire et financer l’aéroport – plusieurs milliards d’euros si l’on tient compte des infrastructures routières et ferroviaires – engage pourtant l’État. La déclaration d’utilité publique est de sa compétence, et non de celle des collectivités locales qui, par ailleurs, ne seront pas les seules à financer le projet. Pour les juristes, la base légale d’un tel référendum local n’existe pas. Ne serait-il donc pas légitime que l’ensemble des citoyens et des contribuables du pays aient leur mot à dire ?

Dépassons les arguments légaux et financiers. Au fil des années, ce projet de nouvel aéroport a pris la forme d’une controverse nationale que nul ne peut ignorer : ses promoteurs activent des leviers au plus haut de l’État pour arriver à leurs fins tandis que les opposant en ont fait l’emblème d’un mode de développement qu’ils jugent dépassé, un de ces « grands projets inutiles » inadaptés à l’urgence d’une transition écologique. Face aux blocages et résistances locales, journalistes et éditorialistes des grands médias nationaux présentent désormais le sujet comme relevant de la responsabilité du président de la République et du gouvernement.

L’indispensable protection des zones humides

Que François Hollande en personne soit amené à proposer un « référendum » illustre ce moment où, dans une France jacobine, le sujet est renvoyé à l’échelon national et nécessite des arbitrages présidentiels et gouvernementaux. « À un moment, il faut prendre une décision », se justifie-t-il, comme s’il n’était pas en mesure de trancher. La manœuvre se veut habile, visant à décentraliser un conflit qui désormais polarise l’espace politique national. Comme en atteste la manifestation nationale prévue ce samedi 27 février, il n’est pas certain que la stratégie de François Hollande fonctionne : c’est à l’État que reviendra la charge d’appliquer le résultat, quel qu’il soit, de cette éventuelle consultation qui, nécessairement, renforcera des positions antagoniques. La singularité de la controverse aéroportuaire et du mode de résolution choisi pourraient même accroître la curiosité et l’attention nationale. Au point d’exiger un référendum national ?

D’autres arguments plaident pour ne pas confiner l’espace de résolution de la controverse au local. Le projet d’aéroport est sis sur une zone humide d’envergure. Ces zones, telles des éponges, reçoivent l’eau, la stockent, la dépolluent et la restituent, permettant de limiter les impacts des inondations et des sécheresses – bien au-delà de leur environnement proche – tout en étant l’un des plus importants puits de carbone terrestres. Plus des deux-tiers de ces zones humides ont été détruites au siècle dernier – elles ne représentent plus que 3 % à 4 % du territoire national – et la France a pris des engagements internationaux pour stopper leur dégradation et leur disparition [1]. Protéger ces zones humides est donc un enjeu d’intérêt général, et global, une nécessité que les réalités physiques de la planète nous imposent.

Maintenir les paysans sur leurs terres : une nécessité

Combinée à l’augmentation de la population mondiale, à l’instabilité des marchés agricoles et aux conséquences des dérèglements climatiques, l’artificialisation des terres agricoles est désormais perçue comme l’un des terreaux favorisant les crises alimentaires. L’alarme retentit à chaque nouveau rapport : l’équivalent de 20 millions d’hectares de surface agricole mondiale – plus d’un tiers de la France métropolitaine – est artificialisé chaque année. Inquiétant alors qu’environ 70 % de la nourriture consommée à l’échelle mondiale est produite par des fermes, à taille humaine, qui n’utilisent que 25% des surfaces agricoles. Maintenir les paysans sur leurs terres est donc une autre enjeu international.

De nouvelles études montrent enfin que les « engagements-carbone » des infrastructures déjà existantes sont tels qu’il faudrait cesser d’en construire de nouvelles à compter de 2018. Rester en deçà des 2°C impliquerait de « stopper des infrastructures émettrices plus rapidement que celles qui sont construites » selon les chercheurs Steven Davis et Robert Socolow, de l’université de Princeton, dans une étude publiée en août 2014. Un résultat qu’énonçait déjà l’Agence internationale de l’énergie en 2012. Des études qui plaident de fait pour un moratoire sur la construction de tout nouvel aéroport, un engagement d’ailleurs pris lors du Grenelle de l’environnement puisqu’il avait acté un gel des programmes aéroportuaires.

L’aviation civile, dans le top cinq des plus grands pollueurs

« Notre-Dame des Landes n’est pas un nouvel aéroport, puisqu’il s’agit de transférer l’aéroport existant de Nantes Atlantique », rétorquent les promoteurs du projet. Bien que pas tout-à-fait exact – l’aéroport de Nantes Atlantique restera ouvert pour les activités d’Airbus – cet argument élude le fond du problème. Pour justifier le transfert, les promoteurs s’appuient sur un accroissement du trafic aérien contraire aux objectifs de lutte contre les dérèglements climatiques. Malgré l’amélioration de l’efficacité énergétique des avions, la hausse du trafic aérien français a généré une augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 62 % entre 1990 et 2012. Si rien n’est fait, le trafic aérien mondial pourrait être multiplié par trois d’ici à 2030. L’aviation civile, si c’était un pays, intégrerait alors le top cinq des plus grands pollueurs de la planète.

Il existe donc là aussi un enjeu global, climatique cette fois-ci, qui consiste à ne pas accroître les capacités aéroportuaires civiles, afin de ne pas encourager une hausse sans limite du trafic aérien. C’est un argument supplémentaire pour ne pas accepter la relocalisation de la controverse aéroportuaire de Notre-Dame des Landes qui accompagne la proposition de « référendum local ». Au contraire, cela plaiderait pour internationaliser le débat : pourquoi les habitants de Tuvalu, des Kiribati, du golfe du Bengale, et bien d’autres, dont l’habitat et les conditions d’existence sont menacées par la montée du niveau des mers générée par le réchauffement planétaire, n’aurait-ils pas le droit de se prononcer ?

Si un référendum mondial semble hors de portée – et sans doute pour partie hors de propos – et si François Hollande refuse d’envisager un référendum national, il reste une possibilité : qu’au nom de la lutte contre les dérèglements climatiques, qu’au nom des engagements et déclarations prononcés lors de la COP21, François Hollande décide unilatéralement de mettre fin à ce projet d’aéroport. C’est précisément ce que demandent les premiers signataires d’une pétition rendue publique par Attac France et 350.org, parmi lesquels Naomi Klein, Giorgio Agamben, Virginie Despentes, Jean Jouzel, etc.

« L’Histoire, Mesdames et Messieurs, elle est écrite par ceux qui s’engagent, pas par ceux qui calculent ! », avait dit François Hollande en clôture de la COP21. Il est encore temps.

Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France