Ce sera le grand rendez-vous com’ d’Emmanuel Macron avec la mer. Du 9 au 11 février, Brest accueille le One Ocean Summit, déclinaison maritime du One Planet Summit, coorganisé par les Nations unies et la Banque mondiale. La volonté affichée des organisateurs est louable : rassembler la communauté scientifique, des acteurs économiques, des chefs d’État, des politiques et la société civile afin d’échanger sur la préservation des océans, avec comme objectif d’« élaborer un cadre de réglementation de la haute mer » [1].
Pendant trois jours, le président Macron va donc dérouler son plan de communication, bien calé dans le calendrier électoral. Premier écueil : malgré les annonces, l’événement est loin de rassembler tous les acteurs de la mer, associations environnementales en tête. « Nous n’attendons absolument rien du One Ocean Summit », assène d’emblée Frédéric Le Manach, directeur scientifique chez Bloom, une ONG qui œuvre à la conservation marine, très mobilisée contre la pêche industrielle et ses techniques destructrices. « Cet événement sera dans la droite lignée de ce qu’organise Emmanuel Macron pour ses grandes annonces, qui sont en général suivies du contraire sur le terrain. Y participer donnerait une caution à ses grands événements politiques », explique-t-il.
Un tiers de la surface maritime écologiquement protégé... Vraiment ?
Les aires marines protégées (AMP) devraient être au cœur de la communication présidentielle. Ces espaces délimités en mer sont censés préserver faune et flore marines des pollutions, de la surpêche et du tourisme trop invasif. Ces aires marines protégées représentent actuellement sur le papier 23,5 % de toute la surface maritime française, en métropole et dans les Outre-mer. Ce chiffre s’apprête à être revu à la hausse et communiqué en grandes pompes par Emmanuel Macron à Brest.
Un courriel provenant du ministère de la Transition écologique destiné à l’Office français de la biodiversité (OFB), et que basta! a pu consulter, demandait récemment à certains agents de ne pas communiquer ni mettre à jour leurs données à ce sujet, pour en réserver la primeur à l’Ocean Summit. Le courriel explique que « l’évolution des données surfaciques des aires (marines) protégées est encore verrouillée, pour concorder avec les annonces sur les avancées de la SNAP (Stratégie Nationale pour les Aires Protégées) ».
Selon nos informations, l’objectif de 30 % des surfaces maritimes françaises « protégées » est désormais dépassé, et sera communiqué à Brest. De quoi redonner un peu de crédibilité au bilan écologique de ce premier quinquennat ? C’est loin d’être certain.
Des aires marines « protégées » gigantesques sans moyens pour les surveiller
Le statut d’« aires marines protégées » demeure encore assez flou. Le terme regroupe de nombreux labels et statuts administratifs et juridiques : zone Natura 2000, Parc naturel, sanctuaire pour mammifères marins... Tous ont des règlements et des niveaux de protection variés, et plus ou moins protecteurs. « C’est souvent ce qu’on reproche aux AMP », explique Steven Piel, chargé de mission mer et littoral à l’Office français de la biodiversité. « Leurs règlements tiennent plus du cas par cas. Toutefois, la définition française de l’AMP répond bien à la définition internationale : c’est un espace délimité en mer avec un objectif de protection de l’environnement marin à long terme. Ensuite, tout est une question de moyens. » C’est bien là que le bât blesse !
Certaines de ces aires marines protégées sont gigantesques. La réserve des terres australes françaises par exemple, au sud de l’océan Indien, intègre l’archipel de Crozet, celui de Kerguelen et les îles Saint-Paul et Amsterdam. Elle « fait à elle-seule près d’un million de km2, soit 10 % de l’espace maritime français, détaille l’agent de l’OFB. Avec le parc naturel de la mer de Corail, en Nouvelle-Calédonie, et les parcs naturels marins de Mayotte et de Martinique, ces quelques grandes AMP font le gros du chiffre annoncé », explique-t-il. Sur le littoral métropolitain, les principales aires protégées sont bien plus réduites, du cap Corse à la baie de Somme, en passant par le parc des Calanques près de Marseille ou la mer d’Iroise au large du Finistère [2]
Un agent pour 2000 km2 d’océan
Créer d’immenses aires protégées, c’est bien. Encore faut-il que les moyens suivent pour assurer leur protection et encadrer les activités économiques qui y sont autorisées (pêche non industrielle, tourisme...). « En réalité, ces 30 % d’aires marines protégées existent depuis 2019, mais ce n’est pas pour autant que l’état de l’écosystème s’y améliore », prévient Sylvain Michel, représentant syndical à l’OFB. « Annoncer davantage de surface en AMP mais sans les moyens humains et financiers de l’État derrière pour faire progresser la préservation, cela n’a pas de sens. »
Pour le parc naturel marin de Martinique, d’une superficie équivalente à la Bourgogne-Franche-Comté, l’OFB dispose, fin 2021, de douze agents permanents et de neuf personnes en contrat précaire (services civiques, apprentis...). Soit une personne pour plus de 2000 km2 d’océan... Ce ratio est similaire pour les parcs naturels marins de Mayotte et des îles Glorieuses. Certes, ce décompte n’intègre pas l’éventuel recours à la Marine ou aux douanes pour des missions temporaires de protection. Mais cela reste peu. Les effectifs dédiés aux aires marines protégées des eaux métropolitaines sont un peu supérieurs.
« La mortalité des mammifères marins y est terrible »
Reste que, pour gérer et surveiller des centaines de milliers de km2 d’océans, d’estuaires, de côtes, d’îles et de lagons, l’Office français de la biodiversité peut compter au total sur... 224 agents affectés au milieu marin, dont la moitié en contrat précaire. Protéger l’océan des activités humaines potentiellement destructrices c’est en premier lieu contrôler la pêche, surtout industrielle. « Aussi aberrant que cela puisse paraître, en Europe la pression de la pêche est plus forte sur les zones marines protégées que sur celles non protégées car elles sont situées dans des endroits stratégiques », favorables à la reproduction des espèces, observe Frédéric Le Manach, directeur scientifique chez Bloom.
Le nombre des dauphins pêchés accidentellement dans le golfe de Gascogne bat, chaque année, un funeste record. « La mortalité des mammifères marins y est terrible », confirme Denez L’Hostis, président d’honneur de France Nature Environnement. « Nous avons fait un référé avec Sea Shepherd [une organisation environnementale de protection des océans, ndlr] pour y demander l’arrêt de la pêche de manière temporaire. On parle ici de plusieurs milliers de dauphins communs tués à 95 % par la pêche. L’Union européenne considère même que la France n’a pas mis en place des dispositifs pour répondre à ces enjeux ! » s’emporte celui qui est aussi l’ancien administrateur de l’agence des aires marines protégées, disparue en 2016. Nombre de zones ne sont pas protégées contre la pêche intensive, au large, où les contrôles sont plus difficiles et surtout coûteux.
Environ 1 % de l’espace maritime français est vraiment protégé
De l’aveu même des agents de l’OFB que basta! a rencontrés, les milieux marins réellement préservés sont les zones de protection forte, ou « renforcée ». Celles-ci occupent une surface encore très marginale : entre 0,5 et 1,5 % selon les manières de calculer (voir en carte les exemples de zones de protection forte, en rouge, de la mer d’Iroise, autour de Molène, et du parc national des Calanques, au large de Marseille). L’objectif - ambitieux - annoncé par le gouvernement est d’atteindre les 10 % en 2030.
Un autre péril menace les aires marines dites protégées. Fin octobre, lors de son discours annonçant le plan de relance « France 2030 », Emmanuel Macron annonce à l’Élysée devant quelque 200 chefs d’entreprise et étudiants sa volonté de faire de l’exploration des fonds marins une priorité. La France dispose du deuxième espace maritime au monde après les États-Unis. Le potentiel semble immense, mais à quel prix pour la planète ? « Chez France Nature Environnement et d’autres associations, nous craignons que la France se lance dans l’extraction minière dans les fonds marins », redoute Denez L’Hostis.
Près de deux milliards d’euros, sur cinq ans, ont déjà été annoncés dans le cadre de France 2030 pour l’exploration des fonds sous-marins, mais aussi de l’espace. Lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature, qui regroupe États et société civile, en septembre 2021 à Marseille, « il y a eu de grandes annonces de Macron, rappelle Frédéric Le Manach. Mais au moment de voter le moratoire pour l’exploitation minière en grande profondeur, la France s’est abstenue. »
« Selon Macron, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas exploiter les ressources minières des profondeurs afin de progresser dans les nouvelles technologies, comme la téléphonie, le militaire ou l’automobile », ajoute-t-il. Les fonds marins de Wallis et Futuna, dans le Pacifique, et de l’île française de Clipperton, au large de l’Amérique centrale, semblent être dans le viseur de ce type de projets.
L’Office français de la biodiversité malmené
Quelles seront les marges de manœuvre de l’Office français de la biodiversité (OFB) dans ce contexte ? Fruit de la fusion en 2020 de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), l’OFB sera bien évidemment présent (lors du One Ocean Summit). L’occasion pour cette très récente administration de faire sa promotion, malgré les difficultés qu’expriment, anonymement ou non, certains agents sur le terrain, confrontés au manque de moyens et de personnel.
« La création de l’OFB a noyé toutes les problématiques du domaine marin dans un très gros établissement généraliste », regrette Sylvain Michel, représentant syndical à l’OFB. « Cette administration était présentée par le gouvernement comme un superbe outil de préservation de la nature et de la biodiversité ».
Cette fusion a été annoncée avec la suppression de 60 postes à la clef (sur 2800 agents en tout). « On y a échappé pour l’instant mais c’est une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes », déplore le syndicaliste. Malgré les belles annonces, le milieu maritime semble délaissé. « L’état du site de Brest est un peu symptomatique de l’importance qu’on accorde à la mer à l’OFB », précise Sylvain Michel. « De nombreux problèmes s’accumulent : locaux non chauffés, problèmes d’électricité, de plomberie, d’isolation thermique et phonique, absence de travaux dans certains bureaux, manque de place, manque d’entretien général des locaux », dénonce une pétition lancée par un collectif d’agents.
Quelques jours avant le One Ocean Summit, Brest accueille un colloque alternatif à l’évènement. Du 4 au 6 février, Les Soulèvements de la Mer proposeront des rencontres, des projections et des discussions autour de différentes thématiques, comme la pêche industrielle ou encore l’exploitation des fonds marins. Pêcheurs, agriculteurs et militants associatifs pourront y échanger leurs points de vue. « Les One Planet Summit avaient, au final, servi à verdir la finance. Nous voulons organiser autre chose, alors que le One Ocean Summit risque d’être très peu accessible au grand public », explique l’un des organisateurs, issu des Soulèvements de la Terre. Un rassemblement – baptisé « Don’t Look Down » - est aussi prévu le 11 février à Brest, à l’initiative des associations Greenpeace et Pleine Mer pour alerter sur cette « véritable opération de Blue Washing » que sera selon eux le One Ocean Summit.
Guy Pichard